[dossier] Sakuga, le meilleur de l’animation japonaise
Vous avez forcement dû voir, dans l’animation japonaise, des passages plus ou moins longs qui dénotent fortement du reste de l’œuvre. Un moment important qui marque le climax d’une série où l’on oublie les plans fixes des dialogues précédents et les zooms rapprochés sur visages. Et bien cet instant, c’est de la « sakuga animation ».
Les transformations dans Sailor Moon, c’est sakuga, la plupart des openings (ou OP, les génériques d’ouverture d’anime), c’est sakuga, les combats importants dans Naruto (Sasuke, Orochimaru, Pain), c’est sakuga… et que dire de REDLINE dans son ensemble ! La difficulté pour repérer ce genre de séquence étant qu’il peut tout autant s’agir du combat contre un boss final que le rattrapage d’une saucisse…
Ces plans se cachent donc partout, selon le bon vouloir d’un réalisateur ou de la fougue d’un animateur clé (KA dans ce dossier, pour Key Animator) assigné à une scène. Il ne faut donc pas s’étonner de voir certain opening être flamboyant, alors que le contenu des épisodes est à la ramasse.
Plus que tout, l’opening est le packaging d’un anime, il se doit d’être aguicheur… Sans oublier qu’on peut le réutiliser sans vergogne à chaque épisode, tout comme les scènes répétitives d’une transformation de magical girl. Enfin son but est de présenter la série et ses personnages, il n’y a donc pas de trame à respecter et l’imagination des animateurs peut s’envoler librement et faire preuve d’originalité.
Observez bien les décors du générique de Soul Eater. Certains sont animés, au même titre que les personnages !
Sans vouloir regarder un anime juste pour ces scènes, vous trouverez peut être ici un nouveau critère pour choisir vos séries : la qualité de son animation. Ces moments où la fluidité de l’animation est sans pareille et les chorégraphies complexes sont à créditer à certains animateurs que nous évoquerons plus tard dans ce dossier.
Parlons maintenant de ce corps de métier et du processus dans lequel il s’imbrique.
KA : les key animators dans les grandes lignes
Pour vous expliquer le travail d’un animateur de façon générale voici le matériel qu’il a à sa disposition :
Le design général des personnages, des environnements, des machines, ou autre grâce au travail du character-designer ou mecha-designer. Celui-ci lui laisse un gros book (le model sheet) contenant des dessins sous différents angles, leurs dimensions relatives et leurs attitudes les plus caractéristiques.
Un storyboard, la plupart du temps fait par le réalisateur, qui décrit ce qu’il se passe dans l’ensemble des scènes.
Et des layout qui apportent tous les détails nécessaires, plan par plan, souvent fait par les KA eux-même avant de créer les poses clés.
Avec tout ceci en main, et lorsque les layout sont validés, l’animateur dessine les images dites « clés », les mouvements principaux, puis un intervalliste rajoute les images d’intervalles selon ses consignes. Plus il y aura d’images intermédiaires, qui servent à lier les mouvements majeurs entres-eux, plus l’action sera fluide, sachant qu’au bout d’un certain nombre d’image par seconde l’œil humain ne fait plus la distinction entre chaque dessin, et voit un seul mouvement.
On peut retrouver ce processus dans l’image suivante, tirée de la série Gurren Lagann : la première image représente les animations clés, puis sur la seconde, ont été ajoutées les intervalles et un nettoyage de l’image. Enfin la troisième présente le rendu final coloré avec arrière-plan.
Tout ce travail d’intervalliste est laissé à la main d’œuvre (parfois délocalisée en Corée ou en Chine), et les images clés sont confiées à des animateurs plus expérimentés. Le réalisateur donne à chaque animateur clé un ou plusieurs plans à faire et ceux-ci dessineront tout ce qui est présent dans le plan : les personnages, les effets, les objets, tout ce qui bouge. Ces dessins seront ensuite colorisés (aujourd’hui par ordinateur) puis posés sur des décors fixes.
