Kim Itoh à Paris : « Je suis là pour causer un séisme »

Les « 25 et 26 octobre dernier »:http://mcjp.fr/francais/spectacles/d-a-honno-ji-dancing-drawing-776/d-a-honno-ji-dancing-drawing, la Maison de la Culture du Japon à Paris recevait les deux uniques représentations hors du Japon de D à Honnō-ji : Dancing, Drawing, Drumming, performance scénique exceptionnelle, associant un peintre, une percussionniste, un danseur, et… des moines bouddhistes. Cette étonnante rencontre est née à l’initiative du « temple Honnō-ji de Kyoto »:http://fr.wikipedia.org/wiki/Honn%C5%8D-ji, pour commémorer les « 600 ans d’existence »:http://www.kyoto-honnouji.jp/ de ce lieu le plus sacré de la branche Hokke du bouddhisme japonais.

Kim Itoh

Le spectacle qui en a résulté s’est avéré une expérience d’ordre à la fois esthétique, spirituel, et émotionnel. Un de ces moments rares où dans le temps suspendu, dilaté, naît une étincelle. Ce n’est plus seulement une performance, mais un moment dans une vie, dont on se souviendra longtemps.

Kim Itoh

Sur la scène, rectangle de bois clair qui évoque un tatami, un danseur, mi-elfe mi-pirate, tord son corps comme une poupée de chiffon. C’est Kim Itoh. Au fond, une longue toile blanche voit naître des silhouettes de couleur, sous les pinceaux de Minoru Hirota. Autour, le son de percussions manipulées par Kuniko Katō telles des marionnettes auxquelles on aurait insufflé la vie… Le tout sous le regard imperturbable des moines en costume sacerdotal, psalmodiant leurs prières ou frappant des tambours taiko…

D à Honnō-ji a été créé à Kyoto, dans l’enceinte du temple même. C’est un lieu chargé d’histoire, où repose la dépouille de Nobunaga Oda (1534 – 1582), le premier unificateur du Japon. Avant de retourner là-bas pour de dernières représentations, c’est à Paris que le spectacle a fait son unique escale extérieure. « Pourquoi Paris ? Hmmm… Je ne sais pas ! » nous explique Kim Itoh dans un rire. « En fait si, ça vient de Kuniko Katō, « qui s’est déjà produite ici »:http://mcjp.fr/francais/spectacles/archives-103/kuniko-plays-reich (en 2012, dans le cadre de la Fête de la Musique), et qui connaissait la Maison de la Culture du Japon. »

Une heure quarante d’exploration musicale, gestuelle, et graphique, alternant les moments de contemplation dans un silence habité, et les instants d’exaltation au cœur d’explosions sonores… Improvisation, ou bien résultat d’un intense travail de répétitions ? « La version parisienne du spectacle diffère de celle de Kyoto, où j’avais 5 danseurs avec moi, et où j’ai fixé un cadre très précis à la chorégraphie et à la mise en scène. Pour Paris, je suis seul à danser, et avec les deux autres interprètes, Kuniko Katō et Minoru Hirota, nous avons eu notre propre point de vue sur la manière d’aménager la part d’improvisation et la part de ce qui était répété à l’avance. Ce que nous avons mis à l’intérieur de ce cadre était assez ouvert. »

Kim Itoh

Pour le public occidental, il peut paraître surprenant qu’un spectacle d’avant-garde se produise sous l’égide d’un temple plusieurs fois centenaire. Mais au Japon, c’est presque normal. « C’est le temple qui m’a demandé de danser pour eux. Ils avaient ce projet d’associer la danse au live painting. C’est la première fois qu’on me propose de danser dans un cadre religieux. Ça m’a donné une énorme envie de réaliser ce projet… Nous ne faisons pas tellement de différence entre le traditionnel et le moderne… La danse, la peinture et la musique se jouant depuis toujours à l’intérieur même du temple, où les tambours font partie des rituels habituels, cela nous a paru naturel. »

Kim Itoh

Et que ressent-on lorsqu’on se produit dans une enceinte sacrée ? «  Quand nous avons présenté cette performance en mai à Kyoto, j’ai ressenti une impression particulière, spirituelle, je pense que ça doit être, d’une certaine manière, comme celle de danser dans une église. Pour moi, le temple est comme un point qui relie ce monde dans lequel nous vivons, et le monde de l’au-delà… »

Kim Itoh

Né dans les années 60, période de féconde créativité dans tous les domaines artistiques au Japon, le « butō « :http://fr.wikipedia.org/wiki/But%C5%8D est une danse d’avant-garde, qui a très vite fait scandale par son rejet apparent de la tradition. Mais plus qu’un style, ou une école, le butō se conçoit surtout comme une attitude, le geste et le corps servant à exprimer une exploration de soi, en rupture avec la virtuosité et le spectaculaire. Pas facile à définir… Nous avons donc demandé à Kim Itoh quelle était sa vision du butō.

