Gaming Memories #66 – Drakengard (Drag-On Dragoon)

Bienvenue dans le 66e numéro de Gaming Memories, en septembre 2024. Cette fois-ci, nous allons revenir sur une production assez unique : Drakengard, signée Cavia et sortie en septembre 2003. Préparez-vous à vous embarquer pour un mélange des genres assez unique…!

Image de UNE de Gaming Memories 66 Drakengard.
Drakengard 2003 ©Cavia

Une production pleine d’idées… noires

Au contraire de ce que beaucoup pensent, Drakengard n’est pas une série signée Square Enix. La société est bien le distributeur du jeu mais ne s’est pas investie dans sa création ni son développement. C’est Cavia, « petit » studio fondé en 2000, qui a créé cette saga. « Petit », oui, mais qui a compté parmi ses actionnaires majoritaires Tokuma Shoten, Mitsubishi Corporation et même Hayao Nakayama, PDG de SEGA entre 1983 et 1999.

Cavia est à l’origine d’un bon nombre d’adaptations de manga et anime en jeux vidéo : on peut nommer un jeu One Piece, Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, Death Note, Dragon Ball Z, Naruto ou encore La Mélancolie de Haruhi Suzumiya . Cavia est également à l’origine de plusieurs jeux Resident Evil pour Capcom tels que les épisodes Dead Aim, The Umbrella Chronicles et The Darkside Chronicles.

La création du Project Dragonsphere, tel qu’il était nommé lors de son développement, a été quelque peu tortueuse. Des changements de gameplay ont été effectués en cours de route, et l’équipe de Cavia, peu habituée aux jeux d’action, a dû lutter contre les contraintes techniques de la PlayStation 2 à cette époque. Il a été demandé de nombreux ajustements à son équipe à cause du ton particulièrement sombre du jeu, qui laissa craintif l’un de ses producteurs, Yosuke Saito, quant au fait qu’il pourrait même sortir. Sony, à qui il est allé présenter le jeu directement, était tellement fatigué d’entendre des scénarios et idées de base de jeux qu’ils ont accepté sans même chercher à savoir de quoi parlait la production…

L’ambiance, les décors et la mythologie du jeu ont été inspirés par le folklore nord-européen, tout en comportant des éléments de style japonais, tout comme certains des thèmes qui y sont évoqués tels que l’inceste, créant une ambiance particulière unique. De manière surprenante, l’illustre Yoko Taro, producteur et scénariste du jeu, s’est aussi inspiré des séries animées Sister Princess et Neon Genesis Evangelion.

Le jeu qui nous intéresse ce mois-ci s’éloigne des classiques Final Fantasy et Dragon Quest et leurs ambiances héroïques et lumineuses. Mais il n’en reste pas moins que le characterdesigner de Drakengard, Kimihiko Fujisaka (Nier Replicant, Fire Emblem Heroes), s’en est inspiré pour le design de personnages.

Le jeu était initialement prévu pour sortir en décembre 2002, publié par Enix, mais sera reporté à septembre 2003, après la fusion entre Square et Enix. C’est en mars puis mai 2004 que le jeu est sorti, aux États-Unis et Europe respectivement.

L’amour triomphe toujours… dans un sens.

Le joueur incarne Caim, prince de l’Union. L’Empire est en train d’attaquer les alentours du palais où se trouve sa sœur Furiae, Déesse des Sceaux, qui sont là pour préserver le monde du chaos. Son existence est donc essentielle, mais l’Empire pense autrement : de leur point de vue, sa mort et donc la destruction des Sceaux est une bonne idée. En effet, cela ferait apparaître les Archanges, créatures maléfiques qui détruiraient le monde…

Caim se rue vers le palais, pris d’assaut par une armée entière de l’Empire. Il se fait attaquer par derrière en pleine bataille mais parvient jusqu’à l’intérieur du bâtiment. Agonisant, il y trouve un dragon rouge lui-même aux portes de la mort, après avoir été torturé. Il n’y a qu’une seule solution pour tous les deux : faire un pacte pour les unir et regagner leur force ou mourir. Le prix à payer pour Caim est cependant assez lourd, et lui coûte sa voix…

Accompagné par le dragon rouge et son ami Inuart, Caim aura pour but, au travers de diverses aventures et voyages, de protéger ces sceaux et Furiae, mais…

[ALERTE SPOILER]

L’histoire que l’on vit est sombre, glauque, sanglante, déprimante même. Les amitiés se font et défont, les morts s’enchaînent. Il n’y a aucune place pour une romance dont le parfum effleure pourtant le joueur ; la passion et l’amour qui se dégagent du jeu sont poussés à l’extrême et mènent à une fin parmi les plus terrifiantes imaginables. Inuart terrassé par la mort de Furiae dont il était éperdument amoureux le poussera à utiliser cet artéfact de résurrection que l’on cherchait à garder loin de l’Empire, la transformant au passage en monstre possédé envahissant le monde de copies d’elle pour tout simplement éradiquer l’humanité. Ceux qui ont vu le film The End of Evangelion sauront parfaitement ce que l’on ressent devant la fin de Drakengard après une lente descente aux enfers, champ de bataille après champ de bataille… le scénario imaginé par Taro est une pièce maîtresse marquante et forte de la production, qui achève de l’éloigner des autres RPG.

