Editeurs manga : la difficile équation de la visibilité

En 2013 la quasi-totalité des éditeurs ont vu leur volume de vente reculer, selon les chiffres Gfk.

evolution vente éditeurs manga 2013

On peut aussi dresser la répartition des parts de marché (ou pdm) de chaque éditeur, en volumes de vente toujours :

Parts de marché des ventes éditeurs manga 2013

Des leaders inchangés mais pas inébranlables…

Plus que jamais, le marché du manga paye sa dépendance à quelques best-sellers qui ont ralenti leur rythme de publication et qui commencent à vieillir. Les trois éditeurs leaders du marché, Glénat Manga, Pika et Kana, se partagent les trois blockbusters et l’évolution de leur volume de vente est fortement lié à la forme de One Piece, Fairy Tail ou Naruto. Seulement voilà, les ventes de fond sont en reculs sur deux d’entre eux, One Piece et Naruto, alors que Fairy Tail est en progression.

One Piece

Dans le cas de One Piece, si Gfk nous indique une tendance à la baisse des ventes, Stéphane Ferrand, directeur éditorial de Glénat Manga, réplique que la série continue de recruter de nouveaux lecteurs : « 2012 marquait une année record dans le recrutement avec 64 000 nouveaux lecteurs. 2013, dans un contexte exécrable, One Piece performe à 66 000 nouveaux lecteurs du volume 1. Record battu. »

Précisons aussi qu’en 2012 les fans de Luffy profitaient de six volumes, deux anime comics, un guide book, un artbook et un roman, alors que seuls quatre nouveaux volumes de One Pièce ont été publiés en 2013. Malgré cette différence la série reste, en définitive, confortablement installée sur son fauteuil de leader : environ un nouveau manga vendu sur cinq était un One Piece cette année.
Toujours leader du marché manga, Glénat Manga recule notablement cette année (-16.3%) mais vend tout de même plus de trois millions de mangas. Concernant cette baisse, Stéphane Ferrand rentre dans le détail : « on notera pour 2013 une très belle tenue des ventes d’office, équivalentes à celles de l’année dernière, mais un problème sur les ventes de fond, qui sont en nette baisse. » Le ralentissement de publication de One Piece, évoqué plus haut, pèse également, à hauteur de 350 000 exemplaires selon notre interviewé… « Ceci expliqué, et cette différence ainsi retrouvée, on comprend qu’à côté du cas One Piece très impactant, en fait, notre programme de nouveautés s’est très bien maintenu et a trouvé son public » conclue-t-il.

En plus de One Piece, l’éditeur peut aussi compter sur des succès récents, comme Chi une vie de chat dont les ventes ont explosé l’an dernier (600 000 exemplaires vendus depuis 2010). L’éditeur a une nouvelle fois mis la série sous les projecteurs fin 2013 en invitant Konami Kanata, l’auteure de la série, au Salon du livre Jeunesse de Montreuil (retrouvez notre interview, disponible ici). D’une manière générale, Glénat Manga cherche à capitaliser sur ses middle-sellers très nombreux (Bleach, Gunnm Last Order, Berserk, Les Gouttes de Dieu) et déployer son offre comme Stéphane Ferrand l’explique lui-même : « j’essaie autant que possible de déterminer des nouveautés dans chaque domaine de notre catalogue qui en compte sept (shônen, shôjo, seinen, vintage, art of, roman, kids – et bientôt Erotic), afin d’élargir le public et de ne pas capitaliser sur un seul lectorat. »

Fairy Tail

Toucher un public le plus large possible, tel est aussi le désir des éditions Pika qui a proposé cette année sa collection Disney ou encore des romans graphiques. Fairy Tail, comme nous le disions plus haut, continue de progresser. L’attachée de presse des éditions Pika, Laure Peduzzi, nous précise que les ventes ont augmenté de plus de 20%, selon les chiffres de l’institut Ipsos. Si on compare cette tendance aux résultats de 2012 la série de Hiro Mashima a dépassé un autre cap symbolique en 2013 : celui du million d’exemplaires vendus.
Avec Fairy Tail et l’Attaque des Titans, Pika parvient à toucher le cœur de cible du public manga mais Kim Bedenne, la responsable éditoriale de Pika, continue de rechercher des titres qui sauront se montrer universels et pourront plaire au plus grand nombre. En 2014, elle mise notamment sur le titre d’aventure Seven Deadly Sins (qui sort ce mois-ci) pour enthousiasmer les lecteurs de tous horizons.
Comme Glénat, Pika cherche aussi à remettre au goût du jour son fond de catalogue en produisant des volumes doubles de ses grands succès : Negima ! et Tsubasa Reservoir Chronicle par exemple. L’éditeur s’associe également avec des auteurs qui ont contribué notablement à l’univers du manga, comme Yumiko Igarashi en 2013 ou Kaori Yuki que l’on pourra prochainement rencontrer au Salon du Livre de Paris.

