Hubert Haddad et Le peintre d’éventail : « Je n’en ai pas fini avec le Japon. »
Il y a trois ans, le 11 mars 2011, survenait le tsunami qui allait dévaster le nord-est du Japon et provoquer le désastre nucléaire de Fukushima. C’est cet événement tragique que Hubert Haddad, l’écrivain voyageur et grand connaisseur des cultures orientales, et particulièrement de celle du Japon, a placé au cœur de son roman Le peintre d’éventail, paru chez Zulma en 2013.
Ce livre, court et bouleversant, s’accompagne d’un recueil au titre jumeau, Les haikus du peintre d’éventail, à lire en parallèle. Nous avons demandé à l’écrivain, venu cette année au Salon du livre de Paris présenter son dernier roman (Théorie de la vilaine petite fille), de revenir sur sa genèse.
« Le Japon me fascine »
Hubert Haddad connaît bien le Japon. Il y a tissé depuis longtemps des liens artistiques et culturels, ayant notamment écrit des préfaces pour des ouvrages ou des catalogues d’expositions publiés là-bas.
« Le Japon me fascine. J’ai une proximité avec le Japon par toutes les fibres esthétiques. La danse contemporaine, le butō, m’a beaucoup passionné. » Hubert Haddad évoque volontiers son musée imaginaire personnel, où il place bien sûr les grands classiques de la poésie, mais aussi les écrivains contemporains. « Je passe d’un romancier à l’autre. Kawabata, Tanizaki… Mishima, toujours formidable même si les japonais d’aujourd’hui sont critiques vis-à-vis de lui : c’est un peu l’Edgar Poe japonais… Je suis aussi émerveillé par le cinéma nippon. Il y a une continuité quasi dialectique entre le cinéma et le roman japonais. C’est rare que le cinéma soit dans une telle proximité avec la littérature. »
Le peintre d’éventail n’est pas son premier roman dont le cadre et les personnages appartiennent au Pays du Soleil Levant. Déjà, dans Géométrie d’un rêve, le personnage principal est un écrivain qui vient de s’installer dans une maison au Finistère, face à la mer, et qui se remémore sa vie passée au Japon, notamment une femme qu’il a aimé. « Je n’en ai pas fini avec le Japon. J’ai d’autres projets. J’ai un nouveau récit que je dois écrire, et là je suis en train de le mettre au point. » Ne pouvant en dire plus à ce stade, il reconnaît toutefois se documenter, « pas pour m’inspirer, mais pour ne pas me tromper. Ça me sert de repérage, en creux. Je veux laisser libre court à mon imaginaire. »
Des haïkus par centaines
Pourquoi tout d’un coup quelque chose va-t-il se mettre à mûrir et devenir un roman? Hubert Haddad raconte la genèse du Peintre d’éventail : de retour de Haïti, un an après le séisme de 2010 à Port-au-Prince, il est très troublé et surpris par le tsunami du Tōhoku. « Ça a redoublé l’émotion que j’ai eue. Comme si, à travers Haïti, je comprenais ce qui s’était passé là-bas. Et alors je me suis mis à écrire des haïkus. Des centaines. Jusqu’à ressentir que j’étais dans l’imaginaire. Nécessairement, la fiction était en train de se mettre en place à partir du travail poétique, et j’ai compris que ce n’étaient pas mes haïkus : c’étaient ceux de mon personnage, Matabei. »
S’incarnant par nécessité comme le personnage central du roman, Matabei est un homme qui cherche à fuir son passé qui le hante, et finit par échouer dans une pension à l’écart du monde, où il devient le disciple d’un vieux jardinier, artiste et poète, qui lui transmet son art. « Le roman s’est alors mis en place. Je n’avais pas d’idée de son déploiement : le jardin, le séisme de Kobé, l’accident de voiture, tout cela je ne le voyais pas encore. Je n’avais à l’esprit que la fin : le tsunami, et Fukushima. Je voyais mon personnage dans un champ de désolation. Le jardin a surgi, et s’est mis entre l’apocalypse et le temps de l’écriture ».
Pour Hubert Haddad, le jardin est comme une dernière accalmie avant le gouffre. Une expérience de suspension du temps, que chacun peut vivre de façon accidentelle, ou bien au tout dernier instant de son existence, lorsque l’on voit que toute la vie va se redéployer indéfiniment. C’est également ce sentiment si japonais de l’impermanence de tout chose : « C’est, dans la méditation, ce sentiment de dés-assujettissement où l’ego n’a plus cours, où il n’y a plus ni sujet ni objet. Ce lieu qu’on peut atteindre par le dépouillement, cet abandon de toutes les illusions par ce travail sur soi, propre à la culture extrême-orientale ».
Amener le lecteur à une vraie réflexion
Retour à la nature, réflexion sur l’art et sur la création, recherche du dépouillement à travers la forme poétique du haïku… Le peintre d’éventail aborde de nombreux thèmes, y compris celui de la culture et de la xénophobie, sujet cher à Hubert Haddad, né en Tunisie, et qui se définit lui-même comme un exilé. Ce n’est donc pas pour rien que ses principaux héros sont des immigrés : l’un est à moitié birman, et son disciple est taïwainais.
« J’ai voulu qu’il n’y ait pas une totale adhésion avec une culture qui, si on la prend pour argent comptant, est, comme toutes les civilisations, obturée de préjugés. Il faut toujours regarder une civilisation de manière critique, même quand on l’admire, ce qui est mon cas avec le Japon. On ne peut pas oublier ce qui s’est produit dans l’histoire ». Hubert Haddad y fait aussi allusion avec cet autre personnage, une vieille dame coréenne, que l’on devine être une de ces anciennes femmes de réconfort pour soldats japonais de la 2e guerre mondiale…
Des sujets difficiles, certes, mais abordés sans esprit de démonstration. Que ce soit dans les descriptions du jardin ou de la nature environnante, dans le style, imagé et d’une extrême précision, ou dans cette recherche presque zen du dépouillement et de l’épure, le souffle romanesque est toujours présent.
« Je crois au roman. Je crois au pacte de crédulité que l’on passe avec le lecteur, qui doit adhérer à cet imaginaire. Je ne crois pas à la distance critique de Brecht, qui est certes passionnante au théâtre, mais dans le roman, on a besoin de ce que le poète Coleridge appelait la suspension du jugement. Cela permet d’aller très loin avec le lecteur, en prenant son temps. On peut le manœuvrer, mais doucement, étape par étape, de manière très simple, et l’amener à une vraie réflexion ».
Nos remerciements à Hubert Haddad pour sa disponibilité et sa chaleureuse simplicité, ainsi qu’à toute l’équipe de Zulma pour avoir rendu cette rencontre possible.