[FIN DU SPOIL]

Sur terre ou en l’air, la menace n’a aucune limite

La progression à travers Drakengard se fait en trois types de séquences différentes.

La première, et aussi la principale, se passe au sol. On y incarne Caim qui fait face à des hordes de soldats ennemis disposés en groupes, ça et là dans des maps assez larges. Différents objectifs peuvent se mettre sur la route du joueur tels qu’atteindre un point précis des lieux ou tuer tous les Généraux. Se débarrasser des soldats de base n’est pas forcément l’objectif principal mais cela rapport de l’EXP, à ne pas négliger. On débloquera différentes armes au cours de l’aventure, que l’on pourra équiper et utiliser à volonté. Toutes montent de niveau au fur et à mesure, ont leurs propres spécificités (force, vitesse d’attaque) et une capacité spéciale différente.

Pour faire le ménage au travers des poches d’envahisseurs, on dispose d’un petit combo d’attaques et d’une autre plus puissante qui dépend d’une jauge de magique qui se remplit au progressivement. Il est aussi possible de sauter et d’asséner un coup dans la foulée, ainsi que de réaliser des esquives latérales qui feront la différence. La caméra peut être déplacée à l’aide du stick droit de la manette mais se replace derrière Caim dès qu’on le lâche – elle suit surtout l’action en fonction de sa position, ce qui sous-entend de devoir se retourner pour voir ce qu’il y a derrière. À noter : pendant que l’on en cible un ennemi, on se déplace plus lentement. On a ainsi un gameplay de base qui fait fortement penser à la série Dynasty Warriors de Koei, dont le second épisode, fort de son succès, a décidé Cavia quant à l’ajout de ces phases qui n’étaient originellement pas prévues.

Capture d'écran du Gaming Memories 66 Drakengard

La seconde phase de jeu, quant à elle, se fait à dos de dragon. Tout en volant librement il faut, là encore, éliminer des hordes d’ennemis qui viennent vers nous à l’aide d’un tir simple ou d’un verrouillage multi-cibles. L’objectif sera principalement d’éliminer ses ennemis tout en esquivant à coups de « barrel roll ». Le dragon peut faire une accélération ou un demi-tour si l’on dépasse un ennemi (qui ne nous suivent pas forcément, au contraire d’un shoot’em up) et les boss se détruisent en plusieurs parties. Là, le jeu se rapproche plus d’un Panzer Dragoon de SEGA (quelle coïncidence) ou encore Ace Combat de Namco.

Là où contrôler le dragon prend une toute autre dimension, plus défoulante, c’est quand on l’appelle en pleine bataille au sol. Caim grimpera sur son dos et le joueur pourra cracher des jets de flammes sur les ennemis au sol (ce qui demande un petit temps d’adaptation puisqu’il les enflamme devant lui, donc avec un petit décalage). Le dit dragon est aussi capable de déchaîner l’enfer sur Terre aussi régulièrement que Caim avec son attaque spéciale : avec une jolie animation spectaculaire, il enflamme absolument tout ce qui se trouve dans un rayon large, décimant un groupe entier de soldats d’une traite !

Cette attaque spéciale est également disponible lors des phases de vol pur. Si le dragon est résistant et dispose d’une barre de vie assez conséquente lors des phases de shoot’em up pur, en revanche, il devient étrangement faible dans les autres phases. Là où il pourra encaisser des dizaines d’assauts dans ces premières, seuls quelques dégâts suffiront à le rendre inactif dans les autres…

Au fur et à mesure que l’on progresse dans le jeu, il sera proposé d’effectuer des « missions libres », qui proposent en fait de refaire des niveaux déjà parcourus. Ceux-ci peuvent octroyer plusieurs avantages, telles de nouvelles armes une fois complétées ou bien sûr, plus d’EXP donc de niveaux.

Un trailer commercial lourd en sens et en émotions…

Le sang va être répandu… mais celui de qui ?

Avec ces mécaniques de jeu, on serait tentés d’avoir envie de jouer à Drakengard comme un jeu d’action dynamique et agressif tel un bon gros hack’n’slash. C’est tout à fait légitime et possible à première vue, puisque l’on passe la plupart de son temps à courir et trancher des ennemis. Cependant, ce n’est clairement pas la meilleure chose à faire tant la production agit à son bon vouloir.

