Silver Spoon : physionomie de l’agriculture japonaise
C’est cette semaine que sort le nouveau manga d’Hiromu ARAKAWA, Silver Spoon, aux éditions Kurokawa. Cette comédie / tranche de vie nous plonge dans le quotidien d’une école agricole. Elle est publiée depuis 2011 au Japon et a connu un succès retentissant en mettant en lumière l’agriculture japonaise et les filières du secteur.
Le lycée agricole Obihiro d’Hokkaido, qui a servi de modèle pour ce shônen, a même connu une hausse de 100% de ses inscriptions, et l’ensemble des lycées proposant ce genre d’études ont eux aussi connu une forte progression.
Mais que représente l’agriculture pour le Japon ? Qu’est-ce qu’on y cultive ? Est-ce que le Japon importe sa nourriture ou fabrique tout sur place ? Quelle est la situation des agriculteurs ?
Journal du Japon vous propose aujourd’hui d’en apprendre un peu plus sur ce pan du secteur primaire japonais, afin de mieux comprendre l’importance de l’agriculture et l’attachement de toute une génération de Japonais à la culture de leurs terres… Vous ne verrez plus Silver Spoon de la même façon après ça !
L’agriculture japonaise : qui, quoi, comment ?
Comme vous le savez le Japon est un archipel volcanique, qui est constitué majoritairement de 4 îles : Hokkaidô, Honshu, Kyushu et Shikoku. Elles représentent 96% de la superficie totale, soit 378 000 km2. Cette surface est constituée majoritairement de zones montagneuses ou forestières, qui composent les deux tiers du territoire. La surface agricole ne représente, elle, qu’à peine 13%, alors qu’elle occupe 55% du territoire en France !
Pour autant la production agricole du Japon n’est pas négligeable. On y cultive majoritairement des légumes et du riz, aux alentours de 10 millions de tonnes. Vient ensuite la production de lait, la betterave à sucre, les pommes de terre et les patates douces, les fruits, la viande. Citons pour finir les œufs et quelques céréales comme le blé et l’orge, pour 1 million de tonnes chacun.
La culture et l’élevage sont souvent le fait d’exploitations tenues par des personnes plutôt âgées : on a tous en tête l’image du vieil homme un peu rustre cultivant sa parcelle de terre qu’il pleuve ou qu’il vente, que l’on retrouve dans de nombreux mangas ou animes. Ce cliché de la campagne japonaise est néanmoins une réalité : sur les 9 millions d’agriculteurs que compte le Japon, 70% ont plus de 55 ans alors que, même dans un pays de centenaires comme le Japon, ce taux est aux alentours de 25% dans le reste de la population active.
L’agriculture japonaise se caractérise également par son grand nombre de petites exploitations : 98% ont une taille inférieure ou égale à deux hectares. Néanmoins, Hokkaido fait exception, comme on peut le voir dans le manga d’Hiromu ARAKAWA, où les élèves parlent d’exploitations beaucoup plus importantes. Sur cette île la moitié des sociétés agricoles ont une taille supérieure à 10 hectares.
Depuis longtemps les petites exploitations sont peu rentables et les exploitants doivent mener une double vie professionnelle afin de joindre les deux bouts de la ferme familiale, en travaillant en même temps dans l’industrie ou l’administration par exemple. Selon les données 2009 du Ministère de l’Agriculture japonais, seuls 20% des exploitants arrivent à vivre uniquement de leur activité agricole et les subventions massives – mais pas toujours bien orientées – n’y changent pas grand-chose.
Un pays qui a du mal à s’alimenter…
En dehors du poisson et du bois, le Japon n’a donc, finalement, que peu de ressources naturelles. Peu de productions permettent de couvrir totalement la consommation du Japon, qui est le plus gros importateur net mondial : sur une base calorique le taux d’autosuffisance est globalement passé de 70% après guerre à environ 41% en 2008, alors qu’il est de 120% chez nous. C’est l’un des plus bas taux d’autosuffisance alimentaire dans les pays développés.
Le Japon s’est en fait retrouvé incapable de subvenir aux nouvelles habitudes alimentaires qui ont accompagné le boom économique du pays, dans les années 60 et 70, laissant la place à une importation très concurrentielle. Des chiffres de 2007 apportent le constat suivant : alors que l’autosuffisance est de 83% pour les légumes et de 96% pour le riz, le pays a un taux de 53% pour la viande et de 44% pour les fruits.
