Big Order, comme un air de déjà vu
Si inventer une série à succès est déjà l’affaire d’une poignée de mangakas élus, enchaîner après la fin d’une série pose une tout autre problématique. Certains, comme les créateurs de Hikaru no Go avec Death Note et Bakuman, y arrivent avec brio. Big Order, la nouvelle série de Sakae Esuno (Mirai Nikki), n’est pas si engageante. Critique.
On prend les mêmes, et…
Après la lecture des deux premiers tomes de Big Order, plusieurs questions s’accumulent. Son appréciation est une question de perspectives, prenons donc le temps de rappeler en quoi consistait Mirai Nikki, sa série précédente. Mirai Nikki s’inscrit dans le genre des « survival games ». En l’occurrence, Yukiteru, un adolescent taciturne, se retrouve malgré lui en plein jeu de survie pour être le prochain Dieu du temps et de l’espace. Chaque participant dispose d’un portable aux propriétés surnaturelles et personnalisées.
Ce manga était plein de qualités, dont un dessin très agréable à l’œil, aujourd’hui inchangé. Cette série avait toutefois quelques soucis irritants : cette capacité à s’enfoncer dans un flou trop grand et des codes fantastiques qui prenaient une trop grande place. En résumé, elle se terminait un peu n’importe comment. Sakae Esuno prouvait qu’il n’accordait pas trop d’importance à la structure et à la cohérence du récit, au profit des retournements de situation. La série – globalement bonne – est sortie dans son intégralité en France et a été adaptée en animée.
Big Order est publié par la même maison d’édition, Sakka (Casterman). Le troisième tome sortira début janvier. Si vous ne connaissez pas Mirai Nikki, ce manga aura une nette plus-value. Sinon, vous constaterez rapidement que les deux séries partagent un patrimoine génétique un peu trop similaire.
Dans Big Order, on suit les aventures d’Eiji Miyamoto, un lycéen doué de pouvoirs surnaturels. En effet, il peut soumettre n’importe quel objet ou personne à sa volonté, dans la délimitation d’un « territoire » qui évolue avec ses déplacements. A la manière d’un Persona ou d’un Digimon, Eiji peut invoquer une créature qui personnifie et exécute ce pouvoir. Bref, Eiji est un Order, et ce pouvoir lui a été octroyé il y a dix ans, après avoir souhaité la fin des temps. Pourquoi ? Mystère… . Chaque pouvoir correspond à un souhait, les Orders sont nombreux – et vont bientôt s’allier contre le reste du monde. Voilà pour le synopsis, étudions un peu les similitudes entre Big Order et Mirai Nikki.
Similitudes et fan-service
Tout commence par les personnages. Les deux héros sont physiquement clonés, tant et si bien qu’on se demande s’il n’y a pas de continuité entre les deux histoires. Rien ne l’indique, alors on continue, et on se retrouve avec une autre borgne, un autre personnage « féérique », et une autre « yandere ». Tiens, qu’est-ce que c’est ? Une yandere est l’archétype d’un personnage, souvent féminin, qui manifeste un comportement légèrement psychotique, toujours par amour. Yuno, de Mirai Nikki, a presque codifié ce lieu commun. Le héros de Big Order est suivi à la trace par une fille qui ne jure que par lui, mais qui promet également de le zigouiller à chaque case. C’est embêtant puisqu’au delà de la ressemblance physique, les archétypes, mécanismes et tropes sont aussi copiés-collés entre les deux séries. Chaque personnage secondaire fait penser à un autre et ils sont regroupés de la même manière : un groupe de joueurs dans Mirai Nikki, une organisation pas franchement secrète dans Big Order – qui pourrait, lui aussi, tourner en jeu de survie. Le genre, lui, n’est pas fondamentalement le même : Big Order est surnaturel d’emblée – sans glisser vers le fantastique. A ce niveau là, la barre laissée par son petit frère était haute ! Problème cependant : l’intrigue des Order fait presque penser que la maladie de la sœur du héros – principal moteur de l’intrigue – n’est qu’un prétexte.
Si le protagoniste et ceux qui l’entourent sont les mêmes, que reste-t-il ? L’intrigue, sensiblement la même, mais aussi les lieux, plus que sensiblement les mêmes. Tout commence dans une salle de classe, puis dans les couloirs d’un hôpital (où tout explose) puis sur les routes… les lieux communs sont nombreux. L’histoire est bizarrement articulée : l’agencement entre plusieurs cases est flou et fait parfois l’impasse sur des éléments censés apporter un peu de cohérence. En gros, ce n’est pas parce que les personnages ont des pouvoirs surnaturels qu’on aime les voir se téléporter trop souvent.
Il y a bien un ajout, une nouveauté qu’on ne trouvait pas dans Mirai Nikki, beaucoup moins en tout cas, et pas de bol, c’est du fanservice. Gratuit, bizarrement placé, il n’apporte pas grand chose, sinon cette drôle d’impression de faire partie d’un lectorat peu glorieux.
Bref, Big Order est une série moyenne qui descend nettement en qualité si vous avez déjà lu Mirai Nikki, tout simplement parce que son ombre est beaucoup trop présente. L’impression de déjà vu enlève toute implication dans le récit et sa crédibilité. Quelle est l’intention d’auteur derrière ? Y’a-t-il un pont caché entre les deux histoires ? Peut être, mais la suite ne donne pas vraiment envie d’être lue.
Visuels ©Kadokawa Shoten/Sakka/Sakae Esuno