Ventes 2013 : le manga souffre mais le seinen fait de la résistance…
Seconde et dernière partie de notre dossier sur le marché du manga en 2013. Après la publication et les libraires, place aux chiffres de vente et à la parole des éditeurs !
Sources et chiffres : de l’importance du contexte
C’est donc assez logiquement que nous nous sommes tournés vers GfK cette année, pour avoir une vision la plus globale, complète et neutre de ce secteur. Nous avons pu interviewer Raphaël Courderc, chargé de la communication pour la France et Virginie Thibierge, responsable marketing France dans le domaine du livre, qui sont revenus avec nous sur les tendances de 2013. Précisons que les chiffres de GfK se basent sur les sorties de caisse de 3 500 points de ventes à travers la France, des différents types de librairies aux grandes surfaces alimentaires, en passant par Internet et les espaces culturels comme la Fnac.
En complément de cette source principale, des éditeurs et des libraires nous ont apporté d’autres chiffres, parfois ceux de GfK, mais parfois les leurs ou ceux de l’institut Ipsos, et quelques valeurs sont issues de la numérologie 2012 de Xavier Gilbert, que vous pouvez découvrir ici. Comme dans la première partie de notre étude, nous ferons aussi référence au Bilan 2013 de l’ACBD de Gilles Ratier. Les interviews éditeurs utilisées ici sont disponibles dans leur version complète sur le site de notre partenaire, Paoru.fr. Enfin, il est important de signaler que ces chiffres sont TOUJOURS à replacer dans leur contexte, ce que nous nous évertuons à faire, à la lumière des informations que nous avons obtenu. En effet, les termes « succès » ou « échec », lorsqu’ils sont associés à un manga et à ses ventes, sont à prendre avec précaution et recul car il faut les rapporter à un secteur, un public et des thématiques plus ou moins porteuses.
Il faut aussi comparer les résultats et les objectifs initiaux de l’éditeur, qui transparaissent dans les tirages d’un premier tome (cf l’étude de Gilles Ratier pour l’ACBD qui en fournit de nombreux en annexe). Enfin, comme le dit l’adage, « la qualité ne fait pas vendre » : certains titres sont choisis par un éditeur par conviction plus que par soucis de rentabilité, et le niveau de vente ne reflète pas forcément la qualité d’un titre.
Ces précisions étant faites, passons maintenant à ces fameux résultats 2013… Et à leur analyse !
BD : le manga n’est plus la locomotive du marché
En 2013, le marché de la bande dessinée en France fait partie des quelques secteurs culturels qui font bonne figure. En effet, face à un marché du livre en recul de 2.9%, le secteur affiche une progression de 1.4% (en valeur c’est à dire en chiffre d’affaires). Une hausse notamment portée par le retour gagnant d’Astérix, vendu à 1.6 millions d’exemplaires. Malheureusement, du côté du manga, l’année est beaucoup plus morose : baisse de 8.5% du chiffre d’affaires et de 9.4% du volume de vente, soit 11.8 millions de mangas qui ont trouvé preneur.
Après avoir joué le rôle de locomotive du marché de la BD pendant une décennie, le manga est le secteur le plus en recul cette année. Le comics, lui, est en pleine explosion, avec un chiffre d’affaires en progression de 14.5% et une star du nom de Walking Dead qui s’est vendu à 520 000 exemplaires cette année.
Comme nous l’explique GfK, la baisse du manga se retrouve dans tous les circuits de vente. La grande distribution alimentaire est en recul de 12% en valeur. Les grandes surfaces culturelles voient leur chiffre d’affaires régresser de 13% mais il faut pondérer cette baisse par la fermeture des enseignes Virgin. Ensuite, les librairies de premier niveau, qui sont des libraires vendant assez peu de manga, font -12% en valeur. Enfin le block qui regroupe les librairies de second niveau, les librairies spécialisées et Internet est plus stable, et ne recule d’1% seulement. Les librairies spécialisées et Internet sont les points de vente qui ont le mieux résisté à la crise cette année.
Au niveau des 3 catégories reines du manga, le shônen connait une baisse de 10% de son volume de vente pendant le shôjo perd 18% et signe le recul le plus important. Les ventes de seinen, elles, sont en hausse de 2%. En 2012 le volume de vente en seinen passait devant celui des shôjos mais les deux secteurs restaient au coude à coude : 15% de shôjo et 16% de seinen. La tendance s’accentue cette année : 18% des tomes vendus sont des seinens contre 14% de shôjo.
Précisons que les éditeurs ont proposé moins de shônen et de shôjo aux lecteurs alors que le nombre de seinen paru a augmenté. Pour autant, la baisse du shôjo n’est pas nouvelle : en 2011 il s’en est vendu 2.1 millions d’exemplaires puis 2 millions en 2012 et la baisse s’accélère cette année car on arrive à 1.6 millions actes d’achat. Toujours pas de remplaçant de Nana ou Fruits Basket qui ont fait les grandes heures du genre.
Les derniers nés : le seinen, encore
Dans ce contexte difficile, de nouvelles séries ont tout de même tenté de se faire une place. Comme en 2012, ce sont les seinens qui occupent les premières places :
Comme l’an passé avec Prophecy, c’est Ki-oon qui remporte le macaron « meilleur lancement 2013 » avec King’s Game de Nobuaki Kanazawa et Renda Hitori, lancé en février. Ce seinen a su plaire à un public plus large que le lectorat adulte en allant trouver le public adolescent et le cœur de cible du public manga.