La raison principale est le changement des habitudes alimentaires, se tournant davantage vers les protéines animales et une diminution constante de la consommation de riz, au point que l’État subventionne les riziculteurs pour qu’ils laissent une partie de leurs terrains en friche, un comble quand on sait que le pays manque de surface agricole.
De plus, durant les dernières décennies, le Japon a connu un problème de renouvellement des agriculteurs et d’un manque de vocation. De moins en moins d’agriculteurs veulent laisser la suite à leurs enfants, notamment car il existe de nombreux emplois plus stables et moins difficiles. Et lorsqu’il n’y a pas de successeur, les terres sont conservées et laissées en friche, une fois de plus. Entre ces successions ratées et les aides à la non-exploitation de certaines rizicultures, on arrive à 8% de la totalité des terres agricoles en friche, selon les chiffres 2009 du Ministère de l’Agriculture, de la forêt et de la pêche.
Enfin on ne peut pas faire l’impasse sur les terribles évènements du 11 mars 2011 et la pollution radioactive qui s’en est suivi, venue réduire encore plus les surfaces exploitables. Malheureusement, l’attachement à leur terre et à leur mode de vie des agriculteurs poussent certains au déni et ils continuent d’y travailler au mépris des règles de survie les plus élémentaires. Il sera intéressant de voir comment Hiromu AKARAWA abordera ce problème. Si elle le fait, car la région d’Hokkaido où se situe son histoire reste peu touchée.
Surtout que l’absence d’autosuffisance et le souci de la sécurité alimentaire vis-à-vis des produits étrangers a fini par relancer l’attrait de son pays pour l’agriculture, certains parlant même d’un nouveau « boom agricole ».
Quand l’agriculture revient à la mode : les agriculteurs du dimanche
Parmi les habitants des grandes villes japonaises, on retrouve des salariés en mal de nature. Ils louent des terrains agricoles à des collectivités locales et en fin de semaine, ils s’en vont cultiver ces terres : on les appelle les agriculteurs du weekend. C’est une expérience qui peut être récréative mais qui fait aussi office de test avant de passer à une réelle réorientation professionnelle. La demande ne cesse d’augmenter et les prix explosent.
À Tokyo, les 440 fermes municipales sont louées et gérées localement. La location se fait pour 3 ans, au tarif de 62700 yen (500€) pour une section de 40m². Pour y avoir droit vous devez avoir un peu de chance, car les candidats sont sélectionnés par une loterie, et seule une demande sur 10 est ainsi satisfaite. Parmi ces agriculteurs ponctuels ont retrouve des jeunes retraités, des personnes cultivant des légumes pour faire de l’exercice, des familles voulant connaître ensemble les joies de la récolte, ou bien encore des aspirants agriculteurs dont la famille s’y oppose.
Ce boom agricole se répercute également sur le monde professionnel de l’agriculture, certains se reconvertissent et on ne peut pas nier un effet de mode : on peut trouver des blogs qui louent les mérites du travail à la ferme, des livres qui vous expliquent comme vous mettre aux plantations, et même les « jeunes filles de Shibuya partent à la ferme »:http://www.journaldugeek.com/2009/11/19/shibuya-rice-shibuyettes-shibuya-gal-ferme/ ! Bien sûr le succès de Silver Spoon n’est pas le dernier exemple du genre…
Voilà vous en savez désormais un peu plus sur l’agriculture japonaise, sa physionomie, ses enjeux et ses nombreux pratiquants. Il ne vous reste plus qu’à découvrir le manga d’Hiromu ARAKAWA, qui se veut aussi pédagogique qu’amusant, pour en savoir encore plus.
Vous pouvez aussi vous rendre à la fin du mois au Salon International de L’Agriculture de Paris car, comme chaque année, le Japon y a son stand !
Sources : Ministère de l’Agriculture, des Forêts et des Pêches, Click Japan, Japan Digest, OCDE, nippon.com, Wikipédia, Le Japon à l’envers, Adala News, megabn sur Flickr, le Journal du Geek.