Rencontre avec Takahiro KOMORI : l’animation avant tout !
Nous avons eu la chance de rencontrer Takahiro KOMORI, pendant la 15e édition de Paris Manga, les 9 et 10 février 2013. A l’occasion de cette entrevue, nous sommes revenus sur les différents postes qu’il a occupé jusqu’à présent, mais aussi sur les tenants et les aboutissants de l’évolution technique liée aux outils numériques.
Takahiro KOMORI, l’homme aux multiples casquettes
Takahiro KOMORI est membre du conseil d’administration des studios Bones depuis le décès de Hiroshi ŌSAKA en 2007, l’un des cofondateurs. Il n’a jamais eu de proposition de poste de réalisateur, mais c’est une idée qui ne l’intéresse pas vraiment : « Le président des studios Bones, Masahiko MINAMI, plaisante souvent en me disant « Allez ! Passe à la réalisation ! ». C’est une position qui m’intéresserait, mais ça semble tellement pénible et difficile que je ne m’en sens pas vraiment capable. Mon poste préféré est celui d’animateur-clé. De toute façon, aucun des métiers de l’animation n’est facile. »
Il l’a d’ailleurs été pour Momo e no Tegami, un long métrage de Hiroyuki OKIURA sorti en 2011. Réputé pour son souci du détail, le réalisateur n’a pas ressenti le besoin de donner de consignes particulières à Takahiro KOMORI. « Lors de la production, il m’a fait collaborer sur son œuvre, en me demandant de travailler comme j’avais l’habitude de le faire. Peut-être donne-t-il plus de directives à certains, mais je n’ai eu aucune consigne particulière, il m’a laissé totalement libre. A la même époque, je m’occupais de la seconde saison Darker Than Black, je n’ai donc pas eu l’occasion de m’investir beaucoup dans Momo e no Tegami, pour lequel j’ai du réaliser une douzaine de plans. En somme, j’ai juste donné un coup de main. »
Il a en effet été le character designer et le directeur en chef de l’animation de Darker Than Black. Ce projet a été pour lui l’occasion de travailler avec Tensai OKAMURA, le réalisateur et créateur original de cette série des studios Bones, diffusée en 2007. Tout comme KOMORI, Tensai OKAMURA était également présent à la quinzième édition de Paris Manga. « Quand j’ai commencé ma carrière dans l’animation, j’avais déjà entendu parler de lui. J’ai pu constater l’étendue de ses compétences grâce à Saishū HEIKI, la seconde partie du film omnibus Memories de Katsuhiro OTOMO, sorti en 1995. Je l’ai trouvé fabuleux. Lorsque j’ai eu l’occasion de le rencontrer et de parler avec lui, j’ai appris beaucoup de choses. »
Chara-design : l’art de créer des personnages charismatiques
Quand il s’agit de créer des personnages, une seule chose importe pour Takahiro KOMORI : « J’aime autant dessiner des femmes que des hommes, tant qu’elles sont mignonnes et qu’ils sont beaux. Je me rappelle d’une discussion avec Tensai OKAMURA au sujet de Hei, qu’il fallait rendre assez sombre au début de l’histoire. Auparavant, j’avais réalisé le Chara-design de Scrapped Princess et d’Angelic Layer, où les protagonistes étaient essentiellement féminins, étant donné que le public visé était masculin. Darker Than Black m’a donné la chance de produire un homme attractif pour un public féminin, et le résultat de l’expérience m’a beaucoup plu. »
Il a aussi adapté les personnages du manga Angelic Layer, de CLAMP. « C’est une œuvre un peu à part parmi leurs séries. Elle se caractérise par un trait très léger et précis. Si on m’avait proposé d’adapter X, je pense que j’aurais refusé, je ne m’en serais pas senti capable. L’adaptation d’Angelic Layer a été un projet ambitieux. »
Il a beaucoup été inspiré par les séries qui étaient diffusées à l’époque où il était au lycée, telles que Sasuga no Sarutobi ( L’académie des Ninjas ), Ōgon Senshi Gold Raitan ou encore Flashman. « J’ai été influencé par de nombreux animateurs, mais si je ne devais citer qu’un nom, ce serait évidemment celui de mon maître, Moriyasu TANIGUCHI. » Il a principalement été character designer et directeur de l’animation, comme Takahiro KOMORI après lui. « D’expérience, je pense pouvoir dire que le plus compliqué, quand on dirige l’équipe d’animation, est d’arriver à équilibrer le niveau des animateurs. Chacun possède ses forces et ses faiblesses, et c’est au directeur de tirer profit des différentes compétences des membres de l’équipe. »
En ce qui concerne les films d’animations récents, il avoue ne pas avoir le temps de regarder tout ce qui sort. « Je regarde surtout les productions Pixar. J’ai beaucoup aimé Rebelle, j’ai même acheté le DVD ! »
Le numérique, un outil réaliste mais impersonnel ?
Pour lui, « l’utilisation du numérique a apporté une augmentation de la qualité et du réalisme. Par exemple, si on veut dessiner une voiture, on utilisera un modèle numérisé. Le résultat sera donc bien plus réaliste que si elle avait été dessinée à la main. Contrairement aux Celluloïds, il n’y a pas besoin d’attendre que le dessin sèche pour pouvoir le valider, et s’il y a une erreur, on peut la corriger directement sans avoir à tout recommencer. Cela représente une économie de temps non négligeable, qu’on pourra par la suite utiliser pour améliorer la qualité générale de l’œuvre. »
Cependant, si le traitement informatique est un facteur d’amélioration qualitatif, il a aussi pour conséquence d’uniformiser les habitudes de travail avant la numérisation. « Quand on regarde ce qui a été fait dans les années 1970-1980, on pouvait encore discerner des ébauches de fond, on les ressentait à travers l’animation. Maintenant, même lorsqu’on voudra obtenir cet effet de brouillon, on dessinera machinalement d’un trait propre. D’une certaine façon, on perd ces petites imperfections qui faisaient le charme de ces créations. »
Il tient à préciser que « chez Bones, tous les personnages sont réalisés manuellement. Le numérique n’a donc pas affecté cet aspect de leur production, que ce soit en bien ou en mal. Angelic Layer a été notre premier dessin animé entièrement digitalisé, mais il n’échappe pas pour autant à la règle et les protagonistes ont été faits à la main. »
Il jette un regard triste sur l’animation des robots en 2D, qui tend à disparaître à mesure que la modélisation 3D la remplace. Seuls les studios Sunrise et Bones continuent à résister à ce changement qui s’impose petit à petit comme une norme. « L’animation des robots en 2D est une chose que j’aime beaucoup, et qui est en train de se perdre. J’ai participé à de nombreux projets les mettant en scène ; je leur ai moi-même donné vie à de multiples occasions. Chez Bones, il y aura sûrement des animations entièrement en 3D qui se feront, mais c’est important de conserver ces robots en 2D. Tant qu’il y aura des professionnels capables de les dessiner, nous continuerons. Et si un jour, nous n’arrivons plus à trouver de personnel qualifié pour le faire, il faudra bien y passer à notre tour, à contrecœur. »
Remerciements à Takahiro KOMORI pour sa disponibilité et sa gentillesse. Merci également à Emmanuel Bochew, son interprète et au staff de Paris Manga pour la mise en place de cette interview