Naruto

En termes de volume de ventes, Pika recule de 3% mais continue de creuser l’écart avec son poursuivant, Kana, qu’il avait dépassé d’une courte tête l’an dernier. Chacun vend environ deux millions de manga et publie, peu ou prou, le même nombre de nouveautés. Tout se joue donc sur le volume des ventes de leurs blockbusters. Concernant Naruto, justement, chaque nouveau tome reste la meilleure vente du marché du manga, à 165 000 exemplaires sur 12 mois comme l’explique ici Christel Hoolans, directrice éditoriale chez Kana. Mais les ventes du fond freinent et, après 12 ans d’existence, il se vend désormais 300 tomes 1 chaque semaine.
Cela n’empêche pas quelques bonnes surprises chez l’éditeur franco-belge cette année, avec Assassination Classroom que nous déjà cité, mais aussi Buster Keel dont les nouveaux tomes se vendent en moyenne à 12 000 exemplaires. Vient ensuite Gamaran, dont le tome 1 s’est déjà vendu à plus de 10 000 exemplaires et Hell’s Kitchen qui a dépassé les 6 000 lecteurs. Enfin, on notera des bonnes ventes avec des titres logiquement plus confidentiels : Les Pieds bandés de Li Kun Wu, un one-shot sorti en mars 2013 déjà au-dessus des 12 000 exemplaires vendus, et l’intégrale d’Albator, un pavé de 1088 pages publié à 5000 exemplaires, qui s’est retrouvé en rupture de stock en seulement 4 semaines.

Exister face aux poids lourds…

Ces trois mastodontes du shônen trustent environ un tiers des ventes et les éditeurs qui les possèdent représentent 60 % des ventes du marché. Réussir à s’imposer avec d’autres titres est extrêmement difficile. Lorsqu’on demande aux éditeurs où sont les successeurs de ces séries, les avis divergent. Medhi Benrabah, le nouveau directeur éditorial de Kazé Manga s’exprime à ce sujet : « il s’agit de licences qui sont déjà dans nos catalogues et qui exploseront plus tard. Tous les shônens en haut de la liste sont des séries fleuves, certaines arrivant à la fin pendant que d’autres continuent. Mais il faut du temps pour s’installer à cette place. One Piece n’a pas cartonné dès le début, je crois que le déclic a commencé à se faire au tome 20, de souvenir.
Il faut une exposition qui se fasse à différents niveaux, que le bouche à oreille transforme ça de boule de neige à avalanche. Éventuellement qu’il y ait un effet de mode à un moment… Va savoir si Johnny Depp et Pirates des Caraïbes n’y est pas pour rien dans le succès de Luffy, personne ne sait ! La touche indispensable est – et reste – la case télé, qui a fait ses preuves de Black Butler à One Piece en passant par Fairy Tail. Ça change la donne.
»

Le problème reste que ce passage télé est loin d’être évident, les places sont peu nombreuses et déjà occupées. Grégoire Hellot, directeur éditorial de Kurokawa, revient sur ce problème : « l’omniprésence de One Piece et de Naruto à la télévision fait qu’il est difficile de prendre leur place ou même d’exister. Tant que Game One continuera de mettre cinq épisodes de Naruto ou d’autres chaînes feront pareil pour One Piece plutôt que de multiplier les séries c’est plus difficile d’exister face à eux. […]

Chaînes TV D8 J-one Mangas Game One

C’en est même ridicule car quand tu regardes ton programme télé, il y a cinq ou six chaînes qui diffusent de l’animation japonaise mais ça se résume à trois séries. On ne laisse pas la chance aux autres. Heureusement il y a eu l’arrivée du simulcast sur J-one et sur la chaîne Manga qui ont permis aux nouveautés d’avoir une place. Si je prêche pour ma paroisse je dirais par exemple que Magi et Silver Spoon ont pu exister aussi grâce à ça. Ça fait deux séries que l’on n’aurait jamais pu voir entre deux après-midis complètes de best-of Naruto. »

