[ Interview ] Maiko, geisha : introduction dans le monde des fleurs et des saules
Image d’Epinal qui vient à l’esprit de tout occidental quand on évoque le Japon, les geishas (ou geiko à Kyoto) sont encore à l’heure actuelle des personnalités méconnues et ce, malgré la pléthore d’œuvres littéraires ou cinématographiques, souvent étrangères, qui tentent d’appréhender leur univers.
Comme leur nom l’indique (gei signifie « culture » et sha « personne »), les geishas sont des artistes employées pour divertir par le chant, la musique, la danse et la discussion des hôtes de marque, souvent lors de repas importants dans des maisons de thé (ou ochaya). Evoluant dans un monde à part, celui « Des fleurs et des saules », le karyokai, elles sont l’incarnation même de la beauté et de la tradition japonaise. Profession devenue officielle sous le règne du shogun Tokugawa (XVIIIème siècle), on sait que ses racines sont bien plus anciennes que cela et remontent probablement au VIIIème siècle, période de la fondation de Kyoto par l’empereur Kanmu.
Les geishas ont traversé les âges, immuables et garantes d’une tradition aujourd’hui encore conservée même dans un pays aussi moderne que le Japon. Difficiles, voire impossibles, à approcher pour qui ne fait pas partie des cercles privés ou des grands de ce monde, leur existence semble menacée et leur nombre, diminué. Pourtant, fidèles à l’esprit de leur patrie, les geishas se battent pour ne pas disparaître et faire connaître au plus grand nombre leur métier et leur culture.
C’est sûrement grâce à cette ouverture que nous avons pu interviewer deux maikos, Katsune et Katsuna, des apprenties geiko venues spécialement de Kyoto pour le 15ème impact de Japan Expo. Une rencontre émouvante et ô combien passionnante !
Journal du Japon : Dans un premier temps, pourriez-vous nous dire d’où vous venez et où vous exercez actuellement votre profession ?
Katsune : Je suis née à Shizuoka, une préfecture célèbre car c’est celle du Mont Fuji. Je voulais devenir maiko donc je suis venue à Kyoto.
Katsuna : Je suis née à Chiba, près de Tokyo. J’ai vu un documentaire à la télévision sur les geiko qui m’a tellement passionné que j’ai décidé de devenir maiko à Kyoto.
Comment s’est passé votre apprentissage ? Comment avez-vous trouvé une école qui pourrait vous enseigner l’art de devenir geiko ?
Katsune : Heureusement, nous vivons à l’ère d’internet, j’ai donc tout simplement utilisé cet outil pour trouver les informations que je recherchais. Cependant, au lieu d’appeler directement l’ochaya où je voulais travailler, j’ai appelé l’agence qui s’occupe de l’établissement à Kyoto et j’ai envoyé mon CV.
Pendant la période où j’attendais la réponse de l’ochaya, j’ai décidé de m’entrainer chez moi à rester tout le temps assise à genoux car c’est pour moi la position typique de la geiko, mais elle est très difficile à conserver !
Katsuna : J’ai retrouvé l’ochaya du documentaire qui m’avait donné envie de devenir geiko. J’ai fait des recherches sur internet, et après avoir trouvé les informations dont j’avais besoin, j’ai demandé l’autorisation à mes parents et envoyé ma lettre de motivation.
C’est amusant de vous voir parler de télévision et d’internet …
Katsune : En fait, maintenant que nous sommes maiko, nous ne regardons plus du tout la télé, ou alors une fois de temps en temps. Du coup nous sommes obligées de communiquer avec les clients pour obtenir des informations sur ce qui se passe dans le monde.
Justement, à quoi ressemble votre clientèle actuelle ? On imagine que le métier a dû changer au cours du temps, que par rapport à l’âge d’or des geiko où la clientèle était composée de personnes très importantes, aujourd’hui il est peut-être plus facile de vous approcher, que votre univers est moins fermé. Est-ce le cas ?
