Une rentrée 100 % Picquier (enfin presque)
Pour notre rendez-vous trimestriel sur l’actualité littéraire japonaise, les « éditions Philippe Picquier »:http://www.journaldujapon.com/2013/04/a-la-decouverte-dun-editeur-philippe-picquier.html sont à l’honneur : non seulement ils sont quasiment les seuls en cette rentrée à être présents, mais en plus, ils ont mis les petits plats dans les grands, alliant la quantité à la qualité. En conséquence, ce sera une chronique 100 % Picquier… enfin presque.
L’enfer selon Yasutaka Tsutsui
Presque, seulement, car en cherchant bien, tout de même, nous avons trouvé un jeune éditeur indépendant, les « Nouvelles Editions Wombat »:http://www.nouvelles-editions-wombat.fr, qui a le bon goût de proposer dans sa collection Iwazaru des traductions de romanciers japonais contemporains, de préférence hors des sentiers battus.
C’est le cas avec « Hell »:http://www.nouvelles-editions-wombat.fr/livre-T3.html, le nouveau roman de Yasutaka Tsutsui, que les amateurs de japanimation connaissent bien.
Plusieurs de ses oeuvres de science-fiction ont fait l’objet d’adaptations, comme La traversée du Temps, ou Paprika. Les amateurs de littérature se souviennent peut-être aussi d’un de ses best-sellers, Les Cours particuliers du professeur Tadano, roman à l’ironie mordante paru chez Stock en 1996.
Cette fois, Hell nous invite à flirter avec le fantastique, en faisant se télescoper monde réel et imaginaire, avec une histoire de fantômes coincés dans un purgatoire qui ressemble à une grande ville moderne… Parution prévue le 5 septembre.
Kenzaburô Oé, le grand retour
Ce nouveau roman s’intitule Adieu, mon livre ! (Sayonara, watashi no hon yo!) et met en scène un écrivain vieillissant, survivant d’une catastrophe, et qui cherche à donner un sens à ce qui lui reste de vie. Un vieil ami lui rend visite, et lui expose un étrange projet, ce qui entraîne entre eux un long dialogue sur l’engagement, la création, et le déclin de la société. Bien entendu, c’est une fiction, mais il est difficile de ne pas reconnaître Kenzaburô Oé dans son propre personnage, lui qui estime comme le poète T.S. Eliot (auquel il emprunte son titre Farewell, my Book!) « qu’il ne faut pas attendre du vieil homme la sagesse, mais au contraire la folie au regard du sens commun, une sorte d’irrévérence pour l’ordre établi.«
Depuis la parution japonaise de ce roman, en 2005, s’est produit au Japon la pire catastrophe depuis Hiroshima : le désastre nucléaire de Fukushima, consécutif au tsunami. Pour l’écrivain, éternel engagé et antinucléaire convaincu, cette catastrophe l’oblige à « réfléchir encore plus sérieusement que jamais à cette question qui concerne l’individu, l’Etat-Nation et le monde« . Lui qui avait juré, lors de son discours de réception du prix Nobel en 1994, ne plus jamais écrire de roman, est plus présent que jamais dans le monde des lettres japonaises. Contesté et contestataire, il combat le nationalisme, le nucléaire, et la passivité d’une bonne partie de la société. « Je reste dérangeant. Certains me dénigrent ou me considèrent avec condescendance. Mais force est de constater qu’au Japon il y a de moins en moins d’intellectuels contestataires. »
Pessimiste, mais pas découragé, il n’hésite pas à s’interroger sur le caractère peu démocratique de la société japonaise actuelle. « Cette crise ne se réduit pas au désastre de Fukushima. Le plus désespérant pour moi est la conspiration du silence des compagnies d’électricité, des administrations, du gouvernement et des médias pour cacher les dangers. (…) Sommes-nous un peuple aussi facile à berner ? (…) Tout mon travail prendra sens le jour où la société civile japonaise aura réussi à faire triompher, pour la première fois peut-être, la volonté populaire.«
Double bonne nouvelle, donc, d’entendre encore la voix combative et lucide d’un des derniers grands intellectuels de l’après-guerre, et de pouvoir dans un mois, le 3 octobre prochain, lire cet Adieu, mon livre! Espérons que ce sera le premier, à paraître chez Picquier, de la liste de textes encore inédits en France.
Cette nouvelle suffirait seule à combler une pleine chronique d’actualité littéraire, mais les éditions Philippe Picquier, ont, comme nous vous l’avons dit plus haut, d’autres surprises en réserve, et dans un genre résolument différent.
Nota bene : les citations sont extraites de différents entretiens à des médias français, pour le Monde des Lettres (2005), le Monde des Livres (2012) et la NRF (2012).
Une nouvelle héroïne pour Risa Wataya
Un retour également assez attendu, celui de Risa Wataya, « la jeune romancière prodige »:http://www.editions-picquier.fr/auteurs/fiche.donut?id=47 qui nous avait étonnés avec Install (écrit à 17 ans) et séduits avec Appel du Pied (19 ans, et prix Akutagawa !).
