Short peace : Anthologique !
Cinq réalisateurs pour autant de superbes morceaux d’animation, un développeur pour un jeu prolongeant l’expérience initiée par les films : ainsi est bâtie l’anthologie Short peace initiée et supervisée par Katsuhirô Ôtomo, génial cinéaste que l’on ne présente plus. Verdict sans spoiler de ce projet cross-media disponible depuis le 25 avril dernier dans l’hexagone.
ANTHOLOGIE DU SENSORIEL
Trois minutes. Il suffit de trois petites minutes à l’inimitable Kôji Morimoto pour nous plonger dans l’univers de Short peace, dont il signe l’introduction. Trois minutes, un chat, deux raccords dans l’axe et un travelling arrière très exactement. Une invitation à suivre le lapin blanc et à se laisser émerveiller par les découvertes qui viendront jalonner notre chemin. Une intro placée sous le signe de l’évasion et qui annonce en quelque sorte la note d’intention d’une œuvre qu’il convient d’appréhender par le prisme de l’émotion. À l’inverse par exemple de l’omnibus Memories (dont Kôji Morimoto réalisait d’ailleurs Magnetic rose, l’excellent premier segment), qui stimulait aussi bien immédiatement le ressenti que l’intellect, Short peace semble vouloir établir avant tout un rapport sensoriel avec son spectateur. De telle sorte que le sens de l’oeuvre résidera moins dans les thématiques qu’elle traite que dans l’expérience vécue par celui qui s’y abandonnera. En d’autres termes, privilégier le viscéral sur le cérébral.
Et si en ce sens, Possessions n’est pas le film le plus puissant du lot, il n’en demeure pas moins un très bel exemple de ce que l’on vient d’expliquer, et par extension un joli prolongement de la sublime introduction de Morimoto. Par ailleurs nommé à l’oscar 2014 du meilleur court-métrage d’animation, le segment réalisé par Shûhei Morita (réalisateur de l’OAV Freedom, déjà en collaboration avec Ôtomo) part du postulat que selon d’anciens écrits, outils et instruments développeraient une âme au bout d’un siècle, afin de piéger les humains. Telle sera la thématique centrale d’un récit narrant la rencontre entre un voyageur égaré et des Tsukumogani, esprits d’objets usagés qu’il s’évertuera à réparer.
La grande force de Morita, c’est cette faculté à négocier la simplicité de son postulat et les restrictions qui lui sont liées (un huis-clos la majeure partie du temps) pour aboutir à quelque chose de très ample par la seule force évocatrice de sa mise en scène. Ce n’est pas seulement beau (la combinaison entre animation 3D et textures de papiers traditionnels japonais est un apport indéniable), c’est aussi et surtout idéalement rythmé et storyboardé. En résulte un quart d’heure brillant à tous les niveaux et dont la confiance totale en ses images suffit à faire naître l’émotion. Et Short peace de cultiver cette profession de foi de tout son long.
Réalisé par Katsuhiô Ôtomo, Combustible tend dans un premier temps à rappeler la maestria technique du cinéaste. Ce qui ne sera finalement qu’un plan-séquence introductif ranime en effet le souvenir de Cannon fodder, le segment qu’il réalisa pour l’anthologie Memories et qui n’était constitué que d’un seul et même plan-séquence de plus de vingt minutes. Seul court-métrage de l’omnibus à utiliser le format scope (des motifs remplissants les habituelles bandes noires), Combustible narre le désespoir d’une jeune femme condamnée à ne pouvoir épouser l’homme qu’elle aime, désespoir qui se matérialisera en un incendie qui ravagera une partie de la métropole Edo.
Par le dispositif scénique mis en place, Ôtomo dévoile une cohérence absolue entre son sujet et sa mise en scène, adoptant un point de vue distant dans un premier temps -pour une séquence faisant office de souvenir d’enfance pour son héroïne – avant d’aborder pleinement son sujet et nous plonger dans l’enfer qui découlera de cet événement fondateur. Le recul avant l’immersion, une volonté traduite par l’image et qui révèle très vite son efficacité en dépit de la faible durée du métrage. Non, Ôtomo n’a décidément rien perdu de sa superbe et on ne peut qu’espérer que Combustible marque le retour aux affaires d’un des plus grands cinéastes de son temps.
