Shinji Aramaki : à la découverte des limites de la 3D

Après son adaptation d’Albator, Shinji Aramaki revient sur le devant de la scène du cinéma d’animation 3D avec Appleseed Alpha. Ce dernier a fait l’objet d’une projection en avant-première mondiale lors de la 15e édition de Japan Expo, le tout en présence du réalisateur. A l’occasion d’une table ronde, Nous avons pu revenir sur ce nouveau long métrage mais aussi sur sa perception de l’évolution de la technique d’animation en image de synthèse.

Shinji Aramaki - Photo : Lōlu © journaldujapon.com

Des débuts jusqu’aux pépins de pomme

D’abord connu en tant que Mechadesigner, notamment pour la toute première version des Transformers, le nom de Shinji Aramaki apparaît régulièrement au générique de séries japonaises. Il ne se lance dans la réalisation qu’en 2004, avec l’adaptation du manga de Masamune Shirow. Il avoue d’ailleurs puiser son inspiration dans les œuvres qui ont marqué sa génération : « J’assume mon manque d’originalité, les personnes de mon âge qui travaillent dans l’animation vous répondront sûrement la même chose. Comme tout le monde, nous avons été influencés par ce qu’on a vu à l’époque du collège ou du lycée. C’est d’ailleurs à cette époque que j’ai vu Yamato, le Cuirassé de l’espace, les premiers Gundam et aussi Star Wars. C’est un peu à cause de ces trois œuvres que j’ai décidé de me lancer dans cette voie, et je ne pense pas être le seul. »

Dans la lignée des épisodes de 2004 et de 2007, Appleseed Alpha nous propulse à nouveau aux côtés de Deunan et de Briareos, en quête d’Olympus au cœur d’une Amérique dévastée. Concentré d’action, ce reboot reste dans la lignée de ses prédécesseurs et leur fait même honneur, à grands renforts de scènes spectaculaires. Le message du film est simple et clair, et Shinji Aramaki l’assume explicitement : « A travers le monde, la situation est difficile avec tous ces conflits. J’ai voulu profiter d’Appleseed pour exprimer mon ressenti. »

Après autant d’années, la raison d’être d’un nouveau volet peut paraître floue, mais le réalisateur s’en défend : « En travaillant sur Albator, le Corsaire de l’Espace, l’année dernière, j’ai eu envie d’explorer plus en profondeur les possibilités de l’image de synthèse. Je suis conscient que le progrès de l’animation doit beaucoup au progrès technique en général, mais je ne pense pas qu’il y ait eu de changement radical. Il n’y a rien qu’on ne pouvait faire avant. Si on doit vraiment retenir un des plus grands bienfaits, c’est surtout en terme de coût. Du point de vue du budget, on a une facilité à réaliser ces films qu’on n’avait pas auparavant. Par exemple, pour un disque dur, on a au moins dix fois plus de capacité de stockage pour un prix équivalent, ce qui est assez révélateur.
Maintenant, les machines ne sont pas les seuls à progresser. L’être humain aussi évolue et je prends beaucoup de plaisir à voir mon personnel progresser à chaque réalisation. Pour un projet sur lequel on aura un débutant, il sera deux fois plus rapide pour un travail d’une qualité doublée. Il aura donc un rendu quatre fois supérieur à ce qu’il faisait avant. Je serais tenté de dire que les Hommes évoluent plus vite que la technologie.
Mon équipe a une forte influence sur mes films et en fonction de leurs compétences et de leur sensibilité, quand bien même j’aurais des idées, elles deviennent quelque chose de radicalement différent. »

Appleseed, jamais sans mon Takahashi

Pour la bande son, c’est une nouvelle fois Tetsuya Takahashi que l’on retrouve aux commandes. « Comme vous le savez, il s’est occupé de la bande son de mes films depuis le premier Appleseed, donc on se connaît très bien et il habite à trois minutes de chez moi, en voiture. Ça nous arrive d’aller chez l’un ou chez l’autre pour des rendez-vous, pour parler travail, et ça nous arrive aussi de discuter par Skype pour se mettre au point. C’est quelqu’un dont j’apprécie particulièrement la présence, parce qu’on peut être franc et c’est réciproque. J’ai de l’estime pour lui, de ce point de vue.