Pour l’instant, lorsqu’on regarde les ventes actuelles sur le secteur du shônen, on voit bien qu’une grande partie du chemin reste à parcourir. Des middle sellers comme Soul Eater ou Bakuman, qui se vendaient à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires à chaque nouveauté s’achèveront en 2014 et libèreront un peu de place pour de nouvelles réussites, mais les fins de Naruto, Fairy Tail ou One Piece ne sont pas encore dans les plannings. Si on se tourne vers les jeunes séries qui sont arrivées en 2011 ou 2012 dans l’hexagone, on peut citer Blood Lad (15 000 exemplaires par tome), Buster Keel à (12 000 ex. par tome), Blue Exorcist (12 000 ex. par tome) parmi les meilleures ventes des jeunes shônens.

Pour d’autres, c’est plus difficile… Au titre de la comparaison avec le Japon, il est utile de citer Kuroko’s Basket, numéro trois des ventes au Japon en 2013 mais qui peine à déployer son potentiel en France, à 4500 exemplaires vendus par nouveau tome. Et on ne parle pas de séries plus anciennes qui se vendent encore en millions d’exemplaires au Japon mais qui font office de boulets commerciaux dans les catalogues français, intéressants quelques centaines de lecteur (Gintama, Inu Yasha, Reborn, etc.)
L’encombrement et le manque de visibilité face aux mastodontes ont-ils envoyé certaines séries à l’abattoir ces dernières années ? La question se pose et les résultats prouvent en tout cas que la communication et le marketing ont leurs limites.

Il semble alors clair aujourd’hui que destituer ces best-sellers de leur vivant est impossible. Mais même leur remplacement dans quelques années à ce niveau de vente n’est pas évident non plus. « Les Naruto et One Piece ont atteint ce niveau de vente car ils ont pu se faire une place dans un marché qui était beaucoup moins chargé que maintenant. » précise Christel Hoolans. En effet, quand Naruto est arrivé en France, en 2002, il n’y avait que 377 sorties mangas cette année là, soit 4 à 5 fois moins que maintenant (cf graphique ci-dessous). Comme le conclut la directrice éditoriale de Kana, « ils seront sans doute remplacés par plusieurs séries middle-sellers, comme dans le marché de la BD par exemple, où les best-sellers ont tendance à chuter et les middle-sellers à se multiplier. C’est moins bien pour l’éditeur mais l’offre est plus diversifiée. »

Evolution de publication manga

Challengers : le cas des trois K

Kurokawa, Ki-oon et Kazé sont les trois éditeurs qui trustent depuis plusieurs années les 4, 5 et 6e place des classements de parts de marché. Ces trois maisons d’éditions nées entre 2003 et 2005 ont pourtant connus trois destins très différents…
Kurokawa est arrivé sur le marché en tant que l’éditeur manga d’Univers Poche, en amenant un blockbuster dans ses valises : Full Metal Alchemist de l’éditeur nippon Square Enix. De là, il devient le 4e éditeur en part de marché et en volume de vente. En 2009, il déniche une autre perle chez le même éditeur : Soul Eater.

Vinland Saga

Néanmoins, les succès sont toujours difficiles à renouveler et c’est dans d’autres secteurs que le shônen que l’éditeur trouve de nouveaux relais de croissance : le grand public avec les Vacances de Jésus & Bouddha ou Vinland Saga, mais aussi les secteurs des plus petits et celui des jeux vidéo qui permettent des réussites comme Pokémon et plus récemment Inazuma Eleven, qui se vend à 25 000 exemplaires par volume, en moyenne.

Néanmoins, depuis la fin de Fullmetal Alchemist et le ralentissement de la publication de Soul Eater, Kurokawa voit ses ventes se tasser, même s’il maintient sa part de marché aux alentours de 8%. Sans une véritable locomotive, il risque fort de se faire dépasser par un concurrent : Ki-oon. D’ailleurs, selon l’angle pris, c’est déjà arrivé. Après avoir dépassé Kazé Manga l’an passé, Ki-oon est maintenant au coude à coude avec Kurokawa : il est derrière lui en volume de vente mais devant lui en valeur.

Goggles

Ahmed Agne, l’un des deux fondateurs de Ki-oon, explique l’augmentation de leur chiffre d’affaires par la réussite de leur collection Latitudes sous l’impulsion de Kaoru Mori, lauréate Angoulême 2013, mais aussi de leur dernier né, Goggles. Avec un prix moyen du manga autour proche des 7.5 euros, la vente de plusieurs milliers d’exemplaires de ce titre à 14 euros permet à leur chiffre d’affaire de monter plus vite que ses concurrents. Si on y ajoute les succès des bons lancements cités plus haut, on peut dire que Ki-oon fête ses 10 ans d’existence avec un relatif sourire.

