Rencontre avec Takehiko Inoue, le Vagabond du manga
À l’occasion du Salon du livre de Paris, qui s’est tenu du 22 au 25 mars, nous avons eu l’immense honneur de rencontrer l’invité des éditions Tonkam, Takehiko Inoue, principalement connu pour Slam Dunk, Vagabond et Real. Agréable et souriant, il est de ces artistes pour lesquels les interviews seront toujours trop courtes tant ils sont intéressants.
Vagabond, quand Musashi sent la fin arriver
Révélé par Slam Dunk, Takehiko Inoue a été l’auteur de nombreux projets variés, que ce soit dans le domaine du manga ou de l’exposition. En 1998, il commence l’adaptation de La Pierre et le Sabre, un roman d’Eiji Yoshikawa relatant la vie de Musashi Miyamoto, Vagabond, dont Tonkam a mis en vente une édition Découverte, regroupant les deux premiers tomes de la série.
Le 35e volume de Vagabond sortira le 23 avril au Japon, et on sent que l’épopée de cet homme, réputé comme étant le meilleur escrimeur de l’histoire du Japon, approche de sa conclusion.
Au cours de sa vie, Musashi Miyamoto a enchaîné les duels pour prouver qu’il était le meilleur. Avec les années, le doute et la lassitude l’assaillent : « Musashi est las de cette volonté qu’il a toujours eu de gagner, qui implique systématiquement de tuer. Les duels l’intéressent de moins en moins », explique Takehiko Inoue.
La série a été ponctuée de pauses, dont l’une d’elle est, étrangement, le souvenir que Takehiko Inoue qualifie comme le plus marquant de sa carrière : « Je ne saurais dire pourquoi ça m’a marqué, mais il s’agit de l’époque où j’ai fait une pause, aux alentours du 20e volume de Vagabond. C’est principalement grâce, ou à cause, de Sasaki Kojirô, puisque lui-même, dans le manga, ne savait plus trop où aller. Il ne savait plus trop pourquoi il tuait. Il était perdu, et c’était aussi mon cas. D’une certaine façon, j’ai un peu suivi mon personnage en faisant cette pause. »
Historiquement, son dernier duel a opposé Musashi Miyamoto à Sasaki Kojirô, il n’est donc pas désuet de penser que celui-ci conclura Vagabond. Selon certains, Musashi Miyamoto aurait gagné à l’aide d’une seule rame en guise d’arme : « On ne sait pas quelle version de l’histoire est vraie, mais je pense effectivement qu’il a battu Sasaki Kojirô avec une rame. Rien n’est sûr, puisqu’il existe très peu d’écrits sur le vrai Miyamoto. »
Real, un manga de sport atypique
Takehiko Inoue est également l’auteur de Real, qui a pour thème l’handibasket. « Un jour, j’ai vu une émission sur ce thème. Ca m’a particulièrement intéressé ; c’était fascinant de voir ces sportifs pratiquer un autre basketball, différent de celui qui me passionne depuis tant d’années. Peu de temps après, mon responsable éditorial est venu me demander de faire une nouvelle série sur le basket. J’étais déjà en train de dessiner Vagabond, et je n’aime pas faire deux choses en même temps, mais il a insisté. J’ai finalement accepté, à condition que cette nouvelle série ait pour thème le basketball en fauteuil roulant. »
Quand on lui demande si Real, qui compte déjà 12 volumes, risque de finir bientôt, Takehiko Inoue rit et s’en amuse : « Je ne sais pas, mais en tout cas, ça ne prend pas cette direction. » Il explique « qu’en réalité, l’histoire est créée par les personnages. Ce sont leurs agissements, ce qu’ils décident de faire par rapport à la situation qui fait la suite de l’histoire. Moi-même, je ne sais pas trop jusqu’où va aller Real. »
IT Planning, garante de l’intégrité de ses œuvres
Si on se penche sur le copyright de toutes les séries suscitées, on remarquera que contrairement à ce qui se fait habituellement, les droits n’appartiennent pas à une maison d’édition, mais à I.T. Planning.« Il y a derrière cette société la volonté de protéger mon œuvre. Quand on lègue ses droits à une maison d’édition, dès que le succès est au rendez-vous, on produit des goodies, des séries animées, des livres, ou encore des films. Ce n’est pas la direction que je veux prendre. Ou alors, si je veux le faire, ce sera par moi-même. Je tiens à éviter d’alimenter toute cette surmédiatisation qui ne me plait pas trop. C’est pour cette raison que je préfère me protéger en gardant les droits de mes œuvres. »
Plus qu’un mangaka, un dessinateur aguerri, touche-à-tout
Takehiko Inoue ne s’exprime pas que par le manga : en 2004, il a réalisé une exposition éphémère dans un lycée désaffecté de la préfecture de Kanagawa. Il a réalisé 23 fresques à la craie sur les tableaux des salles de cours. En 2008, il récidive avec cette fois-ci une exposition bien plus conséquente, ayant pour thème central Vagabond, au musée Ueno no Mori de Tokyo. The Last Manga Exhibition s’est tenue à guichets fermés, et était composée de plus de 140 sumi-e, des lavis de toutes tailles, créés uniquement pour l’occasion. « Ça a été pour moi une très grande expérience, qui m’a apporté beaucoup de choses. Personne n’avait jamais fait ça dans le milieu du manga, je ne me basais donc sur rien d’existant. Avoir réussi à créer cette exposition de toute pièce m’a apporté de la confiance en moi, entre beaucoup d’autres choses. »
Et s’il était question de recommencer ? « On dit souvent que lorsqu’on mange quelque chose de chaud, on ressent la chaleur, mais elle disparaît tout de suite après. C’est un peu pareil. Sur le moment, c’était extrêmement dur, et j’ai dû faire face à quelques problèmes. J’en ai gardé de bons souvenirs, mais la difficulté m’était restée en travers de la gorge. Avec le temps, j’ai commencé à oublier toutes ces difficultés, ces épreuves, et je me dis, pourquoi pas ? »
Il reste à peine une minute pour une rapide mais magnifique dédicace qu’il est déjà l’heure de clore cet entretien. L’auteur est en effet attendu au Salon du livre pour une séance de dédicace, et le temps presse. Le lendemain, Takehiko Inoue a fait l’objet d’une conférence , qui lui a d’ailleurs valu une standing ovation, preuve de sa reconnaissance en France !
Merci à Takehiko Inoue pour sa gentillesse et sa disponibilité, ainsi qu’à son interprète. Merci également au personnel des éditions Tonkam pour la mise en place de cette interview, malgré les difficultés rencontrées.