[Itw] Matthieu Pinon nous raconte l’histoire du manga moderne !
Que font deux journalistes spécialisés dans le manga lorsqu’ils regrettent l’absence d’un livre français sur l’histoire de leur lecture favorite ? Ils tentent de le créer bien sûr ! C’est ainsi qu’a commencé l’aventure pour nos deux confrères Matthieu Pinon et Laurent Lefebvre qui ont travaillé pour faire naître L’histoire du manga moderne, qui retrace les 60 dernières années de l’histoire du manga.
Néanmoins l’histoire reste encore à écrire : depuis le 17 mai dernier, les auteurs ont lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme « My Major Company »:http://www.mymajorcompany.com/histoires-du-manga-moderne#home afin de récolter 7500 euros pour publier 2 000 exemplaires… Projet bien engagé puisque le cap des 75% a été franchi cette semaine ! Pour apporter le dernier coup de pouce nécessaire et en savoir plus sur l’ouvrage et ses auteurs, Journal du Japon est allé à la rencontre de Matthieu Pinon, pour qu’il nous raconte cette fameuse Histoire…
Les présentations…
Journal du Japon : Bonjour Matthieu Pinon, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Matthieu Pinon :Je suis né en 1977 et j’ai toujours baigné dans l’univers des dessins animés japonais via la télé française, des Nippon Animation de Récré A2 aux shônens du Club Do. Au début des années 2000, j’ai commencé à écrire sur cet univers riche et complexe… Tellement que, quinze ans plus tard, je n’en ai toujours pas fait le tour !
Quelle est votre expérience personnelle du manga, vos titres favoris ?
Je fais partie de la génération qui a pris le manga à rebours, en commençant par les titres que je connaissais déjà via la TV, le carré magique de Glénat : Dragon Ball, Dr Slump, Sailor Moon et Ranma ½. Mais l’éditeur avait aussi sorti un titre « inédit », Gunnm, et comme beaucoup, j’ai pris ma claque. Au fil du temps, mes goûts ont évidemment changé, mais je reste un inconditionnel de Taiyou Matsumoto et de Mitsuru Adachi.
Pourquoi avez-vous décidé d’en faire votre métier et comment a débuté votre parcours professionnel dans le milieu ?
J’ai commencé par faire des piges chez AnimeLand, très ponctuelles au début, en parallèle de mes études scientifiques. Et de fil en aiguille, des relations se sont nouées malgré la distance avec les membres de la rédaction, et grâce à l’essor des technologies de communication à l’époque (aaaaah, le grésillement du modem 56k), notre collaboration s’est étoffée. Une fois venu à Paris, j’ai fini de me jeter à deux pieds dans cet univers, ma formation d’enseignant scientifique me donnant la rigueur pour contrebalancer ma passion.
Aviez-vous déjà collaboré avec Laurent Lefebvre et Nicolas Hitori De sur d’autres projets ? Si oui lesquels ?
Voilà maintenant deux ans que je travaille avec le magazine Coyote, dont Laurent fait partie. Nous n’avons pas signé d’articles ensemble, mais nous nous renvoyons souvent la balle. Il y a beaucoup de complémentarités entre nos méthodes de travail et nos styles d’écriture. D’ailleurs, détail amusant, je suis un rat des champs (angevin) monté en ville, tandis qu’il a fui les grandes zones urbaines de sa jeunesse pour le littoral breton… Quant à Nicolas, c’est une connaissance de longue date et un artiste dont nous apprécions tous deux la touche inimitable.
Et maintenant, l’ouvrage…
D’où vous est venue cette idée d’un guide retraçant l’histoire du manga ? Est-ce votre expérience professionnelle dans ce milieu qui vous a donné envie de créer ce genre de répertoire ou le passionné qui est en vous ? A moins que ce ne soit les deux ?
Les deux, et plus encore. La majorité des ouvrages de référence que je possède sont en anglais, et fonctionnent sur le même principe de catégorisation : shônen, shôjo, seinen ou par thématiques sport / action / romance / sexe… On suit l’évolution de chaque secteur, mais on a rarement une vue d’ensemble chronologique, l’axe thématique ou par catégories est souvent privilégié. Et plutôt qu’attendre que quelqu’un vienne pallier ce manque, j’ai décidé de m’y attaquer.
Pouvez-vous présenter l’ouvrage en quelques mots ? Quel est précisément votre rôle dans sa création ?
