Shôji Kawamori : The Mecha Conference
Il est 18h15 en ce vendredi et c’est avec le sourire, dans une ambiance chaleureuse, que nous nous installons en salle de presse pour la conférence privée tant attendue de Shôji Kawamori. L’invité d’honneur japanimation de cette 14e édition de Japan Expo possède une biographie et une « animegraphie » impressionnante : à 53 ans, il a réalisé plus d’une douzaine d’anime et a participé à près d’une cinquantaine de projets aux postes aussi variés que chara-designer, mecha-designer et scénariste pour ne citer qu’eux.
L’homme est simple, souriant et se montre détendu et bavard dès que l’on aborde le domaine des mecha, on ne s’est donc pas fait prier !
Le mecha : concept, design et valkyrie
Bonjour Monsieur Kawamori…
L’année dernière à la même place, Haruhiko Mikimito est revenu sur votre parcours commun, est-ce que vous pourriez à votre tour nous parler de votre collaboration ?
J’ai rencontré monsieur Mikimoto pour la première fois au lycée, en tant que camarade de classe. On aimait tous les deux l’animation et nous dessinions ensemble. Moi j’étais un passionné de mécanique et lui était particulièrement doué pour dessiner les personnages et notamment les demoiselles. (Rires)
Il avait la capacité, lorsqu’on avait croisé des jeunes filles dans la rue, de nous les re-décrire avec tellement de détails et de précisions que nous pouvions les voir comme si elles étaient encore devant nous. C’est à cette époque que nous avons beaucoup parlé, échangé et que les fondements de Macross sont apparus.
Il y a toujours une part de recherche plus ou moins importante dans le mecha-design, quelle place lui attribuez-vous dans votre processus créatif ?
À la base j’aimais beaucoup les avions et les voitures, mais il y a une constante évolution technologique donc même si je les ai beaucoup étudiés je dois sans arrêt me tenir informé des progrès en la matière. C’est vraiment une recherche perpétuelle.
Vous avez participé à l’évolution du mecha-design, comment le voyez-vous évoluer au jour le jour ?
Ce qu’il se passe, c’est qu’avec cette évolution de la technologie et de la technique, on arrive a du mecha-design qui n’est plus contrôlable par les humains. Je pense par exemple au drone, cette machine bien réelle où l’homme n’est plus nécessaire. Comme nous nous inspirons de ces avancées technologiques, l’absence de pilote est une vraie question dans l’avenir du mecha-design.
Mais dans mon cas je ne pense pas qu’au mecha-design quand je réalise un robot, je pense avant tout à l’univers qui va l’entourer pour que le design se fonde dans cet univers. Il ne faut pas uniquement s’intéresser à ce que l’on voit à l’extérieur et aux évolutions propres au mecha-design, mais plutôt se soucier de cette harmonie entre le robot et son environnement.
C’est ça, pour moi, qui est le plus important.
Il y a 10 ans tout le monde ou presque était persuadé que la 3D supplanterait bientôt la 2D dans le mecha-design, mais on s’aperçoit qu’elle fait de la résistance…
Il y a au Japon des animateurs 2D qui sont très talentueux et lorsque l’on veut travailler sur les expressions et que l’on désire les intensifier que l’on veut « en faire trop » , la 2D est vraiment ce qu’il y a de plus adaptée pour cela.
Maintenant, pour les intervallistes, le travail du mecha-design fourmille déjà de détails et le niveau de détail de la 3D serait impossible à reproduire pour eux. C’est pour cela qu’on se pose toujours la question lors de la création du design si ce dernier sera pour de la 3D ou de la 2D. Il sera réalisé, ensuite, en fonction de ça.
Conséquence ou non, je suis capable de dessiner la première valkyrie les yeux fermés sans aucun problème alors que, pour celui de Macross Frontier, j’en serais bien incapable ! (Rires)
Qu’est-ce qui reste le plus difficile dans votre métier ?
La date limite de rendu car à chaque fois, elle nous court derrière ! (Rires)
En ce moment c’est un peu plus gérable que ça n’a été, mais j’ai tout de même trois concepts d’histoire sur le feu avec trois mecha-design en cours également… Mais ça va. (Rires)
Et parmi tous les méchas que vous avez dessiné, y en a-t-il un qui vous a particulièrement posé problème ?
Le plus dur a été la création de la première valkyrie. Il aura fallu pas loin de un an pour mettre sur pied le mode Gerwalk, et encore un an et demi pour le mode Battloid.
Monsieur Kawamori prend alors en main un valkyrie en lego pour nous expliquer…
Ce qui a pris le plus de temps c’est la prise de conscience d’une transformation d’un avion en un robot humanoïde. Il m’a fallu plus d’un an pour trouver l’idée de rentrer ses bras à l’intérieur par exemple. Mais dès que cette idée est arrivée, il m’a suffit moins d’une semaine pour finir le reste.
