Portrait d’écrivain : Akiyuki Nosaka, des lucioles et des fantômes
Si le nom d’Akiyuki Nosaka vous dit quelque chose, c’est probablement pour son court roman (ou plutôt sa nouvelle) La tombe des lucioles, texte en grande partie autobiographique, dont Isao Takahata a réalisé l’adaptation animée que tout le monde connaît, « œuvre fondatrice »:http://www.buta-connection.net/films/hotaru_creation.php du studio Ghibli.
En effet, nous avons tous en mémoire les images bouleversantes de ce film devenu un classique, sorti au Japon le 16 avril 1988, soit le même jour que Mon voisin Totoro, de Hayao Miyazaki.
Cependant, en raison de la « patte » du réalisateur Takahata, ces images occultent la singularité du style et de l’inspiration de l’écrivain, et la réédition bienvenue, fin 2013 chez Picquier, d’un autre classique de Nosaka : Le dessin au sable, nous donne l’occasion de nous pencher sur l’œuvre d’un des auteurs les plus originaux de la littérature japonaise contemporaine.
La biographie d’Akiyuki Nosaka en elle-même est un véritable roman, et la trajectoire de sa vie, presque impossible à résumer. Orphelin de guerre, pensionnaire d’une maison de correction, il a exercé tous les métiers de la débrouille (il a même vendu son sang!) avant d’entrer de façon spectaculaire sur la scène médiatique avec son premier roman, Les pornographes, en 1966. Avec un gros succès public et de surcroît une critique élogieuse du grand Mishima, le voilà devenu du jour au lendemain un grand nom de la littérature nippone.
Tout en continuant une carrière littéraire féconde, il multiplie les expériences, comme si le fait d’avoir survécu aux bombardements, à la misère et à la tentation de la pègre lui avait donné envie de vivre plusieurs vies en une seule. Tour-à-tour (ou simultanément) journaliste, boxeur, chanteur de variétés (plusieurs disques enregistrés!), manager d’une équipe de rugby (si !), scénariste pour la télévision ou le cinéma, et même sénateur, il brouille les pistes avec gourmandise. Au fond, le seul domaine où on arrive encore à le suivre, c’est celui de l’écriture. Focus sur ses thèmes de prédilection.
Les pornographes : le sexe c’est la vie
Premier roman de Nosaka, qui le propulsa au devant de la scène littéraire japonaise, Les pornographes (« Picquier, 1996 »:http://www.editions-picquier.fr/catalogue/fiche.donut?id=39&cid=) est l’odyssée picaresque d’un duo de pieds nickelés qui, dans les années 60, tentent de faire de leur passion pour le voyeurisme un métier, et mettent sur pieds un business d’enregistrements porno amateur. Un contrepoint politiquement incorrect du miracle économique japonais de l’après-guerre.
Aussi drôle qu’insolent (et à réserver à un lectorat averti), Les pornographes montre déjà par allusions certains thèmes qui s’imposeront dans d’autres textes : la mort, la guerre, le malheur. À noter que Shohei Imamura (La ballade de Narayama, L’Anguille …) en tira une adaptation cinématographique en 1966.
Le tombeau des lucioles : le choc
Si le film (évoqué plus haut) fascine autant qu’il heurte, le texte de Nosaka (« Picquier, 1988 »:http://www.editions-picquier.fr/catalogue/fiche.donut?id=23&cid=) se montre bien plus brut de décoffrage – si c’est encore possible – en adoptant un ton résolument cru, direct, dénué de toute emphase et de tout mélodrame.
C’est ce qui le rend probablement plus déchirant encore. La mort d’un enfant est, pour nous occidentaux, un tabou artistique absolu, qui renvoie à nos angoisses les plus profondes. Ici, il est abordé frontalement, annoncé dès la première page, sans doute parce que le héros, Seita, n’est autre qu’Akiyuki Nosaka, réglant ses comptes avec la culpabilité d’avoir survécu. Un texte fort, difficile, dont on ne peut ressortir indemne.
Picquier a la bonne idée de compléter cette édition par un second texte d’une toute autre facture, Les algues d’Amérique, d’une ironie grinçante, mettant en scène un entrepreneur japonais fasciné par les USA qui va déchanter lorsqu’il invitera chez lui un couple d’américains en vacances. Une vision joyeuse et féroce des relations d’amour-haine entre le Japon et les États-Unis.
La guerre, encore et toujours
La famine, les bombardements et leur cortège d’horreurs sont également le thème d’un recueil, sobrement intitulé Contes de Guerre, et édité chez « Seuil »:http://www.seuil.com/livre-9782020539623.htm en 2003. Bien que les héros y soient souvent des animaux – une baleine, un perroquet, un éléphant, une louve – les six textes qui le composent se révèlent d’une cruauté étonnante pour un livre destiné aux enfants. Plaidoyer contre l’absurdité de la guerre, sa lecture est aussi éprouvante que La tombe des lucioles.
Le dessin au sable : humour, violence et fantastique
Finalement, s’il fallait un seul titre pour résumer l’œuvre atypique d’Akiyuki Nosaka, il se pourrait bien que ce soit Le dessin au sable et l’apparition vengeresse qui mit fin au sortilège (titre complet, ouf!). Dans ce court roman (Picquier, 2003, « réédition 2013 »:http://www.editions-picquier.fr/catalogue/fiche.donut?id=909&cid=), Nosaka remonte à l’époque de l’ère Edo, soit au Japon du début du 19e siècle. Pas celui des samouraïs, abondamment documenté par de nombreux autres auteurs, mais celui des petites gens, mendiants, boutiquiers, prostituées, chiffonniers, qui vivotaient aux abords des grandes villes en plein développement.
L’histoire : une jeune fille recherche son père dans les bas-fonds de Nagasaki, munie d’un indice : un dessin magique représentant… le sexe de sa mère, une courtisane morte dans le dénuement. Elle-même meurt au début du récit, pour revenir… sous la forme d’un fantôme vengeur, usant de ses charmes pour châtier les hommes qui ont ruiné son destin…
Le dessin au sable est un concentré des thèmes de prédilection de Nosaka : fantasmes (très) inavouables, corruption des mœurs, sexe et mort, avec une verve et une poésie qui transcendent le scabreux pour lui donner une portée universelle. Le dessin au sable est sordide en apparence seulement, mais il serait dommage de ne pas tenter le voyage : l’imagination et l’humour sont au rendez-vous, et invitent à la découverte d’un écrivain à part, qui n’a pas fini de dérouter et de fasciner.