Bar à thème : Mode d’emploi
Le Kawaii Café, bar résolument otaku, rose et gamer a accepté d’être notre partenaire pour « une première soirée Quiz »:http://www.journaldujapon.com/2012/11/soiree-speciale-lotakuiz-du-journal-du-japon-au-ka.html en décembre dernier. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce bar thématique qui vient de fêter sa première année d’existence. Nous avons demandé à l’un des gérants de répondre à nos questions sur l’acheminement d’un tel projet.
Journal du Japon : Qui se cache derrière le Kawaii Café ?
Maël : Je suis Maël, la trentaine, je suis gérant et fondateur du Kawaii Café, que j’ai fondé avec Romain, un vieil ami. On s’est connus via certaines soirées gothiques et le jeu de rôle.
Peux-tu me parler de ce bar, du projet dont il est issu, de son histoire ?
Comme tout le monde, on avait une idée que probablement tout le monde avait déjà, du temps et quelques finances, etc etc. Romain voulait à l’origine ouvrir une enseigne plus « salon de thé », plus branchée, avec beaucoup de service, quelque chose qui sortirait de l’ordinaire. Moi j’étais bien branché otaku. Du coup, on s’est dit : « Allons-y, on a le temps, l’argent, on va s’y mettre sérieusement et on va ouvrir le Kawaii Café ». Ça reste inspiré des cafés-cosplays, maid cafés qu’on trouve au Japon, à Akihabara – le petit bar où on peut tomber sur tout et n’importe quoi, tout en restant dans cette culture / pop culture japonaise un peu décalée, un peu subculture, comme on dit.
Comment est-ce qu’on monte un bar ?
Avec beaucoup de volonté, de sueur et pas beaucoup de sommeil ! (Rires)
À l’origine, ni moi ni Romain ne sommes des professionnels du domaine, on a appris sur le tas. On trouve l’endroit d’abord, il doit nous plaire, il doit être pratique, concilier des paramètres. Ici, nous sommes près de République, pas loin d’un quartier de sorties, une bonne zone d’affluence. Beaucoup de boutiques de jeux vidéo ne sont pas loin et, détail très important pour nous, on voulait une localisation dans un petit coin calme où, en somme, nos clients ne se feront pas emmerder s’ils ont envie d’arriver en cosplay, en manga girl, habillés à leur convenance, ce genre de chose. Y a pas quelqu’un pour arriver et faire une réflexion, c’est le but qu’on se fixait et qu’on trouvait très important.
Après, on voit ce qu’on va faire en termes de boissons, de nourriture, quelle déco on veut. On a mis notre touche personnelle là où on pouvait le faire, il faut que la déco ait une signification, nous l’avons customisée mais ce sont aussi des cadeaux de gens qui l’ont parfois fait eux-même après être passés ici. Les cocktails sont une grande partie de l’identité du bar, ce sont des créations maison, on essaie d’y mettre une touche japonaise ou marrante. Pareil pour la nourriture : ce sont des burgers ayant une petite touche locale. On a appris à faire tout ça, tout bêtement.
Comment définir l’identité de ce bar et pourquoi celle-là ?
Pour moi, c’est Akihabara à Paris. Avec tout ce qu’on y trouve. Un coté mignon, un coté décalé et underground. On a reçu des gens qui font de l’illustration dans des mangas pour enfants, comme d’autres qui font de l’électro/8 bits, du superplay, des trucs moins connus et moins grand public. Pour revenir à Akihabara, il y a un maid café, des trucs assez barrés, des fans de jeux vidéo, tout. Ce melting-pot, c’est l’idée.
Est-ce difficile de s’installer dans le circuit des bars thématiques à Paris ?
Mmh… non. C’est difficile à dire parce que nous sommes, pour ainsi dire, les seuls sur ce thème-là.
On a regardé ce qui se faisait dans le genre mais on ne s’est pas posé la question type « il y a ça, ça et ça, donc on va faire ceci ». On a eu envie de faire ce qu’on a fait. Finalement non. C’est difficile de s’installer dans le milieu des bars parce que c’est un métier qu’il l’est, difficile.
On pourrait croire que ta journée de boulot commence à quinze heures. C’est vrai ?
Alors pas du tout, elle commence bien au-delà, c’est en full-time job.
Est-ce que tu t’attendais, plus jeune, à faire ce genre de travail ?
Pas du tout ! Je ne m’y attendais pas. En revanche, même si ça peut paraître gnan-gnan, c’est tout de même un rêve que j’avais depuis un certain nombre d’années. Je le dis souvent, je l’ai dit pendant notre anniversaire, je remercie à peu près tout le monde. Que ce soit clients, familles, amis, ils m’ont aidé à réaliser un rêve. C’est vrai que ça fait très shônen, mais l’endroit est approprié. J’y ai toujours pensé, mais il y a un moment où on se demande si on va le faire ou pas.
Est-ce que tu te sens otaku, de ton coté ? En phase avec cet environnement ?