C’est vraiment de réfléchir à un nouveau concept qui reste le plus difficile.
Quel est votre meilleur souvenir dans votre carrière d’animateur ?
C’est difficile à dire car à chaque nouvelle création je me retrouve vraiment pris au jeu, c’est un assemblage d’expériences qui sont combinées dans une nouvelle création. C’est finalement ce moment de fusion de ces influences vers un nouveau projet qui est le plus intéressant. J’ai beau le refaire et le revivre à chaque anime, je trouve ça toujours aussi passionnant.
Shôji Kawamori : œuvres et influences
Sur quelles bases vous êtes vous reposées pour concevoir l’Odysseus dans Ulysse 31, aviez-vous des lignes directrices ?
Il y avait une grande discussion autour du design de l’Odysseus, qui devait être un vaisseau bien plus gros au départ. Mais nous nous sommes dits : « pourquoi ne pas nous baser sur les logos de France 3 », la chaine où l’anime allait être diffusée. Nous sommes donc partis de ça pour créer le vaisseau, le logo en forme de cercle pour l’Odysseus et nous nous sommes également inspirés du 3 en jaune pour le titre.
Et pour les navettes ?
J’ai recherché une simplicité des formes : rond carré et triangle. C’est vraiment ça qui m’a guidé, car le public visé était assez jeune et je voulais qu’il puisse se rappeler de ces vaisseaux. J’ai essayé d’y ajouter également une pointe de réalisme.
Comme vous avez travaillé sur Transformers, sur le mecha design d’Optimus Prime notamment, que pensez-vous des derniers films live de la série ?
Disposer de cette masse financière d’Hollywood pour une licence est toujours une bonne chose mais je trouve dommage que ce concept de transformation 100% mécanique ait disparu, puisqu’il y a maintenant des choses qui se rajoutent en plus.
Vous êtes connu comme mecha-designer mais aussi comme réalisateur, notamment pour la série Arjuna en 2001. Est-ce que vous pourriez revenir sur ce projet ?
Avant cette œuvre, il y a eu Spring and Chaos (en 1996, ndlr), une œuvre courte qui m’a permis de rencontrer les gens du studio Satelight. J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour les technologies mais à un moment, je me suis penché sur les capacités humaines, les capacités extra-sensorielles. C’est là-dessus que j’ai voulu travailler et c’est ainsi qu’est né Arjuna.
Dans mes recherches je suis allé voir des civilisations, des peuplades qui ne tuent aucune bête, qui ne font pas d’élevage, qui n’utilisent pas de pesticides ou autres et qui vivent en parfaite harmonie avec la nature. Tout ça n’avait pas encore été traité dans le monde de l’animation donc j’ai voulu utiliser dans Arjuna.
Parmi ces expériences vous auriez participé à un épisode de Cowboy Bebop, l’épisode 18, est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur votre participation à cette série ?
Sur l’épisode j’ai juste participé au concept, à la ligne directrice.
J’ai fait partie de la genèse du projet de Cowboy Bebop, en créant le concept des portes interstellaires, les « gates », ainsi que celui de la base de Mars.
Parlons un peu des idols. Est-ce que vous pensez être à l’origine du concept des idols, à travers Lynn Minmey notamment ?
À l’époque de la création de Macross, nous réfléchissions avec monsieur Mikimoto à l’histoire. Un jour où nous étions en train de manger dans un restaurant chinois, il a dessiné une Minmey en train de chanter. À la base, on se disait que ce serait intéressant de voir la progression de cette jeune fille vers le statut d’idol mais on ne pensait pas du tout l’inclure dans une série SF.
Quand on l’a inséré dans l’anime par la suite, il n’y a pas eu de refus sur l’idée mais on a plutôt rencontré des difficultés pour la faire chanter correctement en terme d’animation. C’était plutôt ça le problème.
Enfin le plus gros point de mésentente a été dans le choix de clore une guerre avec une chanson. Pour moi c’était une chose importante, qui permettait de prendre à contrepied tout le reste. Comme c’était primordial pour moi, j’ai vraiment mis la main à la patte, au storyboard et à plusieurs postes. J’ai vraiment pris sur moi de tout faire.
Pour aller plus loin que pensez-vous de ce qu’on a fait de ce concept d’idol, à travers de animes comme Perfect Blue ou encore le personnage d’Hatsune Miku ?
Pour Perfect Blue c’est une évolution car on la voit dans sa vie de tous les jours alors que ce n’était pas du tout le cas sur Macross, c’est ça qui est intéressant.