En effet, les ennemis étant groupés, ils sortent parfois de nulle part et sont impossibles à voir avant de se faire toucher (et la caméra ne peut être déplacée sur les cotés qu’en maintenant le stick droit, rappelons-le). Ils ont très souvent l’avantage alors que l’on avait appuyé sur les touches d’action avant même qu’ils ne bougent, et ils ne se priveront pas de nous enchaîner ou de couper court à une attaque ou magie.

Les roulades latérales, pourtant aguichantes pour l’action et l’esquive, peuvent même être annulées en plein cours si quelqu’un nous touche… plus agaçant encore, notre personnage sera capable de rater un ennemi qui se trouve en face de lui (en utilisant des larges attaques horizontales), alors que celui-ci légèrement décalé nous atteindra (en utilisant des attaques verticales…!), et ce même en plein combo d’attaque. Bref, ces phases d’actions sont tout simplement agaçantes à la longue. On se conforte tout de même dans le fait que les ennemis font la même erreur…

Il reste une solution pour contrer ce problème : Caim peut se mettre en garde si l’on maintient la touche L2. Tous les soucis précédemment énoncés s’évanouissent d’un seul coup : en plus de bloquer absolument tout ce qui vient vers nous (magies et projectiles compris), Caim verrouille alors la cible la plus proche, et peut en changer juste en bougeant légèrement le stick. En revanche, si l’on veut continuer de râler, on peut regretter que le personnage se déplace alors très lentement, ce qui devient assez pénible lorsque l’on est entouré de magiciens qui ne se privent pas de nous harceler de sorts sortis de nulle part. Enfin, il n’y a aucune pitié possible dans ce jeu : on peut totalement enchaîner les ennemis jusqu’à la mort, même s’ils sont au sol, même s’ils sont projetés contre des murs.

Cela ne vous sauvera pas à coup sûr pour autant. Le jeu est assez difficile au vu de tous les ennemis qui nous entourent, de toutes les attaques qui viennent du dehors de l’écran aussi. On se sent cependant satisfait lorsqu’on arrive à maîtriser un peu plus les commandes et que l’on a trouvé l’arme qu’il nous fallait. Le jeu est en mode « Normal » de base et propose un mode « Facile » mais celui-ci ne change quasiment rien, si ce n’est une jauge de vie des ennemis plus faible.

Capture d'écran du Gaming Memories 66 Drakengard
Le personnage qui parle lors de ces dialogues n’est pas illustré que d’une simple image, mais celle-ci change selon son expression. Les textes sont en français dans notre version.

Disons-le donc, Drakengard est un jeu difficile, ou plutôt, injuste. Du fait du manque de cohésion entre les ennemis, ceux-ci se contentent d’attaquer aléatoirement dans tous les sens alors qu’on ne peut clairement pas se battre de tous les cotés. Ils n’auront aucune pitié à enchaîner les attaques au corps à corps avec des flèches sans laisser le temps de réagir, profiteront de la lenteur des animations de Caim (pendant lesquelles on ne peut pas agir) pour continuer à attaquer. On est tellement harcelé par leurs assauts que cela devient ridicule de voir le protagoniste bloquer dix flèches d’un seul coup…

Bien sûr, il y a toujours la méthode « facile » de faire du leveling pour mieux s’en tirer : en effet, la production de Cavia multiplie les genres en ajoutant une couche de RPG, comme dit plus tôt, par un système d’expérience. Et qui dit gain d’expérience dit gain de niveaux, ce qui facilite la tâche. Mais faire le jeu d’une traite à la normale n’est visiblement pas suffisant et il faut donc faire des missions libres (refaire les mêmes missions, du coup) pour cumuler de l’EXP. Cela ne vaut pas que pour l’humain mais aussi pour le dragon.

Celui-ci, d’ailleurs, s’avère au final être un vent de fraîcheur dans la production. Les séquences de vol sont agréables, certes un peu « lâches » car les ennemis peuvent venir de tous les cotés, et il faut souvent faire demi-tour pour tous les éliminer. Le léger clipping (éléments du décor qui apparaissent sur le tard lorsqu’on s’en approche) ne gène pas trop, les cibles étant visibles même avant les monstres eux-mêmes. Voler, tirer, cibler plusieurs ennemis et dériver sur un coté pour esquiver, tout se fait assez rapidement et on appréciera la touche dédiée au ciblage automatique, ce qui permet de trouver des ennemis plus facilement.

