Lettre à Momo : le printemps reviendra !
Il y a 13 ans Jin Roh, la brigade des loups avait marqué les esprits et le paysage de l’animation japonaise d’une empreinte indélébile. Il s’agissait alors du premier long métrage d’Hiroyuki Okiura, talent incontestable au sein des prestigieuses productions I.G.. Aujourd’hui, le réalisateur donne vie à un nouveau et authentique chef d’œuvre dramatique : Momo e no Tegami, Lettre à Momo, sorti dans nos salles le 25 septembre dernier. De l’écriture à la post-production, ce n’est pas moins de 7 ans qu’il aura fallu au génie pour réaliser son film le plus personnel à ce jour : écrit et storyboardé par lui-même et confié uniquement aux mains des plus grands talents de l’animation nippone, le chef d’animation Masashi Ando (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro) et le directeur artistique Hiroshi Ohno (Kiki la petite sorcière). Salué par la critique et le public, couvert de prix depuis sa sortie au Japon en 2012, revenons sur ce film d’animation issu de la pure tradition du « Homu dorama » (le drame familial).
Regard à l’horizon
narines au ciel –
ces fleurs de printemps !¹
Sur le ferry qui les mène à la petite île de Shio, dans la mer intérieure de Seto, Momo et sa mère Ikuko ont un regard bien différent sur l’horizon. Trois gouttes d’eau tombent du ciel et rebondissent sur la tête de Momo qui tient dans sa main une lettre inachevée, écrite par son père, un océanographe disparu en mer. Deux mots laissés sur une page blanche : « Chère Momo ».
Après le décès de son mari, Ikuko a décidé de quitter Tokyo avec sa fille pour venir habiter sur son île natale, chez son oncle et sa tante. Une façon pour elle de se rattacher au passé, d’affronter le deuil et de se préparer à une nouvelle vie avec sa fille. La maison de famille n’a pas changé depuis tout ce temps. Exactement comme dans ses souvenirs.
Aux yeux d’Ikuko, le cadre est magnifique. Aux yeux de sa fille, ce décor est vieux, ennuyeux et loin de toute « civilisation ». Malgré les efforts de sa mère, Momo ne réussit pas à s’intégrer sur l’île. Le jour où elle est invitée à sauter dans l’eau du haut d’un pont, elle ne parvient pas à se lancer. Son esprit est ailleurs. Elle voudrait tant savoir ce que son père a voulu lui dire avant de disparaître. Des images refont surface, elle se souvient : une dispute, des mots terribles et puis plus rien. Momo se sent coupable.
Un jour, elle croit voir une ombre à côté de sa mère. Puis elle se met bientôt à entendre des bruits bizarres venus du grenier. Sa vie bascule soudain lorsqu’elle découvre un livre ancien et avec lui, trois entités surnaturelles particulièrement envahissantes … mais pas bien méchantes.
L’averse d’été
tambourine
sur la tête des carpes !²
À treize ans, Momo est une jeune fille qui entre dans l’adolescence. Elle parle peu, ne se confie pas et change de tempérament en fonction des gens qui l’entourent. Son visage et ses gestes en disent plus que ses mots. Ni introvertie, ni forte de caractère, Momo présente la particularité d’être tenace, à l’image des carpes koi qui remontent à contre-courant les rivières du Japon. Le drame familial est une épreuve. Et Momo n’a jamais traversé ce courant.
Lorsque trois gouttes d’eau tombent en averse sur le sommet de sa tête, c’est alors tout son désordre intérieur qui refait surface, déclenchant dans un même temps un séisme sans précédent dans sa vie. Or Momo n’avait pas imaginé que son désordre s’incarnerait, comme par enchantement, dans le corps de trois créatures surnaturelles : les esprits Iwa, Kawa et Mame.
Surgis des pages d’un vieux livre illustré, trois yôkai des temps anciens apparaissent sous un jour d’orage devant le visage décomposé de la jeune fille. Iwa est un monstre au crâne hors norme et aux dents en or. Mame est un petit monstre au corps vieilli et à la voix douce. Kawa est un monstre ventripotent à la tête de poisson.
Dorénavant, c’est à eux que Momo aura affaire. C’est contre eux que la jeune fille devra se battre. Et pires créatures païennes n’a jamais existé ! Pitres maladroits, voleurs, menteurs, sans gênes et surtout gloutons, Iwa, Kawa et Mame en feront voir de toutes les couleurs à Momo. Mais « monstrueusement attachant », propre à l’expression « kimokawai » au Japon, ils la révéleront aussi à elle-même et lui permettront finalement de remonter le cour de la rivière. Son quotidien deviendra chaotique, sa vie sera bouleversée, mère et fille finiront par se regarder en face jusqu’à ce que tous les secrets éclatent au grand jour dans une incroyable aventure à échelle humaine. Drôle et émouvante.
Foudre et tonnerre !
à chaque éclair
le monde guérit³
Lettres à Momo est un film qui vous décontenance. De ses couleurs pastels à son récit réaliste, le drame familial prend le contre-pied d’un Jin Roh dont l’atmosphère était à la fois sombre et violente. Avec son second long métrage, Hiroyuki Okiura fait le pari audacieux d’intégrer tout le poids d’une réalité dramatique dans une atmosphère légère, drôle et touchante. Avec un scénario simple, non des plus original, dans un genre que l’on apprécie cependant de voir réapparaître au cinéma, Lettre à Momo va très loin. A la fois dans sa mise en scène et sa création, l’œuvre est grandiose.
Côté technique, le film a été réalisé en 2D. Toutes les images clés et les images intermédiaires ont été dessinées au stylo et au pinceau. Alors que le réalisateur confiait dans un entretien qu’il n’était pas opposé à l’animation numérique, il ajoutait que néanmoins, pour raconter une histoire avec des sentiments humains, il préférait un dessin signé par une main à une somme d’informations élaborées par une machine. Le résultat est en tout point stupéfiant.
De ces tons de couleurs uniques à ses paysages paisibles et magiques, de l’impressionnante palette d’expressions des personnages à la sincérité et l’authenticité qui se dégagent de chaque plan, le film est d’une beauté sans pareil. Beau. Il n’y a pas d’autres mots. D’une simplicité effrayante. Parce que la simplicité cache bien souvent une complexité immense. Rarement on aura vu un traitement aussi réaliste et épuré de l’image.
Chaque petite subtilité est là, dans un film qui parvient à capturer l’essence du quotidien à travers des détails que l’on jugerait insignifiants en apparence. Décors, personnages, mouvements, tout est vrai et chargé d’émotions.
Lettre à Momo se démarque du bon sentiment ou de ces films suintant le cliché et les faux amours – comme un Voyage vers Agartha ou une Tour au-delà des nuages. Des films comme Lettre à Momo ne se voient quasiment plus dans le monde de l’animation, donnant par là une vraie raison d’être à l’œuvre. Dans sa dimension fantastique, l’histoire prend une envergure inattendue. Sur un thème aussi dramatique et délicat que la mort, la présence des yôkai parvient à éviter toute lourdeur en usant de son pouvoir comique si prégnant.
Tandis que nous avons parfois le désir de rester connectés avec ceux que l’on aime et qui ne sont plus parmi nous, le film réussi son pari en incarnant devant nos yeux, un vrai sentiment universel. Un éclair de génie qui saura vous apporter une bouffée de bonheur mais aussi beaucoup de forces jusque dans sa séquence finale.
Après cela, le monde guérira.
¹ Haïku de Ueshima Onitsura / ²Haïku de Masaoka Shiki / ³Haïku de Kobayashi Issa