Oui, je me sens vachement influencé par ça. Pour moi, on incarne une culture otaku à la française, très influencée par le coté nippon mais bien à la française. Je me définis plus comme otaku dans l’esprit sans être encyclopédique sur les mangas, d’animes, de japoniaiseries. Je connais quand même un peu le milieu.
Par exemple, est-ce que tu connais un peu l’actualité du genre ?
En jeux vidéo, forcément, je m’y intéresse pas mal. En mangas, j’ai beaucoup moins de temps en ce moment pour ça. Les animes c’est un peu la même chose, c’est chronophage. J’essaie de suivre assez régulièrement l’actu, mais ça fait partie des trucs cools : à la limite, ce sont les gens qui viennent au café qui font l’actu et me la racontent. Si je ne connais pas, je vais le regarder, ça m’intéresse !
En bref, tu es un rare modèle de trentenaire à qui ça plait toujours ?
Ouais, c’est ça, exactement.
Est-ce qu’il y a une demande derrière ? Est-ce que les otakus parisiens boivent ? Le cliché voudrait évidemment que l’otaku, dans le pire des cas, soit le « glaireux » qui ne sort pas de chez lui.
Oui, évidemment. Alors, c’est un cliché qui n’est bien sûr pas du tout vrai, ici ou en général. L’otakette française, elle existe ! Elle n’est pas moche, grosse et glaireuse. L’otaku non plus, d’ailleurs. Rien à voir avec l’hikkikomori. On parle d’autre chose… Je ne sais pas quoi dire.
Oui, ils picolent. L’otaku boit, c’est une ligne directrice du café, il « n’y a pas d’endroit pour sortir ». Exemple simple, dans un café salsa, je ne m’y sentirais pas vraiment à l’aise et je n’aurais pas envie d’y passer ma soirée. Il y a même pas mal de gens qui ne boivent pas d’alcool, qui prennent un coca ou un thé, qui mangent et passent leur soirée quand même, qui se retrouvent entre otakes à discuter de tout et de rien.
On pourrait dire pragmatiquement que tu ne vois que ceux qui sortent…
C’est vrai. Mais au moins, j’ai une fenêtre sur les actifs.
Une formule court sur le net. On oppose souvent le Kawaii au Dernier Bar avant la fin du monde, en terme de projet et d’exécution professionnelle et amatrice. Qu’est-ce que tu en penses ?
Ils font ce qu’ils font. C’est pas du tout le même genre de projet, ne serait-ce qu’en taille, la salle doit faire un tiers de la surface, et niveau équipe on parle surement d’un tiers d’un tiers d’un autre tiers… (Rires) Donc voilà.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette phrase, c’est-à-dire que oui, c’est un projet de passionnés. Il est fait avec le cœur, on ne cherche pas à devenir hyper riche. Pas évident avec un café de trente mètres carrés. Nous on voulait que ce soit pro, que les gens soient bien servis. Qu’ils boivent de la bonne qualité pour des prix raisonnables, pro dans ce sens. C’est quelque chose qu’on a toujours voulu, toujours dans cette visée Akihabara, on ne se fait pas servir comme une merde au Japon, quoi qu’il arrive ! C’est pas la même chose mais le service sera toujours très bon, ce qui n’est pas systématiquement le cas à Paris. « Projet amateur devenu pro ? » On donne ce qu’on donne, on vend ce qu’on vend. On n’a jamais voulu faire en amateur, on ne doit pas s’attendre à moins. Il faut être sérieux, passion mis à part. La base, c’est d’être dans un pub, d’avoir le service, mais de garder un minimum. L’influence de Romain aide beaucoup, il a passé des années en Angleterre où le service n’a rien à voir. Là-bas, si on paye, c’est à eux d’être redevables, pas l’inverse !
Tu peux me citer d’autres bars du même genre dans la capitale ? Est-ce qu’il y a un microcosme ?
Alors, le plus connu est le Dernier Bar, il est tout récent. Avant celui-là, il y avait aussi le Meltdown, plus branché E-Sports, Starcraft, etc. Très sympa d’ailleurs. Avant encore, on compte le Messiah à Belleville, branché jeux de plateaux et jeux de rôles. On ne se connait pas vraiment. Y a plus un microcosme geek-otake parisien.
Le profil type d’un client du café ?
… Trop génial ! (Rires)
Non, je dirais dans les 24-25 ans, peut être dans les 60% masculin, clairement passionné par le coté otake, en manga, anime, jeu, J-Pop. Qui sort beaucoup, habitué aux bars. Plutôt études supérieures. Caractéristique hyper commune : vraiment bien éduqué, toujours cool. Jamais de lourds, jamais de problèmes. Pas de bagarre. Pas de véritable plainte, jamais de policiers qui débarquent, tout ça en un an.
Un conseil à donner pour des projets du même type ?
Venez nous voir ! Prendre conseil auprès de pros, d’enseignes du même genre. Il y a toute une gamme de trucs à savoir, et surtout s’apprêter à mettre sa vie entre parenthèses. Faire ce qu’on a vraiment envie de faire, même si c’est dur, faire des concessions, même si ça ne rentre pas assez d’argent. Y croire, beaucoup font des promesses en l’air, mais l’inverse est tout aussi présent.
Merci !