Ces séquences à dos de dragon sont aussi profitables lors des scènes au sol. La créature, qui lâchera des boules de feu devant elle, procure un plaisir sadique et coupable. Les ennemis au sol, en dehors des archers, ne peuvent absolument rien contre nous dans ces conditions et se feront juste rôtir sur place. L’attaque spéciale du dragon déclenche l’enfer sur Terre, poussant ce plaisir coupable encore plus loin entre deux vandalismes sanglants qui tâchent le sol à chaque ennemi mort (ce qui peut être désactivé).

Une production immersive malgré ce qui fâche

Par ses grands champs de bataille, le jeu propose de larges étendues, peut-être un peu trop larges au vu du vide qui sépare certains groupes d’ennemis, mais cela n’est pas si gênant au final. Ces map donnent une typographie cohérente aux endroits traversés, bien que l’on puisse se sentir un peu perdu et avoir l’impression d’avoir déjà traversé un endroit déjà vu. Les graphismes sont cependant corrects et on peut apprécier la mise en scène des nombreuses discussions qui parsèment le jeu. Les cinématiques sont quant à elles satisfaisantes ; les graphismes manquent un peu de finesse, surtout au vu de ce qui pouvait se faire sur PS2 à cette époque et faisant parfois plus penser à un très beau jeu de la première PlayStation. Elles mettent cependant en scène des personnages aux visages réalistes malgré des réactions faciales qui ne semblent pas toujours concorder avec ce qu’ils disent.

Ces cut-scenes, tout comme les cinématiques ainsi que les dialogues réguliers entre personnages même pendant des phases d’action, permettent au jeu une narration constante. On ne regarde pas une vidéo, fait un niveau de jeu, regarde une autre vidéo et ainsi de suite : les évènements évoluent en permanence, prenant de plus en plus d’ampleur… Drakengard est un jeu qui tranche littéralement avec les autres par son ambiance unique.

Faisons, pour terminer, un point sur le coté sonore. Celui-ci ne déroge pas à la règle de faire les choses différemment ; il propose une bande-son pesante, sombre qui, si elle est parfois composée de boucles assez courtes, est un mélange d’héroïsme et de pessimisme permanent. On sent l’importance de ce que l’on doit faire ainsi que la fatalité qui s’en dégage – la fatalité et la mort qui plane au dessus. Au vu de ce qui se passe à l’écran, il n’est pas sûr qu’un seul morceau marque vraiment les esprits aux premiers abords, si l’on excepte bien entendu ceux que l’on entend en permanence. Les écouter séparément peut permettre de les apprécier plus amplement. Le doublage de notre version, en anglais, n’aide pas totalement non plus tant il est parfois surjoué… mais au moins, il a le mérite d’être là et de permettre de garder un mélange d’action et de narration fluide au au fil des missions.

Capture d'écran du Gaming Memories 66 Drakengard
Les séquences en vol sont parfois de vrais feux d’artifices très agréables à vivre.

« Ce jeu sera un one-shot », qu’ils disaient

Drakengard se vendit à environ 120 000 exemplaires durant sa première semaine en vente au Japon, pour doubler ce nombre à la fin de l’année 2003. D’après le magazine japonais Famitsu, c’est le 50e jeu le plus vendu de l’année. Sorti en mai 2004 en Europe, le jeu atteindra le score de 110 000 unités écoulées en septembre.

S’il a été reçu plutôt positivement, Drakengard a aussi eu quelques notes un peu plus basses, de la part de Famitsu par exemple, qui lui donna un petit 29/40. Le titre, a qui Cavia n’avait pas prévu de donner des suites, en a pourtant eu plusieurs. Ou plutôt, une suite, Drakengard 2, et une préquelle comme troisième jeu de la série. Yoko, figure emblématique qui a fait du premier opus ce qu’il était, a cédé sa place à un autre scénariste mais l’a reprise pour la troisième sortie de la licence. Plusieurs nouvelles retraçant l’histoire de soft ont été publiées au Japon.

On ne pourrait pas parler de ce qui entoure Drakengard sans évoquer la courte série NieR ; si de prime abord le lien entre les deux semble inexistant, il s’avère que NieR (ainsi que ses version Gestalt et Replicant) est en fait un spin-off à la cinquième fin du premier Drakengard, et ces jeux aux multiples fins sont finalement devenus comme une habitude pour Cavia puisque Automata (le second NieR) est lui-même une suite à une fin bien précise de Replicant.

Drakengard, avec son gameplay qui mélange les genres de façon à la fois unique et intéressante, a ainsi son importance non pas seulement comme jeu, ou comme premier épisode d’une série, mais aussi comme base plus ou moins lointaine à l’un des plus gros chocs vidéoludiques jamais vus. Il reste un jeu intéressant et marquant à jouer, qui mérite de s’y accrocher malgré ce qui fâche, pour découvrir un soft différent, à la vision particulièrement déprimante mais passionnante à vivre.

Du jeu qui sort de l’ordinaire pour sûr tels que l’on aime en voir…

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