En ce qui concerne Hatsune Miku, je dirais qu’avec Macross Plus on a établit ce concept d’idol virtuelle car à l’époque on pensait qu’une simple idol n’aurait pas suffit. De plus, vu que la technologie était insuffisante, elle était manipulée derrière par Myung. On retrouve cette manipulation d’une idol par des hommes et par ses propres chansons dans Hatsune Miku. Je pense que quelque part nous avons déclenché tout ceci.
Est-ce que vous êtes étonné de la passion de la France pour le manga et les animes ?
Très surpris bien sûr, mais surtout très heureux parce que je constate un intérêt pour toute la culture japonaise : la tradition japonaise, les armes, tout un ensemble de chose et de spécificités qui font le Japon. Et j’en suis ravi.
Cet intérêt ne date pas d’hier car quand les ukiyo-e sont arrivés en France ils ont eu beaucoup d’influence sur les Impressionnistes, mais lorsque ces derniers sont arrivés au Japon ils ont aussi eu beaucoup d’influence sur les artistes japonais.
Durant le dernier Tokyo Anime Fair, nous avons annoncé une nouvelle série du nom de Nobunaga The Fool (plus d’informations en fin d’interview, ndlr) dans lequel Nobunaga rencontre Jeanne d’Arc sur une autre planète, et le créateur des robots est Leonard De Vinci. Je pense que tout ça m’a été en partie inspiré par ma venue à Japan Expo il y a 4 ans.
Et si jamais…
Vous avez une carrière énorme mais est-ce qu’il y a une série à laquelle vous auriez aimez participer ou dont vous auriez aimé avoir l’idée ?
On me pose souvent la question au Japon… Quand j’avais 20 ans j’avais pensé à une comédie spatiale où une demoiselle avait un pendentif solaire qu’elle mettait sur un vélo qui lui permettait de se balader dans l’espace. J’avais préparé le projet et juste avant que je le présente, avant Macross, à une chaîne de télé… Il y a E.T. qui est arrivé. Vous comprendrez donc mon recul envers Spielberg. (Rires)
J’ai voulu refaire un essai dans ce style et là… C’est Laputa qui est arrivé. Ce qui est amusant c’est que dans le monde il y a souvent la même idée qui apparait à plusieurs endroits différents sur la planète.
Y-a-t-il des grands noms de l’animation avec lesquelles vous aimeriez travailler ?
Je pense que j’ai travaillé avec la plupart d’entres-eux. De toute façon lorsque je conçois un projet, j’imagine toujours quelles sont les personnes qui correspondraient au projet, donc j’ai toujours pu travailler avec qui je voulais.
Imaginons qu’on vous donne l’occasion de rentrer dans un mecha… Est-ce que ça vous seriez tenté et lequel choisiriez-vous ?
J’ai vraiment envie, un jour, de pouvoir créer une machine, une voiture, qui se transforme, qui va jusqu’au soleil, qui peut plonger dans les fonds marins. C’est mon rêve.
Si je devais monter dans un mecha qui existe déjà je choisirais sans aucune hésitation une valkyrie. Mais j’aimerais qu’elle soit plus compacte, pour pouvoir me balader en ville ! (Rires)
Si un débutant venait vous voir en voulant faire la même carrière que vous, quel serait votre conseil ?
L’animation est un métier difficile, on a jamais le temps… Même de dormir (Rires)
Mais de ce travail ressort une telle excitation que je l’inviterais à tenter le challenge. Qu’il s’agisse d’un designer ou d’un réalisateur il est important d’expérimenter un maximum de choses et rencontrer pleins de personnes, surtout lorsqu’on veut créer une œuvre original. C’est ce qui permet de faire naître des idées et de réussir à en faire quelque chose de concret.
Pour faire quelque chose d’original il ne faut pas se limiter à ce qu’on peut voir dans les romans, les mangas et les films, car on sera forcément limiter à un moment ou un autre. Il est important de vivre ses propres expériences. C’est grâce à ces expériences personnelles que nait l’originalité créative, qui peut permettre la singularité d’une nouvelle œuvre.
Je l’encouragerais vraiment à aller dans ce sens.
Merci monsieur Kawamori !
Compléments d’informations :
Suivez Shôji Kawamori sur son « site officiel »:http://www.satelight.co.jp/kawamori/.
Suivez le projet Nobunaga the fool sur son « site web »:http://the-fool-project.jp/ ou sur « Twitter »:https://twitter.com/thefoolproject
Remerciements à monsieur Shôji Kawamori pour son temps et sa passion intacte. Merci également à Emmanuel Bochew, agent et interprète et à Japan Expo pour la mise en place de cette interview.Médias présents : Manga-News, TVH Land, Daily Mars, 30 ans et demi et bien sûr Journal du Japon !
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