Ce processus qui oblige un animateur à gérer un plan de A à Z favorise l’imprégnation de son style, et quand ceux-ci sont talentueux, cela donne naissance aux séquences sakuga.
Compilation de plans animés par Hiroyuki Imaishi (Gainax, Trigger).
Cependant un superviseur de l’animation passe généralement derrière pour aplanir le travail de chaque animateur et garder un ton régulier à l’œuvre. Par exemple, Hayao Miyazaki gère l’animation de ses films à tel point qu’on ne reconnait plus la patte de certains animateurs. Il faut savoir que l’animation japonaise et bien une des seules qui continue à pratiquer le dessin à la main (même si les mechas en images de synthèse se banalisent). Le succès des studios (Pixar, Dreamworks) et écoles d’animation 3D influe sur les productions actuelles. Les dessins animé français d’aujourd’hui donnent à nos enfants des œuvres entièrement en 3D depuis plusieurs années (Le petit prince, Monster Buster Club), mais l’animation à la main permet des choses qui ne sont pas possible par ce vecteur, un grain, un rendu, qui ne s’obtient qu’avec un dessin traditionnel…
Pourquoi le travail d’un animateur clé est-il si important ?
Il faut bien comprendre que le travail des animateurs clé requiert certaines compétences. Comment la matière vivante ou inerte réagit à un choc, comment un objet tombe en fonction de son poids, de son inertie et autres notions de physiologie sont autant de choses qu’un KA doit savoir, et exprimer au travers d’une séquence de mouvement.
Bien sûr c’est aussi le travail d’un mangaka que de décrire un mouvement, mais l’art séquentiel ne peut se permettre de décrire une action dans son intégralité, et cherche des raccourcis et astuces pour les exprimer. Exception faite avec les libertés que se permet Yusuke Murata (Eyeshield 21) dans One Punch Man, que vous pouvez observer directement en ligne, dans les chapitres 15 ou 17.
Au delà de la simple question esthétique, les KA sont au cœur même de la narration de l’œuvre, car c’est au travers de leur travail que l’émotion du personnage va transpirer.
L’animation, au même titre que la musique et le character design, est une méthode de narration du récit, un jeu d’acteur. Pour raconter cette histoire, un anime dispose de plusieurs outils : la musique, les doublages, effets sonores, l’animation, etc…
Parfois certaines productions ont une très bonne histoire mais une mauvaise narration. L’animation est souvent en cause : on ressent le budget limité, les plans fixes et très gros plans sur les visages se multiplient et les mouvements sont saccadés et simplistes.
A contrario, une production comportant des scènes de haute volée intensifiera son histoire, voir même la dépassera, pour faire décrocher le spectateur de tout enjeu scénaristique et l’isoler pour ravir ses pupilles de l’instant présent (comme REDLINE).
Un bon scénario qui décrit un personnage et ce qu’il ressent n’est donc pas toujours suffisant, il faut des artistes talentueux pour tout retranscrire…
Retrouvez la suite de notre dossier dès la semaine prochaine avec les grands noms de l’animation clé, illustrés en vidéo bien sûr !
Sources ayant servies à ce tour d’horizon :
La très complète conférence « That Scene was Awesome: Japan’s Iron Animators (Sakuga Anime) » à l’Anime Central 2011, présenté par Sean Bires, Colin Groesbeck et Neil Clingerman, traduite en Français par Asiafilm.
Le reportage How Anime is Made de Danny Choo pour Culture Japan.
http://washiblog.wordpress.com, Wikipedia.
Très bon article bravo!!!
Merci beaucoup ! Ravi que ce petit tour d’horizon vous ai plu.
N’hésitez pas à jeter un œil à nos récapitulatifs de la Nihon Animator Mihonichi ( http://www.journaldujapon.com/2014/12/28/avec-hideaki-anno-la-japanime-sexhibe/ ), il y est souvent question de technique d’animation. Même si la diffusion des courts-métrages est terminée vous devriez pouvoir les trouver sur le net avec quelques recherches.