[Dossier] La fièvre électro : de la Pop au … Métal
La musique électronique a depuis longtemps conquis le cœur du public japonais. Déjà dans les années 90, l’Eurodance puis ses dérivés tels que la Trance, la Dance ou encore la Techno avaient inondé les charts. On se souvient encore de l’incroyable groupe Globe, ou encore un peu plus tard du duo emblématique Capsule.
De cette époque, la J-pop a su tirer partie d’une nouvelle source d’inspiration qui continue aujourd’hui encore à faire partie intégrante du paysage musical nippon. Malheureusement, à force d’user et d’abuser du concept, la fraicheur n’est plus au rendez-vous. Ce qui, il y vingt ans, passait pour une tentative d’exploration musicale, semble s’être transformée en tentative d’exploration du portemonnaie du public. Ou comment franchir la frontière séparant le populaire du commercial.
Malgré la surexploitation du genre, il faut concéder qu’à notre époque, l’électronique ne se cantonne plus seulement à la J-pop. Alors qu’il était facile de distinguer les différentes mouvances de ce style fermement ancré dans ses carcans, nous le retrouvons à présent décliné à toutes les sauces : du Rap au Rock, en passant par la musique expérimentale, la fièvre électro est plus rependue que jamais !
–CROSSFAITH, figure emblématique de l’électro-métal // Photo par Tom Barnes–
La logique derrière ce déferlement sonore
Cet engouement répond tout d’abord aux exigences de notre temps. En effet, la société actuelle prône l’intégration en masse des nouvelles technologies. Il est donc logique que les artistes se les approprient et que le public les plébiscite. D’autre part, elle constitue également un terrain d’expérimentation aux possibilités quasi inépuisables pour les différents acteurs de la scène musicale, contribuant à la mélodie, au chant et à la création de styles musicaux comme la new wave, le rock industriel, ou plus récemment le dubstep que l’on a pu retrouver récemment dans Invader Invader de Kyary Pamyu Pamyu.
Il ne faut également pas oublier que l’industrie musicale japonaise ne cible presque qu’exclusivement le marché japonais. Vivant dans l’ère du téléchargement de masse et compte tenue du retard dans ce domaine au Japon, on comprend donc les motivations financières sous-jacentes impliquées, puisque la musique électronique est considérée comme une valeur sûre dans l’archipel.
Enfin, le syncrétisme opéré entre la musique électronique et un autre genre peut devenir un véritable tremplin capable de propulser les artistes sur le devant de la scène ou d’élargir leur public. Ainsi en surfant sur une tendance propre à la fois au Japon et à de nombreux pays ces dernières années, il n’est pas étonnant de voire des groupes japonais se produire en dehors de leurs frontières. En fin de compte, la musique électronique offre de nombreuses perspectives !
Un dénominateur commun : l’électro
Au cours des années 2000, de nombreuses formations japonaises ont ainsi adopté l’électro, mais force est de constater que le leadership est partagé. Ce sont les artistes féminins tels que Perfume, Aural Vampire ou Kyary Pamyu Pamyu qui monopolisent l’attention de la scène Pop-électro, tandis que les formations masculines règnent sur sur le Rock Alternatif à l’image d’UVERworld ou MAN WITH A MISSION. L’électro est aussi très présent dans le Rap/R ‘n B, en témoignent Soulja, M-flo et Hilchryme.
Le virus électro s’est même propagé dans les hautes sphères du Visual Kei. Il suffit d’écouter des groupes comme Girugamesh, LM.C ou encore les derniers albums de The Gazette et MUCC pour s’en rendre compte. Même MIYAVI s’y est mis dans son dernier album, comme il nous l’avouait récemment dans une interview : « Une mélodie qui se retient facilement, c’est très important : le public peut alors chanter, comme dans un karaoké. Donc avec des rythmes entraînants, des riffs de guitares bruts, j’ai décidé de rajouter plus de mélodies pop un peu plus « catchy » .»
