Platinum End : dans l’ombre de Death Note et Bakuman ?
Depuis leur association en 2003, le dessinateur Takeshi OBATA et le scénariste Tsugumi OHBA font des merveilles. Les deux premières œuvres nées de leur collaboration, à savoir Death Note puis Bakuman, ont constitué deux coups d’éclat dans l’univers manga, séduisant des millions de lecteurs grâce à leurs scénarios complexes et leurs personnages charismatiques. Autant dire que le nouveau titre du duo était plus qu’attendu par les fans.
Après presque trois années, les deux artistes ont enfin dévoilé en mai dernier Platinum End, à qui incombera la lourde tâche de succéder à leurs deux mangas cultes. Bien que déjà disponible en ligne grâce à un système de publication simultanée avec le Japon, le tome trois sortira en librairie mercredi. L’occasion pour nous de vous livrer un avis sur les débuts de l’œuvre.
Mirai Kakehashi, jeune collégien, a perdu ses parents à l’âge de sept ans. Depuis, il réside chez sa tante et son oncle qui le traitent comme un véritable esclave. Las de son existence malheureuse, il décide de mettre fin à ses jours en se jetant du toit d’un immeuble après son dernier jour de collège. Il est cependant sauvé in extremis par un ange. Dès lors, il se retrouve embarqué malgré lui dans une folle quête qui, en définitive, pourrait bien influencer l’existence même des êtres humains sur Terre.
Le nouveau manga d’Ashirogi Muto ?
Petit retour en arrière. Nous sommes en 2006 et la noirceur de Death Note a séduit un large public, en témoignent les millions d’exemplaires vendus à travers le monde. La fin de la série, alors à son sommet de popularité, annonce donc une transition délicate pour ses auteurs, qui ont fait le pari d’en faire une série plutôt courte (treize volumes au total).
Deux années plus tard, le duo OHBA / OBATA parvient malgré tout à surprendre avec Bakuman, une histoire qui nous plonge dans le monde de l’édition de manga au Japon. L’œuvre devient vite le best-seller attendu. Pendant quatre ans, les lecteurs répondent présent et suivent avec passion le parcours de deux collégiens, qui forment ensemble la paire « Ashirogi Muto », dans leur quête pour devenir mangaka. Par l’intermédiaire de ce même duo, OHBA et OBATA dévoilent les coulisses de leur atelier. Comme s’ils ouvraient les portes de leur intimité. L’occasion pour le lecteur de découvrir, avec humour et légèreté, le processus global de création des deux artistes, de l’étape de réflexion à la mise en page d’une nouvelle histoire. La série s’achève après vingt tomes reliés en 2012. Les fans prennent alors leur mal en patience en attendant le prochain manga du duo. Une attente très haute au vu des standards de qualité que les auteurs ont posés. Quelle qu’en soit la teneur, le nouveau titre, en tant que successeur, devra souffrir la comparaison des deux œuvres précédentes.
OHBA et OBATA dévoilent Platinum End en novembre 2015, presque trois années après la fin de Bakuman. Le constat après les premiers tomes ? Malheureusement, le concept même de l’histoire ne donne guère la promesse d’une claque, d’un manga hors norme, même si cela n’enlève rien à ses qualités intrinsèques. Seulement, l’ensemble reste quelque peu « banal », toutes proportions gardées. Le phénomène d’effet de surprise n’aura pas lieu.
Il faut dire que Platinum End part avec un handicap un peu particulier en succédant à Bakuman. En effet, le duo d’auteurs nous a habitués à découvrir, à travers les nombreux nemus (nb : planches préparatoires avec crayonnés brut et dialogues) présentés par Ashirogi Muto, des histoires de tous types, et notamment des scénarios qualifiés de « sérieux », grande spécialité des deux héros. À chaque chapitre, les différentes idées défilent sans pour autant dépasser le statut de projet potentiellement « développables ». En cela, Platinum End apparaît presque comme une histoire un peu lambda, pensée par les héros de Bakuman et choisie parmi tant d’autres. L’histoire présentée, malgré tout son intérêt, perd de son impact.
Platinum End / Death Note : la comparaison inévitable
À la lecture de Platinum End, force est de constater que les auteurs reviennent aux sources de leur première collaboration. L’atmosphère, noire et pesante, rappelle celle de Death Note. Un ange, personnifié sous les traits d’une jeune femme, remplace le shinigami en tant que figure surnaturelle accompagnant le héros. Et l’idée que celle-ci permet à un lycéen d’acquérir un pouvoir particulier vient encore accentuer la comparaison.
