Picquier, l’éditeur qui a démocratisé la littérature japonaise

Editions Philippe PicquierSur le marché de l’édition française, « Philippe Picquier »:http://www.editions-picquier.fr/ occupe une place bien à part. En moins de trois décennies, l’éditeur a réussi à s’imposer comme le spécialiste reconnu et incontournable de la littérature asiatique, et particulièrement japonaise : de Sôseki à Ryû MURAKAMI, d’Edogawa RANPO à Hiromi KAWAKAMI, la plupart des grands noms sont à son catalogue, et quiconque s’intéresse un peu aux lettres japonaises connaît l’immuable design des couvertures des livres Picquier : un logo unique (le fameux « lecteur en kimono », ci-contre), une typographie chaleureuse et moderne, et des images immédiatement identifiables, troublantes estampes japonaises ou photos de la jeunesse tokyoïte contemporaine.

En 2013, les éditions Philippe Picquier attaquent leur second quart de siècle. Avec deux défis en ligne de mire : accompagner le lecteur dans le tournant de l’édition numérique, tout en continuant à lui révéler les grands noms d’aujourd’hui et de demain (Hideo FURUKAWA, Kazushige ABE…). Le Salon du livre de Paris était l’occasion, pour le Journal du Japon, d’aborder tous ces sujets, avec Philippe Picquier lui-même, et avec Isabelle Lacroze, son attachée de presse depuis 10 ans.

Philippe Picquier, le passeur

Philippe Picquier

Si aujourd’hui la littérature japonaise est « à la mode », Philippe Picquier y est pour quelque chose. Il suffit de regarder avant 1985, à part trois ou quatre grands noms Kawabata, Tanizaki, Kōbō ABE ou encore Kensaburō OE, rien ou presque n’était publié. « Philippe Picquier avait des amis à l’École des Langues orientales qui, comme lui, se plaignaient de ne pas voir traduits ni publiés des auteurs qui leur plaisaient et qui les intéressaient. Ça n’existait pas, tout était à faire. Et il y avait aussi un gros travail à faire sur la littérature chinoise. »
D’où cette idée de « créer des passerelles, de montrer qu’elles existaient entre la littérature asiatique et l’intérêt du lecteur français, sans exotisme. L’aider à se plonger dans la littérature asiatique sans qu’il soit perdu pour autant. » Et pour cela, en s’appuyant sur le travail de traducteurs comme Corinne Atlan ou Patrick Honnoré, « mettre à niveau le lecteur français, donc commencer par des auteurs accessibles, et ensuite l’inviter à aller plus loin. »
Aujourd’hui, le succès est là. Y a-t-il une part d’effet de mode ? « C’est vrai qu’il y a beaucoup plus d’éditeurs français pour s’intéresser à la littérature japonaise qu’avant, ce qui prouve que nous ne nous sommes pas trompés. » Isabelle Lacroze rajoute en souriant que, travaillant pour Philippe Picquier depuis 10 ans, cela fait aussi 10 ans qu’elle entend parler d’effet de mode…

L'équipe du stand Picquier au SDL 2013

« Plus sérieusement, c’est plus profond que ça. C’est le résultat d’un véritable attrait pour la littérature asiatique, qui ne se dément pas ; c’est une recherche de sens aussi, de spiritualité… À travers des manières de raconter différentes, des sujets différents et une façon différente de voir le monde aussi. »
Cela s’est ressenti au moment du tsunami et de la catastrophe nucléaire de 2011, les Français sidérés ont mesuré à l’aune de ce choc les différences de culture, «la pudeur des Japonais, cette façon de gérer, d’en parler, notamment dans leurs médias, et chez leurs auteurs. » Au Salon du livre de 2012, les lecteurs français ont beaucoup interrogé les auteurs, tels qu’Hideo FURUKAWA et Risa WATAYA à ce sujet.

Regards sur un offre en évolution

Le stand Picquier au SDL 2013

Avant d’aborder les nouveautés, nous discutons des valeurs sûres : Edogawa RANPO, Ryû MURAKAMI… « Il ne se passe pas une semaine sans que j’entende parler de ces deux-là, » s’amuse Isabelle Lacroze. « C’est vrai que ce sont des piliers, toujours demandés. Par exemple, un roman comme Les Bébés de la consigne automatique (1996) reste une référence forte qui a fédéré les lecteurs au début peu nombreux de littérature japonaise, et qui se sont retrouvés chez cet auteur très rock’n’roll. Mais aujourd’hui, les lecteurs l’attendent moins. C’est plus diffus, parce qu’il y a beaucoup plus de traductions disponibles, et les lecteurs sont eux-mêmes plus nombreux et plus diversifiés. »
Il est vrai qu’entre Hiromi KAWAKAMI, très attendue pour son nouveau roman Les 10 amours de Nishino, au style onirique et poétique, Kazushige ABE et son sombre et monumental Sin Semillas, ou encore l’inclassable Florent Chavouet, qui mêle carnet de croquis, dessin manga et roman graphique, on a chez Picquier toutes les façons de raconter le Japon.