Son nouveau roman, Trembler te va si bien, sort le 5 septembre, et ne décevra pas ses fans : comme les précédents, il raconte les tourments féminins de façon drôle, touchante et souvent féroce – sauf que cette fois l’héroïne n’est plus une ado, mais une jeune femme récemment arrivée dans la vie active. En vérité, la narratrice n’est pas complètement sortie de l’enfance, et elle devra régler ses comptes avec un amour de jeunesse trop idéalisé pour passer ce cap. Le sujet – une sorte de Bridget Jones japonaise – est assez convenu, certes, mais l’auteure a le sens de la formule qui fait mouche, et sait décrire avec justesse tout l’éventail des émotions : nostalgie, exaltation, déprime, ironie et tendresse…
Petit extrait :
« Mes collègues de bureau entrent et sortent des toilettes de part et d’autre de celles que j’occupe, il y a du roulement. J’entends parler celles qui réajustent leur maquillage devant le miroir, pendant que je reste assise sur le couvercle fermé des W-C, la tête dans les mains. L’un des escarpins noirs que j’ai enlevés gît renversé sur le côté, le papier toilette avec lequel j’essuie mes larmes peluche sur mes joues. Très absorbant, se désagrège à l’eau. J’aurais pu m’en douter, puisqu’il est fait pour passer à la chasse après usage.«
Notre coup de coeur : le premier roman d’Ito Ogawa
Autre sensible portrait de femme, mais dans un style nettement plus doux, quoique non dépourvu d’humour non plus, « le premier roman »:http://www.editions-picquier.fr/auteurs/fiche.donut?id=399&fletter=O d’Ito Ogawa se nomme Le Restaurant de l’amour retrouvé.
Gros succès au Japon, déjà adapté en film, c’est l’histoire d’une jeune employée de restaurant, qui perd tout du jour au lendemain : son amoureux qui la plaque et part avec tout le contenu de son appartement, économies comprises. Sous le choc, elle perd même l’usage de la parole. Désormais muette, la voilà donc contrainte de retourner vivre chez sa mère, à la campagne, pour repartir de zéro. Son objectif : ouvrir son propre restaurant…
Ce livre délectable propose la cuisine comme remède à nos peines de coeur. Il fait la part belle aux produits ruraux, aux recettes simples mais sensuelles, et il est difficile de ne pas saliver en lisant certaines pages… C’est dans l’air du temps, un peu bobo sur les bords, et peut-être idéaliste, voire naïf, mais oh que ça fait du bien à lire ! La dernière page tournée, c’est même notre coup de coeur, à notre grande surprise. Sortie le 5 septembre.
Petit extrait :
« Tard un soir, au retour de mon petit boulot dans un restaurant turc, une pile de donuts recouverte d’une serviette en papier était posée sur la table et, à côté, ma grand-mère était morte, comme endormie. J’ai collé mon oreille contre sa maigre poitrine, sans rien entendre, j’ai placé la paume de ma main devant sa bouche et son nez, sans sentir le moindre souffle. Je savais bien qu’elle ne ressusciterait pas. Je ne me suis pas dépêchée d’appeler quelqu’un, j’ai décidé de passer cette dernière soirée en sa compagnie, rien que nous deux. Peu à peu, son corps s’est refroidi et raidi. A ses côtés, j’ai passé la nuit à manger les donuts. Elle avait mélangé des graines de pavot à la pâte saupoudrée de cannelle et de cassonade, jamais je n’oublierai ce goût suave.«
L’actu des rééditions
Pour terminer, nous vous proposons un petit tour des rééditions les plus intéressantes de l’automne :
Chez Picquier (encore) :
Ryû Murakami est mis en avant, d’une part, avec la réédition au format poche (donc à prix doux) de Chansons populaires de l’ère Showa, un des romans les plus noirs de l’écrivain ; d’autre part, avec le regroupement de trois autres livres déjà parus (Ecstasy, Melancholia et Thanatos) dans un coffret intitulé Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort. Parutions respectives les 5 septembre et 31 octobre.
Pour ceux que rebute tant de noirceur, il y a la possibilité de s’essayer à la philosophie bouddhiste zen, avec Vers la lumière, de Genyû Sôkyû : un roman sur le passage vers l’au-delà, écrit par un praticien et théoricien du bouddhisme. Sorti le 22 août dernier.
Chez 10/18 :
Rééditions début novembre en « poche »:http://www.10-18.fr/site/rechercher_un_ouvrage_10_18_&1000&0&1&1.html?RECHA=murakami de deux courts textes de l’autre Murakami, Haruki : Sommeil, et Les Attaques de la Boulangerie. Ce ne sont pas vraiment des nouveautés, mais puisque ça se vend très bien…
Chez les Editions retrouvées :
…Donc, puisque ça se vend très bien, pourquoi s’en priver ? Cette « succursale de Flammarion »:http://www.editions-retrouvees.fr/collection.html spécialisée dans les rééditions à prix réduit de best-sellers, propose La course au mouton sauvage, le 4 septembre.
Sur ce, bonnes lectures à tous !