Le Light Novel : focus sur un média méconnu… et mal-aimé ?
Aujourd’hui et la semaine prochaine, Journal du Japon se penche sur un phénomène déjà bien présent sur la péninsule nippone mais encore méconnu en France : le Light Novel ou LN. De sa nature intrinsèque à son lien étroit avec l’animation japonaise, il est temps de faire le tour de la question du LN en s’intéressant au marché hexagonal présent et futur, dont l’actualité n’est pas en reste ces derniers mois.
Cette semaine commençons avec un petit tour d’horizon pour néophyte, suivi de quelques grands noms dans le domaine. Pour y voir plus clair sur le marché français nous vous proposons un premier bilan avant d’aborder, la semaine prochaine, les possibles perspectives avec les éditeurs du secteur.
Roman ? Nouvelle ? Essai ?
Un light novel est un roman assez court, généralement 200 pages pour 40 000 mots, à la lecture facile et visant un public assez jeune. Imprimé au Japon sur du papier de qualité modeste, il est très abordable (~3,80€) et rappelle en cela les Dime Novel (ou Pulp) américains qui suivent la même logique. En France, le phénomène littéraire comparable serait le roman de gare ou le roman jeunesse.
Des illustrateurs travaillent de pair avec les scénaristes pour proposer un univers visuel et un chara-design évidemment proche des codes du manga. C’est aussi là une des particularités majeures des LN : de trois à dix illustrations, souvent en pleine page, ponctuent la lecture. Bride à l’imagination ou cachet visuel indéniable, chacun se fera un avis sur ce point.
À la manière des mangas, les LN connaissent aussi une prépublication sérialisée en magazine puis une édition reliée ainsi que des concours de nouveaux talents. Par exemple le Dengeki Novel Prize, équivalent du célèbre Prix Tezuka, comptabilise jusqu’à 6 000 participants chaque année et offre aux vainqueurs 3 millions de yens, un illustrateur attitré et une publication dans le Dengeki Bunko, dont on peut voir quelques couvertures ci-dessous :
Enfin, il faut savoir que ce marché pèse lourd au pays du soleil levant : en 2007 il était estimé à 20 milliards de yen pour plus de 30 millions de tomes imprimés par an. Cette manne financière Kadokawa l’a bien cerné, puisque la maison d’édition possède 75% de ce marché, réparti sur des magazines de prépublication tel que Comptiq, Dengeki Bunko ou The Sneaker. Lorsque Sword Art Online ou Haruhi Suzumyia multiplient les millions de tomes vendus c’est donc dans la poche d’un seul éditeur que les recettes vont.
Une synergie cross-média
Intéressons-nous maintenant aux adaptations issues des light novel : des LN découlent très souvent une version manga et surtout un anime. C’est d’ailleurs par ces émissaires qu’ils se font connaître dans l’hexagone.
Comme tous les genres littéraires, le light novel a ses pointures. Voici donc un petit tour d’horizon de ces romanciers qui sont arrivés chez nous via d’autres formats :
Yashichiro Takahashi est l’auteur de Shakugan no Shana (mention honorable en 2001 au Dengeki Novel Prize) dont l’anime est édité par Dybex. Le 9 août débutera son nouveau roman « Kanae no Hoshi », où Noizi Itō officiera encore au poste d’illustratrice. Il a également participé à l’écriture de Bokusatsu Tenshi Dokuro-chan (publié chez nous par Black Box).
Certainement le plus médiatisé, Nisio Isin débute sa carrière en 2002, mais c’est la série des Monogatari (chez Dybex et Wakanim) en 2006 qui le font connaitre à l’international. En 2006, il « novelise » xxxHolic: Another Holic et Death Note Another Note.
Au coté d’Akira Akatsuki, il scénarise Medaka Box en 2009 et son light novel Katanagatari (chez Black Box) est adapté en anime l’année suivante.
Reki Kawahara écrit Sword Art Online dès 2002 mais c’est avec Accel World qu’il remporte le Grand Prix du Dengeki Novel Prize en 2008 et connait le succès. Cela lui permettra de publier SAO, qui a fait carton plein sur la plateforme simulcast de Wakanim en 2012. Et l’engouement pour la série ne s’arrête pas là puisque le light novel paraîtra en France cette année aux éditions Ofelbe. Son nouveau roman Zettai Naru Kodokusha est disponible depuis le 10 juin au Japon.
Ryohgo Narita gagne le 9e Dengeki Novel Prize avec Baccano ! en 2002 et commence Durarara !! l’année suivante. En 2012, il novelise Bleach avec « Spirits Are Forever With You » illustré par Tite Kubo himself.
Haruhi Suzumiya, qui compte une grosse fanbase dans nos contrées, est écrit par Nagaru Tanigawa en 2003, ce qui lui vaut le grand prix des Sneakers Awards. Ce light novel est l’un des premiers à avoir été publié en France mais le succès n’a pas pris.
