Lever de rideau sur Le Vent Se Lève
Le prochain Ghibli, Le Vent Se Lève, sort le 22 janvier dans les salles françaises. C’est le premier a être réalisé et écrit par Hayao Miyazaki depuis Ponyo Sur La Falaise, sorti mi 2008. Auto-annoncé comme étant la dernière production du maître, il aborde des thématiques neuves, et d’autres qui lui sont chères. Critique en avant-première et sans spoiler pour vous faire patienter.
Pitcher un Miyazaki relève de l’exercice rhétorique, tant on sait à l’avance que ça va être bien. Notre confiance à tous est gagnée depuis longtemps : en dix films, le réalisateur a multiplié les genres, histoires et références, toujours avec une réception critique unanime. Si ces films s’adressaient avant tout aux plus jeunes, Le Vent Se Lève est certainement le plus adulte d’entre tous, en plus de s’ancrer dans le réel comme aucun film de Miyazaki ne l’a fait. Au lieu de le décrire, tentons de dégager ses spécificités.
« Le Vent Se Lève, il faut tenter de vivre… »
Jiro est un jeune homme plein d’ambition mais freiné par sa myopie. Porté par ses rêves et inspiré par le célèbre Giovanni Caproni, il va grandir et devenir un ingénieur clé dans l’aviation japonaise, alors archaïque, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Jiro est un patchwork entre l’ingénieur Jiro Horikoshi, l’auteur Tatsuo Hori (auteur du roman éponyme) et, sans doute, un peu d’Hayao Miyazaki, qui partage avec Jiro cette passion pour l’aviation et ce pacifisme affiché. Mais à qui peut-on vendre des appareils au début des années 40 ? Le film se divise en deux grandes phases : sa mue vers une vie d’adulte et d’ingénieur, le processus créatif vers le fameux Zero qui va révolutionner l’aviation. Dans un deuxième temps, sa vie de fiancé, ses voyages, où tout prend une dimension plus lente, posée et personnelle.
Ce (présumé) dernier Miyazaki a une intention d’auteur tout à fait inédite : celle de mêler l’Histoire à son habituel style fantaisiste. Son mantra ne change pas, créer quelque chose « de réaliste, fantastique, parfois caricatural, mais un magnifique film au final ». Plusieurs événements très ancrés dans l’histoire ont une pertinence forte dans le film : le séisme de Kanto de 1923 est pleinement vécu par Jiro, l’épidémie de tuberculose y fait une entrée sournoise et la grande dépression est un sujet de fond. L’Impérialisme et les nazis sont décriés mais nul message progressiste ou prophétique – Jiro est avant tout mué par ses idées et ballotté de projets en projets. Malgré les protestations et arguments de certains critiques japonais – c’est une période délicate dans l’histoire du pays, y toucher n’est pas simple -, il n’y aucun argument de ton, l’entrée en guerre du Japon n’y est relatée que d’un simple point de vue factuel.
De manière plus personnelle, le réalisateur s’est permis une petite gâterie : le personnage de Castorp, Allemand facétieux, est doublé par Stephen Alpert, qui incarne presque son propre rôle. Alpert et Miyazaki sont des collaborateurs de longue date et c’est une amitié-clé qui va unir les deux personnages dans le film. De la même manière, chaque ingénieur est fortement inspiré d’une vraie personnalité du milieu. Sans être journalistique, c’est une chronique réaliste de ce qu’à pu être un concepteur de génie dans une Europe des années 40, légèrement détaché de tout. Bref, c’est bien plus une autofiction et une vision rapportée qu’une fresque. Les personnages y sont tous crédibles et touchants.
10 ans de réflexion
C’est également un rare Miyazaki à évoquer une histoire d’amour entre deux adultes. Bien sûr, vue par le prisme de la culture japonaise et par celui du début de siècle, celui où on doit avoir l’autorisation de « faire la cour »… mais rien de plus touchant de voir cette relation entre Jiro et la belle Nahoko, personnage gardant son lot de surprises. Deux adultes qui s’aiment, qui ne peuvent pas forcément consommer leur union mais qui sont profondément liés par la pensée, voilà une thématique assez inédite et qui donne quelques moments touchants. Parfois froids, parfois frustrants, mais sincères – et qui prouvent que ceux qui polémiquent sur la consommation de tabac de Jiro n’ont peut être pas vu le film.
Notez bien que le film se distingue aussi par deux particularités. Jiro est doublé par Hideaki Anno, la tête pensante de Neon Genesis Evangelion, œuvre majeure encore discutée aujourd’hui. Son grain d’homme âgé est un peu perturbant et paraît décalé pour incarner un adolescent, puis un jeune adulte. Les puristes seront sans doute amusés d’entendre Anno tenter des citations en français, sans prosodie ou variation de ton. On se consolera en se disant que certaines scènes cruciales, dont la conclusion, brillent aussi par leur suggestion et leurs silences. Autre choix technique, la plupart des effets sonores sont faits à la bouche. C’est parfois saisissant, parfois un peu à prendre au second degré, vous vous ferez votre opinion. Quoi qu’il en soit, le film est toujours techniquement impeccable et reste sur une technique toute traditionnelle – pas de petits effets 3D à la Mamoru Hosoda. On y voit quelques tableaux inédits : une foule paniquée, un incendie, beaucoup de cigarettes fumées, un hangar, quelque part entre Porco Rosso et l’Aviator de Scorcese.
En bref, Le Vent Se Lève est un beau film sur l’amour, la créativité et l’histoire. Miyazaki clôt son travail d’animation avec brio, pas mal de mélancolie et un ton pas particulièrement heureux. Comme souvent, les deux heures passent bien trop vite et laissent sur leur faim, dans le bon sens du terme. N’hésitez pas à aller le voir – et c’était prévisible – c’est un film qui fait rêver, qui évoque beaucoup de choses et qui ose, malgré tout.