Le livre explique comment le manga est devenu un média si populaire, en suivant son évolution de son origine à nos jours, en 60 ans, de 1952 à 2012. Chaque année est détaillée sur une double page : à gauche les aspects économique, social et culturel avec les principaux faits et titres de l’année ; à droite l’aspect artistique avec le portrait d’un auteur marquant, sa bibliographie et son évolution. D’où le « s » dans le titre : les soixante histoires et portraits du livre feront émerger l’Histoire du manga dans son ensemble.
J’ai apporté l’idée principale du livre : le sommaire, le choix des auteurs et la rédaction sont réparties à part égale entre Laurent Lefebvre et moi. L’intérêt est aussi de croiser sur une même double-page l’évolution du manga et celle de la société japonaise, pour mettre en lumière certaines interactions.
Est-ce un ouvrage à destination des néophytes ou des plus grands connaisseurs ? Y’a-t-il un niveau minimum à posséder pour s’y retrouver ?
Le but est qu’il soit le plus accessible possible. Nous allons limiter un maximum l’emploi de termes spécifiques, même si certains sont incontournables. Le but est qu’il soit simple à lire et devienne l’arme ultime pour tous les passionnés : chaque fois qu’un de leurs proches sortira un cliché sur le manga, ils pourront lui caler notre bouquin entre les mains !
J’ai croisé beaucoup de parents en convention cherchant à comprendre pourquoi leur enfant se passionnait tant pour les mangas. Certains ont même fait l’effort de lire Naruto ou Full Moon o Sagashite, mais ils n’ont pas compris pour autant. Cet ouvrage a aussi été pensé pour eux, pour qu’ils comprennent les origines et l’évolution des codes narratifs, mais aussi les principes mêmes de fonctionnement de l’industrie et ce qu’ils induisent : le format, la (les) narration(s), la réactivité des auteurs vis-à-vis de faits sociaux et, avant tout, de leur lectorat.
Faciliter la lecture ne veut pas dire simplifier le fond, juste le rendre plus accessible. Les informations seront denses, et mises en vis-à-vis, elles prendront un jour différent.
Prenons un exemple concret, qui coïncide à peu près avec le début de Histoire(s) du manga moderne (1952 – 2012) : le Japon a perdu la deuxième guerre mondiale et, dans sa constitution, « renonce à jamais à la guerre ». En 1954, réapparaissent des « forces d’auto-défense », mais leur matériel est fourni par les Américains. Ce n’est pas un scoop pour les connaisseurs de manga, cette part de l’histoire a influencé de nombreuses œuvres. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est qu’avec un budget zéro pour son armée, le gouvernement a injecté ses économies dans le commerce, la technologie et… le divertissement. Sans ce tremplin, la BD japonaise n’aurait jamais atteint les chiffres de ventes faramineux des années 90.
Comment se sont effectuées vos recherches avant la création de l’ouvrage ?
A nous deux, Laurent et moi possédons un sacré paquet d’ouvrages de référence, plus une très jolie base de données (imaginez un peu, on roule chacun notre bosse depuis plus de dix ans, nos dictaphones débordent d’interviews). Néanmoins, difficile d’obtenir des informations sur les pionniers autres que Tezuka et pire encore, de l’iconographie.
Heureusement, l’histoire d’amour entre le Japon et le manga est très forte, et de nombreux musées sont consacrés aux auteurs. J’ai donc organisé un voyage au Japon pour aller y puiser directement de la documentation, mais également pour rencontrer – entre autres – les responsables des plus importants musées. Tous ont été surpris de voir débarquer un gaijin baragouinant un japonais lamentable, et tous ont apprécié la démarche du projet. Ils m’ont laissé leurs coordonnées, et je peux me tourner vers eux en cas de doute : ils sont beaucoup plus fiables que Wikipedia !
Autre point important, l’aspect économique du manga. Pour obtenir les informations des « pages de gauche », j’ai pris rendez-vous avec plusieurs éditeurs, notamment Shôgakukan, pour discuter du marché et de l’histoire économique du manga avec eux. Autant vous dire que je n’ai pas vraiment chômé !
Comment s’est effectué le choix des mangakas sélectionnés ? Quels sont les sujets abordés à leur propos ?
Dans la douleur ! La ligne directrice de nos choix tient en deux mots : « actualité » et « influence ». Quel mangaka a marqué l’actualité de cette année-là ? Quel mangaka a eu une influence cruciale sur ses pairs et les générations futures – ses lecteurs, en somme ? Les choix sont parfois évidents, d’autre fois extrêmement durs à arbitrer. Par exemple, nous avons choisi de placer Masakazu Katsura en 2002, année de Zetman plutôt qu’à l’époque de Video Girl Ai, douze ans plus tôt, car l’auteur n’a jamais caché en interview son attachement, ancien et profond, pour le premier titre. Ces choix se construisent aussi au fur et à mesure que l’on avance dans la rédaction des double-pages, on a une liste complète mais sujettes à modifications pour certaines années.
