Makoto Shinkai au Grand Rex : « Maintenant, il n’y a que l’animation pour moi »
Le 18 octobre, The Garden of Words, le dernier film de Makoto Shinkai, a été projeté au Grand Rex, en présence du réalisateur. Précédé d’un court métrage inédit, puis suivi d’une séance de questions-réponses, la projection s’est révélée enchanteresse, intéressante et instructive. Makoto Shinkai se révèle être un interlocuteur particulièrement bavard, pour le plus grand bonheur de l’assistance.
Ce réalisateur qui voulait vous vendre un logement
Après quelques mots de Makoto Shinkai, la soirée a débuté par la projection d’un court métrage, Someone’s Gaze, réalisé pour la société immobilière PROUD. En sept minutes, Makoto Shinkai trouve le temps de survoler la vie d’ Aya Okamura à travers le regard de son chat, de son enfance à son entrée dans la vie active. « On m’a donné carte blanche pour ce spot, tant que je respectais le cahier des charges. Il devait avant tout être question de famille et de logement, par exemple. Je disposais de peu de temps et de moyens, mais nous avons fait de notre mieux sur le plan visuel. On me propose de plus en plus de projets publicitaires. Je pense que c’est surtout lié au fait que les gens qui travaillent dans ces agences ont grandi avec l’animation. »
Si le niveau graphique de cette publicité déguisée est ponctuellement inférieure à ce qu’on peut trouver dans les œuvres de Makoto Shinkai, Someone’s Gaze s’en tire admirablement bien. Le scénario est simple, et le traitement n’est pas sans rappeler Je suis un chat, un roman du début du XXe de Natsume Sōseki. Une bonne mise en bouche, en somme, avant d’enchaîner sur le film principal de la soirée…
Ce parc où la pluie devrait être éternelle
The Garden of Words, c’est la rencontre improbable entre Takao, un lycéen de 15 ans, et Yukino, une femme de 27 ans, dans un parc de Tōkyō. Alors qu’il pleut, l’un dessine des chaussures pendant que l’autre boit de la bière en mangeant du chocolat. Au fil de leurs rendez-vous, toujours sous la pluie, dans ce même parc, ils vont apprendre à se connaître et à s’apprécier.
Makoto Shinkai souligne que « le parc représenté dans ce film existe réellement : il s’agit de celui de Shinjuku. J’habite à proximité de cet endroit, et je suis d’ailleurs allé plusieurs fois y travailler et lire dans un abri ressemblant à celui du film. Il y avait peu de monde les jours de pluie, alors je n’ai pas pu rencontrer de femme plus âgée que moi ! (Rires) »
« On me demande souvent pourquoi mes histoires ne finissent jamais bien. Simplement parce qu’il existe déjà beaucoup de films qui se terminent en happy end. Allez les voir si c’est ce que vous cherchez ! (Rires) Pour moi, chacune de mes histoires a plus ou moins une fin heureuse. The Garden of Words couvre seulement trois mois, mais cette courte période représente beaucoup de choses pour mes personnages, et pour moi, c’est un peu ça, le bonheur.
En cours de réalisation, il m’arrive de me demander « que veut voir le spectateur ? », tout en faisant ce que je veux. Selon moi, cela fait partie de la communication entre un réalisateur et son public, au fil des films. En fait, il existe une suite que je publie chaque mois dans une revue littéraire. Ça m’intéresse d’écrire la suite de cette histoire. Par contre, je ne sais pas encore comment elle se finira. J’espère juste que Kazé achètera les droits. (Rires)
A coté de cela, il y a le cas de 5 centimètres par seconde qui est un peu différent. Au début, il devait seulement sortir au cinéma, mais le public a trouvé la fin trop triste, et je me suis senti obligé de prolonger l’histoire sur un autre support. »
The Garden of Words : le portrait d’une femme moderne ?
Si, comme le réalisateur l’explique clairement, on ne peut pas espérer de véritable happy end, l’histoire ne perd pas une once de sa poésie. Avec son rythme de vie de forcené, composé d’école et de petits boulots, Takao ne trouve le calme que dans la petite oasis qu’il s’est créé sous cet abri, dans ce parc. Yukino y apparaît comme un élément perturbateur discret, au début, avant de faire partie intégrante de ce bout de paradis.
« Ce film a deux objectifs cachés : Faire aimer la pluie et… Faire aimer les pieds des femmes ! Quand j’ai fabriqué le personnage de Takao, je voulais qu’il ait un objectif très fort, comme créer quelque chose. C’est parce que j’ai du montrer des chaussures que j’ai montré des pieds. En somme, c’est une sorte de dommage collatéral ! (Rires) »
The Garden of Words dépeint-il le portrait d’une femme japonaise moderne ? « C’est amusant, parce que d’autres personnes me disent exactement le contraire, que je ne connais rien aux femmes, ou même que je n’ai jamais eu de relation amoureuse. Ce qui ne m’empêche pas d’être le père d’un enfant. Ce film a attiré beaucoup de femmes. Je pense qu’un homme peut montrer l’univers des femmes, mais que mon histoire reste une fiction. Au début, je voulais utiliser le point de vue de Takao, mais les membres féminins du staff n’étaient pas d’accords. Elles avaient l’impression que Yukino jouait avec Takao. Nous avons donc apporté beaucoup de modifications pour adoucir les protagonistes.