«  Je ferais un parallèle avec une famille. On naît d’un père et d’une mère, mais quand on grandit, est-ce qu’on se considère seulement comme la continuité de ses deux parents ? C’est vrai qu’existe en moi un noyau dur qui est le butô, mais suis-je tout le temps en train d’y penser ? Hmmm… Je n’arrive pas à expliquer à quel endroit il est, quelle forme il a aujourd’hui… Quand je ne sais pas quel chemin prendre, alors, ça m’arrive de me demander ce que mes « parents » feraient. Mais peut-être qu’en réalité, je n’en ai pas ? »

Kim Itoh, a commencé la danse butō en 1987, et a très vite commencé une carrière de chorégraphe et de danseur, fondant sa propre compagnie Kim Itoh + The Glorious Future, en 1995. Depuis, il s’est produit au Japon et dans le monde entier, et consacre aujourd’hui une grande part de son temps à l’enseignement. Pour lui, cette activité est primordiale, mais elle ne se concentre pas sur la technique. « Ce que je tiens à transmettre, c’est la manière d’appréhender la danse. C’est là quelque chose que je tiens du butô. Bien sûr, il faut apprendre les bases, comment bouger son corps, mais… Le plus important est d’apprendre à aller au fond de soi-même, de se découvrir soi-même, et donc mes cours sont avant tout un partage de cette expérience avec les autres. »

Kim Itoh

Finalement, cela ne nous ramène-t-il pas à ce qui est au cœur de D à Honnō-ji, à savoir le bouddhisme ?
« Oui, c’est bien possible. Dans la façon de considérer le monde et les choses dans leur globalité. Ne pas sectoriser, ne pas mettre les choses dans des cases. Quand je vois naître un mouvement chez un de mes élèves, je dis toujours qu’il est comme une fleur qui s’ouvre… Parce que pour cela, il ne faut pas seulement une graine, mais aussi une terre, de l’eau, du soleil… Et du temps. Ce n’est qu’après sa croissance qu’on voit la fleur. Ce moment, fugace, en apparence superficiel, naît de tout ces éléments. Alors oui, peut-être est-ce là une manière bouddhiste, en tous cas japonaise, de penser le monde. »
Se consacrant aujourd’hui essentiellement à l’enseignement, Kim Itoh nous explique qu’il est amené à se produire en milieu scolaire. Mais là non plus, il ne le fait pas de façon conventionnelle…

Kim Itoh

« Quand un danseur vient faire une démonstration dans une école, les élèves sont rassemblés dans le gymnase, assis, et le regardent évoluer sur un plateau. Je ne trouve pas cela intéressant. Ce que moi je fais, c’est ce que j’appelle du « dance-jack », comme le mot hijack, ou détournement. J’arrive de manière impromptue, par exemple à l’heure de la cantine, et je danse au milieu des enfants en train de déjeuner. Parfois je m’arrête, je m’assieds à table et je me mets à manger avec eux. Ils sont très surpris. Dans l’environnement tranquille de l’école, j’arrive comme un élément perturbateur. Presque comme une catastrophe (rire) ! Je suis là pour causer un séisme. Cela, j’en ai pris conscience après le tsunami du 11 mars. À travers un tel événement, on prend conscience de l’environnement dans lequel on vit. »
Professeur depuis 2008 à la « Kyoto University of Arts and Design »:http://www.kyoto-art.ac.jp/en/, Kim Itoh ne fait pas qu’enseigner la danse à des étudiants ou se produire dans des écoles : il travaille également avec des amateurs, et c’est peut-être le projet qui lui tient aujourd’hui le plus à cœur. Il a ainsi créé une étonnante structure, **l’Oyaji Café**, d’abord dans le cadre du « festival des Arts de Tokyo, en 2009 »:http://festival-tokyo.jp/09at/en/station/oyaji.html. Il s’agit d’un vrai-faux café, dont les serveurs, les Oyaji, évoluent en dansant au milieu du public qui commande et consomme…

Kim Itoh

« Les Oyaji, ce sont des hommes un peu âgés, considérés comme ringards… C’est un concept très japonais ! Ils n’ont pas de lieu de vie en propre, en dehors de leur famille ou de leur travail… Que sont devenus leurs rêves, leurs idéaux de jeunesse ? Je vais à leur rencontre, je les invite, et je leur propose de créer ce café éphémère où ils sont serveurs, où ils servent en dansant (rires)… C’est un projet artistique à part. Le public adore, il les trouve tous très kawaii ! Ce sont des amateurs, des débutants, ils ne dansent pas à l’unisson, mais ils se donnent à fond, avec passion, avec pureté, et ça en devient émouvant… »
On le voit, après déjà un quart de siècle de carrière, Kim Itoh n’a pas perdu l’envie de surprendre, de perturber, comme il le dit lui-même. Avec sa silhouette gracile aux gestes précis, comme en suspension dans l’espace, son œil narquois et inquisiteur, et ses mots choisis avec soin, il donne à chaque instant une rare intensité, que ce soit sur scène, ou en interview. La conversation aurait pu durer encore, s’il n’avait pas fallu le laisser partir, se préparer pour la seconde représentation de D à Honnō-ji, quelques heures plus tard. Car au moment de tirer sa révérence, il nous a encore demandé, presque étonné, pourquoi un média comme le Journal du Japon ne l’avait pas questionné sur ses goûts pour le manga… En attendant – qui sait ? – une future rencontre à Paris ou ailleurs, sachez, pour être complet, que ce chorégraphe et danseur d’avant-garde est fan… de Golgo 13, de Takao Saiko, et de Touch, de Mitsuru Adachi ! Inattendu, n’est-ce pas ?

Kim Itoh

Tous nos remerciements à l’équipe de la Maison de la Culture du Japon à Paris, notamment à Aya Soejima, pour leur accueil et leur disponibilité.

Pour retrouver Kim Itoh sur le net vous pouvez vous rendre sur son site internet.

Photo ©journaldujapon.com – Tous droits réservés

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