Risa Wataya, écrire lui va si bien
Risa Wataya : premier roman écrit à 17 ans, prix Akutagawa pour son second, écrit à 19. Trois autres romans publiés depuis. Les talents littéraires précoces suscitent curiosité et fascination, car le lecteur se demande toujours quelle raison a bien pu pousser une jeune personne de 17 ou 18 ans, parfois moins, à se lancer dans l’écriture d’un roman. Que peut-il, ou elle, avoir à raconter ? Les tourments de la jeunesse ? Le témoignage d’une expérience douloureuse, ou passionnée ? Ou simplement une vocation, voire, un plan de carrière ?
Ces questions se posent d’autant plus que nous sommes entrés dans l’époque de la communication instantanée, twittée et likée à l’infini. Un style, un slogan, un visage font autant pour le succès médiatique, voire plus, que le talent. Quand de surcroît, la nouveauté provient d’un pays où les carrières d’idols se font et se défont selon des plans marketings bien calibrés, le succès littéraire d’une jolie jeune fille est de nature à susciter des interrogations.
Heureusement, la réponse se trouve généralement dans l’œuvre, et souvent lors du second opus. À ce moment, on sait généralement si on avait affaire à un véritable écrivain, ou bien à un simple phénomène médiatique. Alors autant mettre les choses au point : Risa Wataya a du talent. Trembler te va si bien, son troisième roman, sorti ce mois-ci aux « éditions Philippe Picquier »:http://www.editions-picquier.fr/auteurs/fiche.donut?id=47, confirme ce qu’on pouvait espérer après les deux précédents, Install et Appel du pied.
Install, le premier jet
Install donne les premiers indices. Il commence par ses mots :
Paroles d’une jeune fille bizarre (oui je l’admets) et mal réveillée : « Et pourquoi faudrait-il que je continue à vivre la même vie que tout le monde ? »
Nous voilà plongés au cœur du questionnement existentiel d’une lycéenne qui se cherche, qui ne sait pas comment aller vers les autres, et qui s’enferme dans un mensonge intenable et dangereux, jusqu’au vertige.
Faisant l’école buissonnière, elle s’improvise hôtesse virtuelle sur un site web de conversations érotiques, en compagnie d’un jeune garçon aussi paumé qu’elle.
On tremble à l’idée de ce qu’un Ryû Murakami aurait tiré d’un tel scénario, mais Risa Wataya s’amuse à prendre la situation à rebours, avec un ton délicieusement immoral. Dont on peut tirer les leçons suivantes : les adultes ne sont pas forcément des ennemis, les ados ne sont pas forcément des idiots, et le risque fait partie de la vie. À condition de ne pas refuser les mains tendues et de comprendre que l’on peut aller vers les autres, tout en restant soi-même.
Install a été adapté en drama, avec la célèbre Aya Ueto dans le rôle principal, en 2004.
Bande-annonce :
Appel du pied, la confirmation
Par rapport à Install, Appel du pied prend de la hauteur, élargit le cadre, bien qu’il semble traiter du même sujet : la quête de soi, lorsque l’on est une lycéenne en plein doute. Les premières phrases :
La solitude me sonne dans la tête. Un son de clochette, très aigu, à me casser les oreilles. Pour que les autres ne le remarquent pas, je lacère une photocopie.
Cela pourrait être la même héroïne que dans Install, qui se sent exclue du groupe et de la tyrannie de la coolitude, mais alors il faudrait intituler le roman Reset. Car cette fois, Risa Wataya nous montre un portrait beaucoup plus nuancé, plus subtil de son personnage (de son double?). La lycéenne solitaire ne veut pas être en rupture, elle balance entre deux attitudes : ressembler à sa meilleure copine, qui accepte d’entrer dans le moule consumériste et futile de la mode et du groupe, ou alors se renfermer sur elle-même, au fond de la classe, en regardant ses pieds. La perspective s’élargit avec la rencontre d’un garçon encore plus introverti qu’elle, un authentique otaku obsédé par une idol, dont il fétichise les photos, dédicaces et autres goodies achetés à prix d’or.
À travers l’expérience décevante d’une rencontre avec ladite idol, les deux vont découvrir ce à quoi ils ne s’attendaient pas : les sentiments. La fin, ouverte comme dans Install, est comme une bouffée d’air frais. D’ailleurs, symboliquement, elle se passe sur un balcon, comme si nos héros ouvraient enfin les fenêtres de leur existence. Appel du pied pourrait donc également s’intituler Appel d’air, mais peu importe le ou les titres : le roman impressionne par sa lucidité, son absence d’apitoiement et la justesse avec laquelle il aborde les thèmes du rejet, de la solitude, et de l’attirance.
Trembler te va si bien, la maturité
Avec ce deuxième roman, la chrysalide s’est définitivement transformée en magnifique papillon, et, oui, Risa Wataya s’est affirmée en tant que véritable écrivain. Trembler te va si bien le confirme, en s’inscrivant dans la lignée d’Install et d’Appel du pied, tout en apportant une vraie nouveauté pour le lecteur : cette fois, l’héroïne narratrice (qui a toujours le même âge que l’auteure !) est une jeune adulte déjà installée dans la vie, tout du moins professionnellement, car côté cœur c’est pas encore ça. La première phrase :
L’attrapera ? L’attrapera pas ? Je suis tellement à garder les yeux fixés sur ce qui brille hors de ma portée que je ne vois même plus les cadavres de toutes les petites choses que j’ai attrapées et qui roulent à mes pieds, loin de la lumière, la marque de mon talon imprimée dessus.
Ce qui brille : voilà ce dont Yoshika, l’héroïne, n’arrive pas à détourner le regard. L’obscure comptable d’une société commerciale, otaku sur les bords, se voit encore en lycéenne, en pâmoison devant son premier et unique amour.
Hors de sa portée.
Tandis qu’elle tente désespérément de se raccrocher à Ichi, le beau prince de son adolescence, elle repousse Ni, un commercial de sa boîte, lourdaud et sportif, tellement concret.
Une femme qui hésite entre deux hommes, une fois de plus le canevas n’est guère original. Mais encore une fois, c’est par le ton, et par le regard acéré que Risa Wataya réussit à nous capter. Un art consommé de la formule et de l’autodérision, qui fait un bien fou (Ah là là, ces hommes qui disent exactement ce qu’ils pensent sans réfléchir…), et un sens du détail signifiant (l’escarpin renversé, le post-it rouge, le gag des croquettes ) qui rend les situations plus vraies que nature.
Captiver le lecteur, lui faire partager émotions, sensations et sentiments, tout en décrivant des situations déjà vues dans un quotidien ordinaire, et par-dessus le marché, faire rire, voilà une preuve de talent. Lorsqu’en plus, cela nous apprend beaucoup sur la condition des femmes, les phénomènes de mode et les comportements dans la société japonaise d’aujourd’hui, notamment l’otakisme, ce n’est plus seulement du talent, c’est la marque de livres importants.
À noter que les trois livres sont traduits par Patrick Honnoré, ce qui accentue l’unité de style et la précision dans le choix des mots et des formules. Risa Wataya a aujourd’hui 29 ans. Son dernier roman, Kawaisou da ne?, titre anglais Isn’t It a Pity?, a reçu le prix Kenzaburô Ôe. Nous attendons sa traduction avec impatience.
Visuels ©Editions Philippe Picquier