Cependant en termes de chiffres, l’engouement n’est vraiment pas le même. L’alliance Pop-électro demeure la reine en matière de popularité. Prenons le clip le plus visionné sur Youtube de Kyary Pamyu Pamyu, Ponponpon et comparons le avec celui de MAN WITH A MISSION, Emotions. Le constat est sans appel : plus de 60 000 000 de vues contre moins de 5 000 0000.
La nouvelle génération alternative
Depuis la fin des années 2000, une nouvelle mouvance a su se faire une place de choix dans tout ce micmac : il s’agit de la rencontre entre la musique électronique et le … métal ! Ils ont pour noms CROSSFAITH ou Fear and loathing in Las Vegas, et ont réussi le pari de remettre le Métal sur le devant de la scène en alliant le genre avec des sonorités électroniques. Un mariage réussi qui séduit par son peps !
Cet essor prend sa source dans le « Métal alternatif », genre qui a fait son apparition aux USA et en Angleterre durant les années 90. L’essence même de ce courant musical repose sur le mélange des genres : d’une part on conserve la fibre métal, mais on y incorpore des saveurs plus ou moins exotiques telles que le Rap, le Funk, le Jazz … et évidemment la musique électronique.
Ainsi, le Métal industriel, le Néo métal et leurs artistes emblématiques que sont Marylin Manson, Nine Inch Nails, Limp Bizkit et autres Linkin Park (en pleine gloire dans les années 2000) vont constituer les matériaux de base sur lesquels la nouvelle scène électro-métal va s’appuyer.
Au Japon, comme d’ailleurs un peu partout dans le monde, cette génération (et la suivante) va s’approprier les codes de ces courants musicaux, va parfois contribuer à les enrichir et surtout les populariser aux yeux d’un public relativement jeune, mais plus réceptif que jamais.
Rien d’étonnant alors à ce que le premier single de CROSSFAITH, Omen, soit une reprise du groupe Hardcore/Industrial Britannique The Prodigy, ou que certaines formations Visual Kei à dominante Métal à l’image de D’espairs Ray ou plus récemment The Gazette, présentent des similarités avec l’univers Manson.
L’union de l’électro et du Métal : un mariage détonant !
Actuellement, il existe deux recettes miracles. D’une part la sauce occidentale mijotée par CROSSFAITH et consort : riffs endiablés, sonorités digitales, paroles en anglais, look occidental, des cris gutturaux associés à un chant mélodique.
Ces formations ont assailli le top des charts en un très court laps de temps, certaines étant même considérées comme des références sur la scène musicale internationale. Chacun de leurs clips vidéo fait systématiquement l’objet de plusieurs milliers voir millions de vues sur les réseaux sociaux, preuve en est que l’engouement dépasse potentiellement les frontières de l’archipel.
D’autre part, la « Japan Touch » : prenez une pincée de « kawaii », un soupçon d’originalité, un zeste d’artificiel ainsi qu’une dose de sex-appeal et vous obtenez BABYMETAL.
Ce trio, composé de trois jeunes demoiselles de 14 à 16 ans, a littéralement enflammé le public tant est si bien qu’elles ont réussi cette année à se hisser à la première place des charts d’ITunes au Japon, au Canada, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis (catégorie Album Rock/Metal).
L’alliance de cette tendance musicale portée vers des sonorités électro à l’originalité du duo kawaii/Métal forme un univers atypique et haut en couleurs. Malgré tout, cette formation se différencie des autres de part son formatage, constituant de ce fait un produit assez superficiel. Néanmoins, l’existence de BABYMETAL a le mérite de prouver que la musique métal tend à se démocratiser.
Pop, Rock, Visual Kei, Métal : on l’aura compris, la fièvre électro ne cesse de se propager, allant même là ou on ne l’attend pas. On pourrait craindre que sa surexploitation ne finisse par gangréner la scène musicale japonaise, mais le constat est sans appel : en 2014, la touche électro est synonyme de succès.