Une formule porteuse que l’on retrouve chez l’Attaque des Titans, autre carton de l’année, aux éditions Pika. Laure Peduzzi, attachée de presse de l’éditeur, nous apporte quelques chiffres sur cette série : « le tome 1 s’est vendu à plus de 35 000 exemplaires en six mois, et la série s’est vendu à 125 000 exemplaires au total, sur la même période. »
Si on regarde les tirages annoncés par les éditeurs dans le Bilan ACBD de Gilles Ratier, ces séries ont rencontré le succès escompté puisque le premier tome de King’s Game a été imprimé à 45 000 exemplaires, contre 44 000 contre l’Attaque des titans. Néanmoins, au-delà de ces baromètres, il est délicat de départager réellement les deux séries. Certes, ce classement annuel met King’s Game en tête, mais on peut arguer que la série compte 10 mois de parution contre 6 pour l’Attaque des Titans. En résumé on tient là deux réussites dont on suivra l’évolution en 2014.
Ensuite on constate que Ki-oon réalise un doublet avec Cesare, voir un triplet avec Green Blood sur les ventes du tome 1. Cesare fut lancé sur le Salon du Livre 2013 avec la venue de leurs deux auteurs, et cible aussi un double public : celui des lecteurs adultes de mangas mais aussi les adultes en général, avec une fresque historique en pleine Renaissance italienne. On retrouve un profil assez proche pour Green Blood, dont le mangaka Masasumi Kakizaki sait produire des histoires sombres, adultes et qui séduisent une cible adulte plus large que le seul lectorat manga.
En dehors des seinens, ce classement des ventes annuelles met en avant la réussite de Silver Spoon. Grégoire Hellot, directeur éditorial de Kurokawa, en parle en détail : « Silver Spoon a été très bien reçu, c’est un succès critique et commercial. Nous avons réussi à toucher un public qui habituellement ne s’intéresse pas forcément au manga. Bien-sûr, ce ne sont pas des ventes à la hauteur de Fullmetal Alchemist mais pour une comédie romantique qui se déroule dans un lycée agricole, les ventes sont plus que honorables, on est proche des 20 000 exemplaires sur le tome 1. » Pour information, ce premier tome a été tiré à 22 000 exemplaires, donc les attentes semblent coïncider avec les résultats.
Même tirage pour l’autre grand lancement shônen de l’année, qui arrive au coude à coude avec Silver Spoon : Assassination Classroom de Yusei Matsui, chez Kana. Avec un volume 1 publié en octobre, la série n’a pas eu l’occasion de se classer dans ce top 5 mais elle signe le meilleur démarrage shônen sur 12 semaines : 8105 exemplaires vendus, contre 7540 pour le tome 1 de Silver Spoon à période comparable. Comme dans le secteur seinen, il s’agit davantage de retenir ces quelques succès plutôt que de vouloir, à tout prix, leur donner telle ou telle médaille.
Nous avons évoqué les seinen, les shônens… quid des shôjos ? Il y en a un, en 6e place des ventes cumulées : Love Mission chez Pika, une histoire tournant autour d’un triangle amoureux lycéen. Un schéma hyper-classique mais suffisamment bien mené et contenant son lot de bonnes idées qui lui permet de se hisser dans le top 10. On peut également citer Alice au royaume de Trèfle, suite d’Alice au royaume de Cœur chez Ki-oon, qui se hisse dans le top 15. Le shôjo est donc dans une mauvaise passe depuis quelques années, il a sans doute besoin de se réinventer, mais il n’est pas mort et son lectorat n’a pas disparu… Il lit désormais autre chose, du yaoi ou du shônen par exemple, en attendant que de nouvelles œuvres se présentent.
La plupart des titres de ces tops nous arrivent après un carton au Japon. Depuis 2012, le top 10 des ventes nippones ne cessent d’être chamboulé contrairement à la France, et la première place de One Piece au classement nippon de l’Oricon n’est plus aussi impériale qu’avant. L’étude des chiffres de l’Oricon pemet d’établir le classement suivant sur la période 2012-2013 :
Au Japon, plusieurs nouveautés viennent rafraîchir les classements des ventes et exploser des records. Une partie d’entre eux parvient à faire de bon démarrage chez nous, comme l’Attaque des Titans, Silver Spoon et Assassination Classroom et ils ne demandent qu’à grandir. La baisse du marché imputée à un Japon qui n’offre plus de nouveaux hits n’est donc plus vraiment un argument absolu.
Les éditeurs mangas multiplient les analyses et tout le monde n’arrive pas forcément sur les mêmes conclusions. Regardons donc, pour finir ce dossier, comment se sont comportées les ventes des maisons d’éditions de manga et écoutons leurs points de vue… En route pour la dernière partie !
Dossier Bilan Manga 2013
* Bilan Manga 2013 : une année difficile, encore…
* Publication : une baisse équivoque
* 2013 du coté des libraires et des lecteurs…
* Ventes 2013 : le manga souffre mais le seinen fait de la résistance…
* Editeurs manga : la difficile équation de la visibilité