De Tokyo à Paris, trois auteures au Salon du livre jeunesse
On le sait peu ou pas assez, mais la France est une terre d’élection pour de nombreux japonais, notamment des artistes, qui y mènent vie et carrière. Question d’affinités, ou de hasards de la vie… C’est ce que nous vous proposons de découvrir à travers les parcours de trois auteures, Satomi Ichikawa, Miho Yamada et Sayaka Abe, qui présentaient leurs œuvres au dernier Salon du livre jeunesse de Montreuil, du 27 novembre au 2 décembre 2013. Des trajectoires singulières de femmes ouvertes sur le monde, qui chacune à leur façon, nous invitent au voyage, entre Paris et Tokyo.
Sayaka Abe, de la gravure à l’édition
Pour Sayaka Abe, Français et et Japonais se retrouvent dans « le goût des petites choses », et dans la passion pour les arts. Mais Paris n’est pas qu’une jolie carte postale, et il y a de petites déceptions… « Au début, la communication n’est pas facile, parce que nous, les Japonais, sommes timides… et puis il y a la saleté… et le fait que tous les magasins soient fermés le dimanche ! »
Les lithographies qu’elle expose à l’Oeil Ouvert, ainsi que ses illustrations pour Un Poisson en Avril reflètent son goût d’un Paris rétro, un peu bobo même, ce qu’elle reconnaît dans un sourire. D’où lui vient son inspiration? De différentes sources. Déjà, dans sa jeunesse, Sayaka Abe reconnaît avoir beaucoup aimé les animes Heidi, de Takahata, et Sazae-San, une série inédite en France mais diffusée sans interruption au Japon depuis 1969 ! Plus tard, elle a eu un déclic artistique en regardant les films de Miyazaki, qui se situent parfois dans une Europe idéalisée qui lui a donné envie de voyager. Ses inspirations plus récentes partent du cinéma avec le moyen-métrage le Ballon Rouge, image d’un Ménilmontant disparu, à la peinture du 19e siècle, notamment via Toulouse-Lautrec.
Miho Yamada, une histoire franco-japonaise
Cette série de livres invite les jeunes lecteurs à découvrir chaque fois une nouvelle capitale (Paris, Rome, Madrid, Berlin, Stockholm, Delhi…), à travers un enfant qui y habite. Miho Yamada a tout d’abord pensé que ce serait impossible. « Ce qui m’a fait peur au début, c’est de devoir écrire dans un style adapté aux enfants. Mais en fait, en me rappelant mes souvenirs, je me suis remise dans la peau de la petite fille de 9 ans que j’étais. Et c’est venu naturellement. »
En écrivant Miyako de Tokyo, Miho Yamada voulait rendre une image positive de Tokyo, ville souvent montrée comme stressante. Elle a donc essayé de restituer des choses simples de la vie de tous les jours : école, vie quotidienne, fêtes… « Je parle des cerisiers, des fêtes de l’été, des feux d’artifice qui marquent quand on est enfant… J’évoque mes grands-parents agriculteurs et l’obligation qu’on avait, enfant, de devoir manger chaque plat jusqu’au dernier grain de riz..» Le livre doit une partie de son charme aux illustrations très colorées de la dessinatrice française « Princesse Camcam »:http://princessecamcam.ultra-book.com/.
Miho Yamada pense que Français et Japonais ont en commun la recherche du bien être, le goût de « prendre le temps de préparer les choses, par exemple la cuisine », et aussi de mélanger modernité et tradition.
« Nous, Japonais, ne faisons pas de différence. La jeune génération est très high-tech, mais elle n’ignore pas du tout les traditions. On aime les mégalopoles, mais aussi partir à la campagne. C’est aussi cela que j’ai souhaité raconter. »
Quant au goût des Japonais pour les mangas et les anime, elle l’explique très simplement : « Les Japonais aiment s’identifier à des héros hauts en couleurs, parce que dans leur vie professionnelle ou sociale ils ne peuvent pas tellement extérioriser leurs émotions. » Elle même a aimé regarder Saint Seiya, Kinnikuman (un héros catcheur), et Galaxy Express 999. « J’aime aussi les héros de Marvel ! »
Satomi Ichikawa, la globe-trotteuse
Satomi Ichikawa n’avait ni formation ni projet artistique en arrivant à Paris. Mais un jour « au marché aux puces, j’ai trouvé un beau livre de Maurice Boutet de Monvel (peintre et illustrateur du 19ème siècle) qui m’a donné envie de commencer à dessiner. J’ai commencé comme ça, en le copiant. J’aimais cette élégance, cette poésie, cet esprit français… » De cette manière, sans jamais avoir eu de professeur, elle arrive à proposer un premier livre à un éditeur anglais, William Heinemann. « C’était très naïf, mais pour moi c’était formidable ! » À sa grande surprise, il est publié, sous le titre de A child’s book of seasons, et sera traduit en six langues ! Ces livres seront ensuite publiés au Japon, par Kaiseisha, et enfin en France, par l’École des loisirs.
Dans ses livres, Satomi Ichikawa fait souvent voyager ses jeunes lecteurs dans le monde entier : Afrique, Inde, Amérique Latine…
« Je ne me focalise pas sur le Japon. Je ne cherche pas être à la mode. Le monde est si grand, et c’est ça mon inspiration ! Quand je voyage, je ne prends pas de photos, je travaille sur croquis, tout le temps. Je ramène des cahiers de voyages remplis, qui m’inspirent pour inventer mes histoires de retour à Paris. »
« La petite fille, c’est peut-être moi… Quand j’étais petite, je n’aimais pas le jardin de ma mère, elle y était trop occupée. Maintenant que j’ai commencé à retourner chaque année au Japon, j’ai compris que c’était sa vie, avec tout l’amour qu’elle y met. Elle m’a toujours soutenue. J’ai eu envie d’en parler. Ce livre était ma manière de la remercier. »
Dans ce livre, un typhon menace de ravager le jardin, et… le plant de tomates que la petite fille y a planté. « Pendant l’été, il fait très chaud et humide, il arrive des typhons, parfois trois ou quatre. Ça me fait peur, le ciel noir, le vent qui arrive… mais les gens sont habitués. Tous les jours il y a quelque chose. Des typhons, des tremblements de terre… Le jour du séisme, en 2011, j’étais à Paris. J’ai eu peur pour le jardin de ma mère… J’ai pensé aux gens là-bas. Ceux qui ont perdu leur jardin, leur maison, c’est comme s’ils avaient perdu leur vie… »
Très demandées par le public, dans un salon du livre jeunesse particulièrement fréquenté, nos trois auteures se sont pliées volontiers au jeu des dédicaces, preuve s’il en était besoin que le Japon intéresse les jeunes lecteurs. Nous les remercions d’autant plus pour le temps qu’elles ont bien voulu accorder à nos questions.
Nous remercions également Doriane Sibilet (L’École des Loisirs), Grégoire Cazier (le Buveur d’Encre) et Stéphane Husar (ABC Melody) pour l’accueil sur leurs stands.