Le sourire est moins au rendez-vous pour Kazé Manga, originellement Asuka, le premier né des trois challengers, en 2003. Après quelques années fastes depuis leur rachat par Vizz Media – la société des éditeurs nippons Shueisha, Shogakukan et Sho Pro – l’éditeur remet à plus tard le raz-de-marée attendu. En effet, porté par cette acquisition, Kazé Manga a connu une croissance explosive de 2009 à 2011, doublant sa part de marché en volume de vente et augmentant nettement son nombre de publication : 192 en 2011, un record. Début 2012, l’éditeur envisageait même d’accélérer la tendance, comme l’explique Raphaël Pennes, l’un de ses fondateurs : « de manière générale, sur une vision à plus long terme, nous devrions nous placer à environ 25 livres par mois d’ici 2015. Ce sera notre vitesse de croisière ».

Mais après quelques années de publications tous azimuts, Kazé Manga comprend que la publication massive n’est pas forcément une solution – en tout cas pas sans blockbuster au catalogue – et ne porte pas forcément ses fruits. Avec une équipe éditoriale classique, impossible de défendre correctement plusieurs séries par mois, et beaucoup de titres passent à coté de leur public à l’époque.
Pour autant, le succès de la série Beyblade, dans leur collection Kids, leur permet d’avancer : 100 000 exemplaires sur 5 tomes et 30 000 exemplaires du tome 1 en 2011. Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et Beyblade s’est achevé cette année. Des nouveaux nés de la licence reviennent en 2014 mais pour 2013, on constate une chute des résultats de -16.5% en volume. L’éditeur n’a pas encore trouvé de remplaçant à la hauteur, même si quelques nouveautés de l’année, comme Terra Formars et Monster Hunter Flash, se sont bien comportés (entre 7500 et 8000 exemplaires vendus par tome, en moyenne).

Terra Formars Monster Hunter Flash

Delcourt et Panini : du shôjo, des polémiques et du volume…

Le shôjo souffre depuis quelques années et entraîne dans sa chute plusieurs éditeurs, mais il n’est pas le seul responsable du sort de Tonkam, Delcourt, Panini ou même Soleil, qui sont dans des formes assez différentes. Pour Akata / Delcourt le bilan est sans appel : en cinq ans, la part de marché en volume de ventes a été divisée par 2, avec un volume de publication relativement stable entre 80 et 100 nouveautés. Les ventes reculent encore de 20% cette année. Même perte en volume chez Tonkam cette année, avec un catalogue plus généraliste pourtant. en cinq années, cet éditeur historique a perdu un tiers de sa part de marché en volume malgré sa tentative d’augmenter son nombre de publication, avec un pic à 152 nouveautés en 2012 qui n’a pas permis d’enrayer la baisse de ses ventes.

Malheureusement pour lui, Tonkam souffre également d’un problème d’image, avec une ligne éditoriale très disparate et une communication qui lui a valu bien des soucis cette année : incompréhensions, polémiques et trolls ont enflammé leur page Facebook, prouvant que le rapprochement entre un éditeur et son public sur le terrain des réseaux sociaux peut se transformer en guerre des tranchées dans un champ de mines. La perte de part de marché de Delcourt s’est elle aussi accompagnée de tensions, éclatant aux travers d’autres polémiques entre Akata et le magazine Animeland par exemple (un magazine lui-même en grande difficulté financière)

Jojo Bizarre Adventure Parapal

Au-delà du bruit et du buzz, la section du groupe Delcourt finit l’année 2013 avec de réelles modifications : départ d’Akata qui se lance dans une aventure solo et fusion des services de Tonkam et Delcourt pour la presse mais aussi sur un plan éditorial puisque Tonkam n’est plus un éditeur à part entière mais une collection du groupe Delcourt.