Quand j’ai du écrire le scénario, je me suis demandé « Comment j’étais à 27 ans ? » Yukino a des ennuis, et moi aussi, à cette époque, je traversais une période difficile, professionnellement et personnellement. C’est à cette époque que j’ai commencé à m’auto-produire.
Je suis réalisateur depuis presque 12 ans, j’ai travaillé dans le secteur du jeu vidéo avant. Encore avant, j’étudiais la littérature classique japonaise, par amour de la lecture et de l’écriture. Vers 22 ans, en entrant dans le milieu des jeux vidéo, j’ai commencé à m’intéresser au travail visuel. J’aimais toujours lire et écrire, et pour concilier tout ça, je suis devenu réalisateur. Au début je doutais beaucoup, cela fait peu de temps que ma volonté de réaliser des films s’est affirmée. Maintenant, il n’y a que l’animation pour moi.«
Une histoire sous la pluie : un défi technique
Alors qu’il vient de donner un séminaire dans une école d’art écossaise, Makoto Shinkai prend quand même le temps de détailler un peu : « Pour The Garden of Words, j’ai utilisé ce qu’on appelle « la lumière de reflet ». Généralement, on utilise deux tons, avec lumière et sans lumière. Ici, l’action se déroule principalement dans des parcs, j’ai donc pris le parti d’incorporer un reflet vert. Cela apporte une ambiance totalement différente des autres films d’animation, comme ceux du studio Ghibli ou de Neon Genesis Evangelion«
Pour ce qui est de la pluie, « Dès le début, je voulais que ce soit le point fort de la production. Si on prend comme exemple Mon Voisin Totoro, ou Kiki la petite Sorcière, il y a beaucoup de pluie, et c’était à l’époque un défi lié aux techniques analogiques. J’ai voulu me servir des outils numériques pour surpasser ces contraintes et offrir la plus belle pluie qui soit. Pour certaines gouttes, nous avons quand même eu recours à l’analogique, pour la représenter au mieux.
Pour ce qui est de la musique, nous n’avons pas fait comme d’habitude. Pendant que j’écrivais le storyboard, j’écoutais beaucoup de CD de piano de Daisuke Kashiwa. Nous avons utilisé ses morceaux provisoirement, et finalement, nous avons pris contact avec cet artiste pour réaliser les arrangements finaux. »
Et le pari est réussi, puisque The Garden of Words est d’une grande finesse graphique et sonore. L’ambiance de la Tsuyu, cette saison des pluies japonaises courant de début juin à mi-juillet, est parfaitement retranscrite, et donne l’impression que chacune des rencontres de Takao et Yukino est hors du temps, loin du monde réel, de ses angoisses et de sa cruauté. La bande son, elle, rappelle sans cesse le thème de la pluie, sa douceur et sa tristesse.
Le tout agrémente à merveille le scénario de Makoto Shinkai. « On sait dès le début comment l’histoire va finir », comme il le souligne si bien, mais tout est fait pour nous laisser entrevoir une pointe d’espoir. On voudrait les voir braver les interdits, passer outre le regard des autres et finalement assumer leur histoire. Ce jeu avec nos sentiments n’en rend la fin que plus touchante, d’une grande fatalité. Pour citer encore une fois le réalisateur : « avec une telle différence d’âge, l’amour ne suffit pas. »
Le mot de la fin d’une future référence
La dernière question qui lui fut posée concernait, parmi son répertoire, son œuvre préférée. « C’est toujours le dernier film que j’ai réalisé qui me paraît non pas le meilleur, mais le moins mauvais. A mesure que je revois mes anciennes réalisations, j’ai l’impression de revoir mon passé, ce qui est très intimidant ! Par exemple, je voudrais effacer The Voices of a Distant star de mon répertoire, mais il a été diffusé à la télévision dans le cadre de la promotion de The Garden of Words ! Il arrive même que des fans me disent que leur film préféré est mon premier métrage, Kanojo to Kanojo no Neko ! »
La soirée se termine tranquillement sur quelques mots de Makoto Shinkai, qui s’excuse de nous avoir retenus aussi longtemps. Après quelques remerciements pour Kazé et Le Grand Rex, il se tourne vers le public pour le remercier d’avoir préféré cette séance plutôt que la soirée Star Wars de la salle voisine.
Remerciements à Makoto Shinkai pour nous avoir consacré un peu de son temps.
Retrouvez Makoto Shinkai sur son site officiel.
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