Shinji Aramaki - Photo : Lōlu © journaldujapon.com


Je considère également que la musique représente une bonne moitié du travail, pour ce qui est de la réalisation du film. Bien entendu, on pourrait s’en passer, mais quand un dessin animé ne comporte pas de musique, c’est dans une intention précise, et là-dessus, cela fait partie des choses que je ne maîtrise pas totalement. Donc je découvre, moi même, mon œuvre après que la musique ait été ajoutée, d’une manière différente et souvent inattendue. Ce n’est pas le seul artiste avec lequel je collabore, et du coup, j’écoute régulièrement de la musique pour avoir une meilleure prise sur ces effets inattendus. En ce qui concerne Tetsuya Takahashi, il m’arrive régulièrement d’écouter sa musique, presque tous les jours. »

La 3D CG, objectif plus vraie que nature ?

Au delà de ses partenaires de travail récurrents, il existe un autre élément commun à tous les projets de Shinji Aramaki : l’usage de la CG. Les films utilisant l’image de synthèse dans ses derniers retranchements pour flirter avec le réel se font de plus en plus nombreux. Mais est-ce vraiment l’ultime objectif de la 3D ? Le réalisateur s’en défend en expliquant qu’il « n’aime pas trop l’idée que l’image de synthèse doive à tout prix devenir toujours plus réaliste. De toute façon, ce n’est pas une mission. Comment dire ? La technique n’est pas absolue, elle ne peux pas être utilisée à tout prix dans ce sens et je ne pense pas que ce soit son principal usage. C’est un outil qui permet de faire ressortir le contraste entre le réalisme et le dessin animé à travers la sensibilité des graphistes et des dessinateurs. C’est une perspective amusante et passionnante qui enrichit considérablement notre travail.

D’un autre côté, on est tout-de-suite confronté aux limites de sa propre imagination et on ne peut plus dire que les capacités techniques nous empêchent de projeter notre sensibilité. Personnellement, je suis très heureux de pouvoir utiliser autant d’outils, et vu que je suis confronté à mes propres limites, ça me motive à persister dans cette voie. »

© by Sony Pictures Animation / Sony Pictures

En attendant, Appleseed fait la part belle à une animation très pointue, et reste un cran en dessous d’Albator, Le Corsaire de l’Espace … mais il est évident que le budget du film est largement inférieur. On se laisse même surprendre par certains décors particulièrement bluffants. Les expressions de Two Horns ont également été une excellente surprise, autant que la fluidité des gestes de Deunan. On notera cependant quelques libertés au niveau du design de l’amazone, bien plus grande qu’elle ne l’est habituellement. Cette modification de son aspect, qui au premier abord semble perturber l’équilibre du couple composé de la petite Deunan et du massif Briareos, est habilement contrebalancée par une une légère altération de son aspect physique.

Chose atypique pour une réalisation japonaise, Appleseed a été mis en scène en anglais plutôt qu’en japonais. Shinji Aramaki explique « qu’il y a plusieurs raisons à cela : d’abord, le film se déroule aux États-Unis, il m’a donc paru plus naturel que ces personnages parlent en anglais. Ensuite, une grande part de nos financements viennent des États-Unis, donc ça a été plus facile pour moi de faire appel à des acteurs de doublage américains. »

Si au final Appleseed Alpha dépasse difficilement le stade de simple divertissement du fait de son scénario cousu de fil blanc, il constitue cependant une belle prouesse sur le plan technique, et ne laisse que peu de temps au spectateur pour s’ennuyer. Cependant, malgré toute la foi qu’il a pour les outils modernes et pour les professionnels de l’animation, Shinji Aramaki ne peut s’empêcher de clore cet entretien sur une note de scepticisme : « En ce moment, j’ai l’impression que la 3D et le digital permettent de faire des dessins animés de manière beaucoup plus simple, mais qu’on se fait progressivement envahir par les animes Moe. Il devient difficile de faire ce qu’on veut, tant les compétences des gens, le marché et la réalisation sont en décalage… »

Remerciements à Shinji Aramaki, aussi intéressant qu’affable, à son interprète, ainsi qu’aux organisateurs qui ont permis cette table ronde.
Photo : Lōlu © journaldujapon.com

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