Avec plus de 30 volumes parus depuis 2004, Toaru majutsu no Index de Kazuma Kamachi connaît une exceptionnelle longévité, et les saisons de l’anime s’enchainent au fil des ans.
Sans oublier Fate/Zero (préquel de Fate/stay night) que l’on doit à Gen Urobuchi, ainsi que deux novelisations de Black Lagoon en 2008 et 2011. Pour en savoir plus sur ce scénariste touche-à-tout, retrouvez cet article à son sujet, réalisé lors de l’Epitanime 2013.
Enfin, si l’on remonte dans le temps on citera l’anime Boogiepop Phantom (par Kouhei Kadono) qui nous est parvenu via Dybex en 2000, et Slayers chez Déclic Images, très populaire en France en 1996 et issu d’un light novel de Hajime Kanzaka publié dès 1990.
Aujourd’hui, le taux de conversion d’un light novel vers un anime est de plus en plus élevé, la preuve dans ce classement dont les ouvrages présents ont tous connu des adaptations.
Ce phénomène peut se comprendre par un format et un public assez proche pour ces différents médias : un public jeune, des sujets touche-à-tout, une lecture dynamique… La consommation de manga, d’anime ou de LN est sensiblement la même.
Les LN ayant été adaptés connaissent un regain de popularité qui se constate sur leurs ventes. C’est du gagnant / gagnant : les studios utilisent des œuvres qui ont déjà une fanbase et s’assurent un succès conséquent. En retour l’adaptation anime booste les vents du light novel.
Trouver sa place sur le vieux continent
Parmi les tentatives françaises on peut aller du succès relatifs… à l’échec cuisant. Dans cette seconde catégorie, Hachette a fait ses premières armes avec Dragon Brothers (CLAMP) et Trinity Blood, dont le manga était édité par Kana au même moment. Deux choix compréhensibles qui seront présentés pour convenir aux lecteurs de manga. Sortis respectivement en 2007 et 2008, l’aspect des livres ressemble à s’y méprendre à un manga mais les lecteurs ne suivent pas et les séries s’éteignent après deux tomes sur la dizaine de prévue.
L’année suivante, ultime tentative de l’éditeur avec Haruhi Suzumiya ! La fanbase sur l’internet est conséquente et le manga sort chez Pika. Toutes les étoiles semblent alignées pour que l’essai soit transformé et, pour ne pas refaire les même erreurs, un changement de cible s’opère : direction le rayon littérature avec une couverture en adéquation. Mais le karma n’est toujours pas au rendez-vous, la communication non plus, et les ventes s’effondrent.
Hachette n’étant bien sûr pas le seul à s’être planté, d’autres essais se sont avérés tout autant décevant. Au bataillon des séries dont on ne connaîtra jamais la fin, on peut citer deux œuvres de Nahoko Uehashi : Gardien de l’esprit sacré aka Seirei no moribito (1 tome sur 12) et La charmeuse de bêtes (2 tomes sur 4) édité par Milan en 2009.
Vous ne suivrez, également, que la moitié des aventures de N°6 aux Éditions du Rocher, stoppées à 5 tomes sur 9 en 2007.
En 2010 chez Glénat, The sky crawlers finit sa course à 2 tomes sur 6 et L’épée de l’empereur de Baku Yumemakura ne compte seulement que 2 tomes parus sur 5, même si son adaptation manga « Taitei no ken », elle, continue.
Coté histoire guerrière, Calmann-Levy relate en 2006 les Chroniques de la guerre de Lodoss sur quatre volumes, et Milan jeunesse s’efforcera de finir Les 12 Royaumes en douze tomes entre 2007 et 2010.
Enfin, quelques one shot parmi lesquels : Video Girl Aï et Love & Destroy de Katsura Masakazu chez Tonkam (2004 et 2006) et deux titres issus de Vampire knight, édité par Panini manga en 2010.
Malgré tout, quelques projets semblent parfois plus fructueux, notamment quand il s’agit de spin-off de séries bien installées dans les librairies. Ainsi, les six histoires annexes des frères Elric de Fullmetal alchemist nous sont parvenues chez Fleuve noir en 2006 et les deux nouvelles Death note : L change the world et Death note : Another Note via Kana en 2007 et 2008.
Tonkam creusera ses licences phares avec Gantz Minus (2011) et Alphas Zetman Another Story (2013), tout comme Glénat grâce à One Piece Gyannzak et D. Gray-man Reverse en 2012.
Même si ce tableau pourrait refroidir les ardeurs de certains, les années ont passé et le public, ainsi que le marché, ont suffisamment évolués pour que de nouveaux projets de light novel voient le jour…
C’est ce que nous verrons en seconde partie !