Nouveaux auteurs : la relève

Sin Semillas

Le premier évènement de ce début 2013, c’est Sin Semillas de Kazushige ABE. « Au Japon, on parle d’Abe comme on a parlé avant lui de Ryû Murakami, ou d’Haruki Murakami. C’est un auteur très prometteur dont on attend énormément. Il a créé un événement avec ce livre de 1 000 pages, assez sombre, fourmillant de détails, de personnages, d’histoires imbriquées les unes dans les autres… Avec lui, on s’immerge au cœur d’un Japon sombre et mystérieux, qu’il veut nous faire découvrir. »
Et Hideo Furukawa ? Son dernier livre, Ô Chevaux, la lumière est pourtant innocente, est un « ovni littéraire », dont la publication s’inscrit complètement dans la démarche de Philippe Picquier : défendre les auteurs, et « pas seulement dans ce qu’ils ont de plus accessible. » Bien qu’en apparence moins grand public, « c’était une évidence de le publier, il y a une récompense à le lire, on en sort grandi. »
Son prochain livre devrait sortir en 2014 : « C’est difficile d’en parler, parce que la traduction n’est pas encore achevée», explique Philippe Picquier. « Furukawa l’a appelé Soundtrack, c’est un livre d’une grande modernité, oral, c’est un peu la voix de Furukawa…. De ce que j’en ai lu, je crois que ce sera un grand livre ».
Plus accessible peut-être, Pickpocket, de Fuminori NAKAMURA : « je n’ai pas pu le reposer entre le moment où je l’ai ouvert et celui où je l’ai refermé, », dit Isabelle Lacroze. Le lecteur est dans la tête d’un pickpocket « qui ne choisit pas ses cibles au hasard, qui les analyse, en fin psychologue. » Ce roman à l’ambiance particulière a, semble-t-il, trouvé son public, car il est déjà en réimpression juste après sa sortie, et il a reçu le prix Zoom Japon 2013. 

 

Et les mangas ?

Philippe Picquier ne fait pas que de la littérature : il y a des essais, comme cette nouvelle collection « l’Asie Immédiate »:http://www.journaldujapon.com/2013/03/lasie-immediate-revue-de-la-nouvelle-collection-ch.html, dont nous avons déjà parlé ici. Ensuite les livres pratiques (notamment _Apprentissage de la langue japonaise_), une collection jeunesse qui marche très bien, des livres de recettes… Et donc, des mangas.
En 2006, l’éditeur avait lancé, sous la direction éditoriale de Patrick Honnoré, « une collection de manga »:http://www.editions-picquier.fr/catalogue/?cid=14 « dans la lignée de Garo », mais qui n’a pas rencontré le succès escompté. « Ce n’était peut-être pas le bon moment, », estime Isabelle Lacroze. « Ou alors les mangas étaient peut-être un peu trop littéraires. Personnellement, j’avais adoré Oreillers de Laque, de Hinako SUGUIRA. Je le trouvais absolument magnifique avec cette évocation des quartiers de plaisir à l’époque d’Edo. » Les ventes n’ayant pas suivi, l’éditeur s’est recentré sur sa collection jeunesse. « On ne peut pas être partout. ».

Paris, le Retour

Reste que si les titres anciens ne sont pas réimprimés, le domaine manga n’est pas abandonné à 100%, puisque le second volume des aventures de Jean-Paul NISHI, le Japonais à Paris, sort en mai prochain, sous le titre Paris, le retour.

 

Livre numérique chez Picquier : premier bilan

Début 2013, les éditions Philippe Picquier ont profité du Nouvel an chinois pour proposer une opération promotionnelle sur une sélection de titres au format numérique. « Notre politique est d’accompagner ce marché naissant et de donner progressivement à lire sur e-books des livres que nous avons soit dans le fonds, soit en nouveautés », précise Philippe Picquier. « On a numérisé une grande partie du fonds, on continue à le faire, et on s’attache à proposer en numérique toute nouveauté qui sort au fur et à mesure. L’idée c’est de solidariser le papier et le numérique ».
Ces e-books sont aujourd’hui vendus par le diffuseur, Harmonia Mundi, via une plate-forme. « C’est très intéressant de voir se développer cette forme d’achat. Au début, il y a deux ans, on en vendait très peu, c’était symbolique, et maintenant les ventes se sont multipliés par deux, par trois, voire par quatre, même si on part de pas grand-chose. Le fonds tourne de plus en plus vite. Ça vient du fait que notre fonds qui parfois n’est pas disponible en librairie peut être lu autrement, et ça c’est une bonne nouvelle. »
C’est le cas en particulier pour les sciences humaines, ou pour les romans les plus anciens. C’est aussi le cas des nouveautés. « Ça vient du prix attractif : j’ai rencontré des lecteurs, ici au Salon du livre, qui n’ont pas les moyens d’acheter les nouveautés à prix fort, et qui sont de gros mangeurs de livres, alors ils téléchargent. »
L’objectif, à terme, est de faire en sorte que les libraires puissent vendre en numérique. « C’est quand même le papier qui domine, et qui dominera longtemps. Cette politique d’accompagnement est assez saine si on arrive à s’entendre. D’ailleurs nos contrats le soulignent : on demande aux auteurs les droits papier et les droits numériques. Pour l’instant on s’interdit à publier en numérique sans publier en papier. »

Les années douces

 

Coups de coeur

Pour terminer ce tour d’horizon, nous avons demandé à Isabelle Lacroze quels étaient ses coups de cœur : « En littérature chinoise, Yan LIANKE, un auteur à découvrir, il faut absolument commencer par Les jours les mois les années. Pour le Japon : d’une part, Les années douces, de Hiromi KAWAKAMI. Un livre un peu ancien mais que je n’avais pas envie de terminer… et puis d’autre part, Conte de la première lune, de Keiichirô HIRANO, encore plus ancien, qui m’avait totalement bouleversée. Et si je devais en citer un plus récent, j’ai beaucoup aimé Pierrot la gravité de Kôtarô ISAKA, sorti en janvier 2012.»

Tous nos remerciements à Isabelle Lacroze et à Philippe Picquier, pour leur disponibilité et leur accueil.

Photos © journaldujapon.com – Tous droits réservés.

 

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