Réalisé par Hajime Katoki, mecha designer qui signe ici son premier film, A farewell to weapons fait partie de ces petites claques totalement inattendues éblouissant le spectateur de sa maîtrise. N’ayons pas peur des mots : par la tension qu’il crée durablement pendant une petite demi-heure, par sa science du découpage, par son impeccable gestion de l’espace ; bref, par sa sidérante mise en scène de l’action, c’est bien un chef-d’oeuvre qui achève Short peace. Un affrontement entre plusieurs soldats et une arme autonome duquel naîtra l’un des chaos les plus jouissivement mis en images depuis des lustres. Si une seule chose doit vous convaincre de vous procurer l’intégrale du projet sans hésiter, c’est bien cet ultime court-métrage d’un néo-réalisateur dont on attend désormais qu’il ne s’arrête pas en si bon chemin après un tel coup de maître.
A contrario, la perspective de profiter du jeu ne doit en aucun cas rester prioritaire, et pour cause : Ranko Tsukigime’s longest day est bel et bien la seule fausse note du projet Short Peace. Car quand bien même il serait pris indépendamment des réussites qui le côtoient, il n’est tout simplement qu’un jeu très moyen et tout à fait anecdotique.
UNE PAIX DE COURTE DURÉE
Au moins aura-t-il le mérite de ne pas voler votre temps. Restant cohérent avec la logique des courts-métrages, le jeu développé par Grasshopper Manufacture (et donc son célèbre président Suda 51, à qui l’on doit des jeux tels que No more heroes ou le très sympathique Lollipop chainsaw) se termine en moins de deux heures en ligne droite. Se présentant sous la forme d’un runner, Ranko Tsukigime’s longest day vous demandera donc simplement de terminer ses niveaux, sinon le plus rapidement possible, en tout cas de manière à ne pas vous faire rattraper par le scrolling, matérialisé notamment par des monstres voulant votre peau et unique facteur de game over.
Les ennemis parsemant les différents tableaux ne pourront en effet que vous ralentir dans le pire des cas. S’appuyant sur le minimalisme de son interface (réduite à une barre de munitions permettant de contrer le scrolling), le joueur incarne donc Ranko Tsukigime, bien décidée à venger la mort de sa mère en allant… tuer son père. Un postulat prétexte à de multiples cinématiques animées perpétuant la cohérence du projet Short peace, qui renouvelle constamment les parti-pris esthétiques (animation des cases d’un manga à la manière de ce qu’a pu faire la saga inFamous avec les comics, CGI…), autant qu’à aborder d’autres genres de jeux lors des combats contre les boss (shoot’em up, combat, plate-formes…).
Un jeu idéal pour le speed-running en somme, et qui joue ouvertement la carte du scoring.
La particularité de la progression, outre le fait d’apprendre les tableaux par cœur pour négocier au mieux le level design et gagner du temps, consistera donc à créer des chaînes pour tuer le plus d’ennemis possible d’un seul coup de lame. Comme souvent, les adversaires morts disparaissent en faisant apparaître divers effets spéciaux : ces derniers serviront ici à tuer d’autres ennemis proches, qui eux-mêmes créeront des effets qui en tueront d’autres, etc…
De même, certains effets serviront également de plateformes. Il conviendra donc de connaître chacun des opposants et la nature des FX qu’ils génèrent, de manière à optimiser le nombre d’ennemis tués, les raccourcis qu’ils peuvent créer et donc le temps nécessaire, au final, pour traverser le niveau. Certains passages ne s’ouvrent d’ailleurs qu’une fois tous les ennemis de la zone tués. Il vaudra d’ailleurs mieux prendre le temps d’apprendre patterns et FX, le gameplay se révélant particulièrement lourdingue dès lors qu’il vous faut arrêter de courir.
Bref, Ranko Tsukigime’s longest day est un éphémère plaisir de scorer, et ça s’arrête là. Il faut bien le dire, le jeu est rarement moins nerveux qu’il semble l’être de prime abord, et ne comporte surtout pas la moindre difficulté. À découvrir dans la logique d’une découverte de Short peace dans son intégralité, et bien sûr du scénario qui lui sert de fil rouge.
Vous l’aurez compris, Short peace se vit bien plus qu’il ne se joue. Et c’est bien là l’unique reproche que l’on se permettra d’adresser au projet initié par Katsuhirô Ôtomo, dont la maîtrise constante suffit à elle seule à procurer mille émotions.