Scarlet Fan

Au sein de cette réduction, on peut noter la bonne tenue des éditions Soleil Manga. Pour son dixième anniversaire, il fait partie des rares éditeurs qui a vu son volume de ventes progresser de 3%. Avec un catalogue composé à 75 % de shôjo, on pourrait s’attendre à un désastre mais Iker Bilbao – le directeur éditorial de Soleil Manga – expliquait début 2013 qu’il ne sentait pas spécialement de ralentissement, en tout cas pas de manière uniforme : « En fait c’est surtout le shôjo fantastique qui souffre énormément chez nous. Je pense que les éditeurs veulent continuer d’insister et ont raison. Nous avons insisté avec Baroque Knights, nous continuons avec Scarlet Fan car il y a quand même des excellents titres qui sont faits dans ce domaine. »

A l’opposé, leur cœur de cible qu’est le shôjo romantique se porte bien et d’autres catégories sont elles aussi en bonne forme : « nous avons rencontré un beau succès avec les shôjos gothico-érotique du type Midnight Devil ou Beauty and the Devil donc là aussi nous allons continuer. » Au final, d’après les chiffres de GfK, le groupe Delcourt pèse aujourd’hui 8.6% en part de marché, et se retrouverait 4e si on le considère comme un seul bloc, tout juste devant Kurokawa… Mais avec la bagatelle de 344 nouveautés contre 79 pour Kurokawa.

Enfin, pour finir avec les spécialistes du shôjo – et du josei dans le cas présent – il y a le cas de Panini, qui développe une stratégie éditoriale aux allures de tactiques comptables pour tenter de maintenir son volume de ventes. En passant de 65 sorties en 2011 à quasiment le double en 2013, 123 pour être précis, rien n’y fait, même l’ouverture d’une page Facebook et d’un compte Twitter après une décennie de silence radio : l’éditeur continue de perdre des part de marchés de manière constante, avec une baisse de 12.6% en volume sur 2013.

Si ces baisses sont réelles et importantes, il est important de préciser qu’il est toujours plus difficile d’atteindre les tops des ventes en proposant du shôjo. Les shônens réunissent désormais des publics masculins ET féminins mais le shôjo n’a pas encore réussi ce tour de force. Les shôjos qui dépassent les 10 000 exemplaires vendus par tome peuvent donc être vus comme de belles réussites. Chez Soleil, Iker Bilbao évoquait des ventes entre 8 et 12 000 exemplaires sur les tomes 1 de ses succès les plus récents comme Romantic Obsession et Kiss of Rose Princess.
Au final, on retrouve donc Delcourt, Tonkam, Soleil et Panini entre 2.5 et 3.5 % de part de marché, c’est-à-dire entre 300 et 400 000 exemplaires vendus en 2013 chacun. Les stratégies de publication massive semblent échouer, comme dans le shônen, mais la désaturation du marché n’est pas encore une stratégie unanime.

Last but not least : les petits éditeurs…

Nous venons de présenter le top 10 des éditeurs mangas, qui cumulent tout de même 93% du marché du mangas en volume. On retrouve ensuite plusieurs éditeurs autour de 1% de part de marché, qui ont donc vendu entre 100 et 150 000 mangas cette année.

Spice and Wolf

En 11e position on retrouve Taifu / Ototo dont les deux labels réussissent de manière assez différente : Ototo, qui représente entre 15 et 20% des ventes, est en pleine progression, doublant son volume de ventes par rapport à 2012 (l’année de son lancement). Mais Taifu peine et perd 15% de son côté. L’attaché de presse de Taifu / Ototo, Guillaume Kapp, nous explique l’une des raisons de leurs difficultés : le manque de visibilité en librairie. Les libraires rechignent à exposer voir même à commander du yaoi. Pour parer à cet inconvénient, l’éditeur a riposté en ouvrant son propre site de VPC, Point manga.com, mais a aussi multiplié sa présence sur les salons de j-loisirs.

Ensuite on retrouve Doki-Doki et sa maison mère Bamboo, qui signe l’une des rares progressions : +7.5% de son volume de ventes. Lorsqu’on demande à Arnaud Plumeri, le directeur éditorial de Doki-Doki, pourquoi il fait partie des rares éditeurs en progression cette année, il évoque une publication restreinte, centrée sur quelques titres : « Déjà, notre credo est resté le même depuis des années, nous essayons de publier peu mais de publier bien : 4 ou 5 titres par mois. Et puis quelque part, nos bons résultats doivent avoir un rapport avec le choix de nos titres qui semblent parler aux lecteurs. Cela prouve que l’on peut avoir des résultats sans blockbuster au catalogue. J’espère que nos confrères limiteront un peu leur production en 2014, afin laisser souffler un peu le marché. »