Et il ne faut pas oublier qu’à travers de ses soixante portraits, nous voulons donner un aperçu de l’éventail des genres : malgré leur succès indéniable, certains auteurs de shônen sont donc absents.
Toutefois, nous travaillons en ce moment (dans le plus grand secret, enfin, presque…) sur les « strech goals », ces objectifs qui seront concrétisés si le financement via My Major Company dépasse la somme établie au départ. Parmi ces stretch-goals, il pourrait y avoir un livret ou un chapitre supplémentaire qui permettra de dépasser le concept de « 60 années, 60 auteurs » et de souligner l’importance et le talent de mangakas ne figurant pas parmi les 60 principaux portraits.
Le financement participatif
L’histoire du manga moderne est actuellement en financement participatif, que vont permettre de faire les contributeurs concrètement ?
L’impression du livre. On ne peut pas être plus concret.
Sur la page du projet, il est dit que vous collaborez avec Le Dernier Incubateur Avant La Fin Du Monde, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Notre collaboration peut se résumer en deux points. Premièrement, la confiance : là où les éditeurs que nous avions abordé avaient refusé notre projet, le Dernier Incubateur a préféré nous fixer un challenge : rassembler 7500 € et fonder une communauté. Le second est un support logistique : l’équipe est toujours prête pour répondre à nos questions et problèmes.
Si ce projet abouti, avez-vous d’autres idées en tête ?
Après avoir essuyé les refus des éditeurs, nous avons tenté un financement sur Kickstarter pour une version anglophone du livre. Nous avons fait de nombreuses erreurs, mais nous avons reçu des soutiens à travers le monde entier, et senti une vraie demande pour un livre tel que Histoire(s) du manga moderne (1952 – 2012). Si le livre aboutit ET se vend bien, j’aimerais faire une version anglaise, ne serait-ce que pour ceux qui ont contribué à ce premier projet.
Comment vous justifiez le prix de l’ouvrage malgré la présence de ce financement ?
En fabrication et distribution, le livre est l’un des produits les plus chers à mettre en place. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a si peu de projets de bouquins en financement participatif. Nous le vendons au prix en librairie (25 €) plus frais de port (total 30 €), mais nous avons conscience que ces pré-ventes sont celles qui vont permettre au livre d’aller sous presse. Nous avons donc préparé une édition collector qui ne sera pas disponible en dehors des pré-commandes via My Major Company, un collector qui abritera de jolis bonus (un marque-pages fort utile, puisqu’il résume la liste des mangakas, année par année, mais aussi une clé USB, une lithographie, etc.) et si possible des contenus rédactionnels exclusifs via les « stretch-goals ». Car sans les contributeurs sur MMC, le livre ne se fera jamais.
Et oui, nous voulons faire un beau livre. Contrairement aux clichés, on ne parle pas d’une culture « cheap », et on ne s’adresse pas à un public « cheap ». Le revers de la médaille, c’est qu’un beau livre, grand format, avec un beau papier, ça a un coût, que l’on ne peut pas non plus abaisser en imprimant 20 000 exemplaires…
Le projet semble être en bonne voie, avez-vous un message à adresser aux lecteurs ?
Pour commencer, merci à nos contributeurs ! En nous soutenant, la démarche va plus loin qu’acheter le livre quand il sera en rayonnages, pour les fêtes de fin d’année. Au-delà de la transaction financière, nous ressentons l’envie de nos contributeurs pour l’ouvrage et pour la vulgarisation d’une culture trop souvent incomprise.
Et pour finir, j’invite vos lecteurs à visiter notre site, notamment l’onglet News.
Même si une bonne partie est réservée à nos contributeurs, nous avons tenu à fournir un contenu gratuit accessible à tous, dans cette démarche de popularisation. Le projet semble en bonne voie, mais rien n’est encore gagné : si son concept vous plaît, n’hésitez pas à nous soutenir, et encore moins à en parler autour de vous. Certains nous ont déjà filé des coups de main colossaux, comme quoi le soutien ne se chiffre pas en euros car parfois, il n’a pas de prix.
Bonne chance pour la suite du projet et à bientôt, on l’espère, en librairie !
Pour en savoir plus sur ce projet et contribuer vous-même à sa réussite, rendez-vous sur « le site »:http://www.mymajorcompany.com/histoires-du-manga-moderne#home, la « page Facebook »:https://www.facebook.com/Histoiresdumangamoderne ou le compte « Twitter »:https://twitter.com/Project6060.