Katsune : Avant la clientèle était très traditionnelle : c’était celle des maisons de kimonos ou de thé, des temples. Maintenant ce sont les générations suivantes, les fils, les petits-fils de ces gens-là qui viennent nous voir. C’est plus difficile pour nous de discuter avec ce type de clientèle de moins de quarante ans. Nous ne comprenons pas pourquoi ils sont là puisqu’ils ne comprennent pas vraiment les valeurs de la maison des geiko. Ils viennent sur invitation, sinon ils ne pourraient pas entrer de toute manière, mais quand ils sont là, ils disent qu’ils préfèreraient aller dans un club. Du coup, nous préférons parler avec des gens plus âgés qui ont peut-être fréquenté des clubs avant mais qui maintenant préfèrent des activités plus calmes comme parler avec nous ou nous regarder danser.
A-t-il été difficile pour vos familles d’accepter ce choix de carrière ?
Katsuna : Mon cas est un peu plus compliqué car toute ma famille était contre mon choix, plus particulièrement mon grand-père maternel. Il avait une mauvaise vision du métier, véhiculée par des images de l’époque où maiko et geiko étaient assimilées à des prostituées. Il était donc en colère et ne voulait pas que j’y aille. Mais à treize ans, j’ai tout de même décidé de rentrer en apprentissage et pendant deux ans j’ai essayé de les convaincre que mon choix était le bon. Je les ai donc invités au Miyako Odori, un événement culturel qui se passe en avril où les <i<maiko et les geiko dansent pour célébrer l’arrivée du printemps. Ils ont alors compris en me voyant que j’aimais mon métier, que j’en étais fière et maintenant ils me soutiennent.
En parlant de famille, on savait qu’à l’époque, pour se marier, il fallait quitter son métier et l’okiya. Est-ce toujours le cas actuellement ?
Katsune : Oui, rien n’a changé. Nous n’avons toujours pas le droit de nous marier. En tout cas à Kyoto c’est impossible. Cela peut arriver dans des régions plus provinciales mais pas ici, où la tradition est très ancrée.
Au niveau de l’apprentissage, est-ce que vous estimez qu’il est aussi dur qu’auparavant ?
[ Le shamisen est traditionnellement un instrument pour aveugle. Il n’y a donc normalement pas de partition. Par ailleurs, seule la partie clé du morceau est figée, le reste étant de l’improvisation. NDLR ]
Est-ce que la sortie de films ou de livres occidentaux sur les geishas et les maiko ont changé le regard que l’on vous porte, ou ont fait perdurer des clichés qui n’existent pas ? Est-ce que cela a véhiculé une mauvaise image de votre métier ?
Katsune, très vivement : Le film de Spielberg par exemple, Mémoires d’une geisha. Le personnage de Sayuri est totalement fantasmé, elle n’a rien à voir avec une vraie geiko !
Katsuna : Nous ne pensons pas pour autant que cela donne une mauvaise image de nous, mais juste une mauvaise compréhension. Du coup les gens nous posent des questions bizarres, basées sur ce qu’ils croient vrai. Par contre il y a le film Maiko wa Lady qui va bientôt sortir. Au niveau de la danse, c’est un peu trop gai par rapport à la réalité mais pour le reste, tout est fidèle à ce que nous avons expérimenté. (Rires)
Parmi tous les arts que vous devez apprendre à maîtriser, lequel préférez-vous ?
Katsune : Je préfère le shamisen, mais c’est très, très difficile à maîtriser.
Katsuna : Je préfère la danse. Parmi nos amies, certaines ont déjà appris la danse classique japonaise mais ce n’est pas mon cas, donc au départ, je dansais un peu comme un robot (Rires). Cela fait seulement un an que je m’amuse vraiment à danser.
Dernière question : pour le moment, vu votre jeune âge, on peut dire que la relève est assurée pour un certain temps. Mais pensez-vous au final que votre métier est voué à disparaître, à plus ou moins long terme ?
Katsune : La maison de maiko où nous sommes existe depuis 450 ans déjà donc nous ne pensons pas que cette culture va disparaître, même si c’est vrai qu’il y a de moins en moins de candidates.
C’est pourquoi nous allons profiter du film qui va sortir bientôt et utiliser internet pour nous faire connaître. Certaines geiko et maiko ont d’ailleurs déjà créé un blog afin d’attirer les gens et de informer sur notre monde, particulièrement celles qui seraient tentées par ce métier mais qui douteraient d’être capable de l’exercer.
Nous remercions chaleureusement Katsune et Katsuna pour leur disponibilité, ainsi que Melanie AUGAIS et plus largement EXA Partners.
Photos de Laure Ghilarducci
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