Sun Ken Rock

Il explique ensuite que, derrière leur leader Sun Ken Rock qui se vend à près de 15 000 exemplaires par tome, « la majorité de nos titres s’écoulent entre 5000 et 10000 exemplaires. C’est le cas de titres tels que Freezing, Tales of Xillia Side Milla, Servamp ou encore Iris Zero.»
Finissons en citant Casterman – Sakka, dont les ventes reculent avec la fin de Thermae Romae, Ankama, qui a mis de côté ses titres japonais et mise sur les auteurs français (City Hall, Radiant), le nouveau Komikku, qui a vendu environ 35 à 40 000 exemplaires de ses premiers titres, au même niveau qu’Akileos et Booken Manga. Ce dernier, en pause pendant quelques mois, semble reprendre du poil de la bête et progresse de 15% en volume de vente. Légèrement plus bas, on retrouve, les éditions Fei et les éditions Clair de Lune. Pas de chiffres pour Isan Manga pour le moment, mais on ne peut supposer de rien car le modèle économique de l’éditeur est basé sur un faible nombre de tirage et donc de ventes.

En conclusion…

Gfk nous confie que, sur 2014, le mois de janvier indique que les ventes continuent de suivre la même tendance, et il reste difficile de voir si ces chiffres vont se stabiliser dans le futur. Le secteur est tout de même arrivé à un plancher car le public cible continue d’acheter du manga. L’édition est un marché d’offre donc il suffit d’un ou deux best-sellers pour relancer le secteur. En attendant, que faire face à la baisse ? Diminuer le nombre de sorties ?

« Il ne faut pas diminuer le nombre de sorties, il faut le maîtriser. » Explique Stéphane Ferrand « La baisse du nombre de volumes n’est pas une manière de soutenir le marché, bien au contraire. Il s’agit donc plutôt de stratégie d’investissement, plus affinée, plus étudiée, choisie titres à titres. Notre but n’est pas finalement d’éditer moins, mais d’être prêts quand le marché rebondira, et être pertinents sur tous les secteurs.
En la matière, nous le serons, car nous n’avons pas beaucoup de titres en attentes, pas mal de titres qui se terminent, un regard en permanence tourné vers la nouveauté et une proposition catalogue qui s’est enrichie de cinq nouvelles collections en développement lent mais qui suivent l’évolution des publics. Soient huit voies de publications, pour tout type de publics, tout âge, et de toute nature, en attendant les prochains projets…
»

Une sélection plus affinée est mise en place par l’arrivée de personnes bilingues aux postes clés dans le choix des licences : Medhi Benrabah, le nouveau directeur éditorial de Kazé Manga lit le Japonais, Kim Bedenne chez Pika est bilingue et a travaillé plusieurs années au Japon chez Kodansha et, enfin, Satoko Ibana est une nouvelle assistante éditoriale franco-japonaise arrivée début 2013 chez Glénat. Les éditeurs qui affinent leur sélection de licence avec une lecture directe des œuvres représentent donc, désormais, une majorité du top 10.

Editeurs mangas

Mais en attendant que ces talents éditoriaux trouvent de nouvelles perles, que faire face à la crise actuelle et cette tendance à la baisse ? Laissons la parole à Grégoire Hellot, pour finir…

« C’est vrai que c’est un casse-tête. Le cœur du public manga vieillit, donc ça on n’y peut rien. En conséquence il se lasse et s’ouvre à d’autres horizons, il n’y a pas que les mangas : une explosion des comics, les gens retournent au cinéma, il y a toujours plus de séries télés, etc., ce qui fait que les gens ont moins de temps pour lire.

Et puis, après, il y a la jeune génération qui achète moins malheureusement. Par contre, j’ai toujours dit qu’il fallait s’élargir à un nouveau public, d’où Jésus & Bouddha, Resident Evil et Pokémon.
Après, c’est à chaque éditeur de trouver une solution. Ce n’est pas à nous de changer le public, c’est à nous de nous adapter au public. Notre métier, c’est de proposer des livres et si les gens n’en veulent pas, c’est à nous de réfléchir à des alternatives !
»

Remerciements à nos nombreux collaborateurs, éditeurs et libraires, pour leurs témoignages essentiels à la richesse de ce dossier. Le voici dans son intégralité :

* Bilan Manga 2013 : une année difficile, encore…
* Publication : une baisse équivoque
* 2013 du coté des libraires et des lecteurs…
* Ventes 2013 : le manga souffre mais le seinen fait de la résistance…
* Editeurs manga : la difficile équation de la visibilité

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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