Bien sûr, dresser un tel parallèle peut apparaître injuste pour le manga lui-même. L’apprécier à sa juste valeur s’avère pourtant difficile tant son ainé a représenté une bombe dans l’univers manga. Cependant, si les sujets posés se rapprochent, leurs portées diffèrent. Avec Death Note, le duo d’artistes a secoué les lecteurs dès les premières pages et les a invités de manière tacite à répondre à la question suivante : « Comment agirais-je si j’avais un Death Note ? » En surfant sur cette vague de réflexion, ils sont parvenus à créer une réelle empathie pour un personnage qui, il convient de le rappeler, s’octroie tout de même le droit de vie et de mort sur n’importe qui. Platinum End, au-delà de la complexité de l’univers posé et des fantasmes que les pouvoirs octroyés suscitent, ne nous conduit pas d’emblée vers un tel degré de questionnement de soi.
Bien sûr, le nouvel opus ne se résume pas seulement à l’existence même des habilités précitées. Tout son intérêt se trouve dans les aspirations des personnages qui les détiennent, dont Mirai, le personnage principal. Les auteurs ont cette fois voulu un héros candide, fermé et en manque total de confiance en lui. Ainsi représente-t-il l’exact opposé du Light Yagami de Death Note, froid et calculateur. Leur comportement, une fois confronté au nouveau pouvoir qui s’offre à eux, diffère totalement. Pour Light, le Death Note devient un outil, sa clé pour créer un monde en accord avec sa vision. Mirai quant à lui, une fois ses réponses obtenues et la surprise passée, ne se voit pas faire usage de ses capacités à des fins personnelles. Ce sont les circonstances qui l’exigeront. Les ailes et flèches obtenues apparaissent presque comme un fardeau. Ce rapport entre le jeune homme et ses pouvoirs est développé avec soin par le scénariste et annonce une suite prometteuse. À condition bien sûr de garder ce même cap.
Un rythme soutenu
Malgré le manque de « prise de risque », Platinum End reste une œuvre originale. Son scénario, dans son essence même, demeure complexe. Ainsi les règles d’utilisation des pouvoirs et les exceptions qui en découlent sont nombreuses. L’ange qui accompagne Mirai se charge de les lui enseigner – et au lecteur par la même occasion – au fur et à mesure que le récit avance. Pourtant, il est assez facile de perdre le fil au moindre relâchement d’attention, le rythme parfois décousu compliquant la lecture à certains passages. Un retour en arrière s’avère alors nécessaire pour s’y retrouver.
À titre d’exemple, beaucoup de péripéties s’enchainent au cours de l’introduction, impliquant de ce fait un rythme soutenu. Cela laisse certes peu de place à l’ennui mais ne permet pas non plus un temps de pause. Résultat : l’enjeu principal est posé à la hâte. Heureusement, le comportement de Mirai face aux nombreux événements qui lui arrivent reste cohérent. Une certaine forme de nonchalance ressort dans son attitude et lui sied bien au regard des circonstances. Après sa tentative de suicide avortée du début, l’auteur laisse transparaître, tout en mesure, le manque de lucidité du héros, qui a besoin d’un petit laps de temps pour recouvrer ses esprits.
Enfin le duo d’artistes a cette fois, du moins pour l’instant, fait le choix de ne pas incorporer d’humour. Fini l’humour sérieux à petite dose de Death Note, ou celui totalement décalé de Bakuman. En revanche, à l’instar de ce dernier, l’amour est bel et bien présent, avec une nouvelle romance à l’eau de rose qui semble peu compatible, et surtout peu probable, compte tenu de l’univers sérieux dans lequel elle devra évoluer… Dans Bakuman, malgré toute la naïveté des personnages concernés, l’histoire d’amour se tenait car le contexte le permettait. Elle constituait un moteur pour les protagonistes et servait le récit dans son développement. Il faudra donc trouver la juste mesure pour qu’elle puisse venir aérer l’histoire sans lui faire perdre sa cohérence.
Le style OBATA
Malgré les quelques réserves émises sur le fond de son histoire, Tsugumi OHBA pourra toujours compter sur son collaborateur, le dessinateur Takeshi OBATA, pour coucher ses idées sur le papier de la plus belle des manières.
À l’instar du duo Ashirogi Muto, les deux artistes se sont parfaitement trouvés. L’alchimie est complète. OHBA peut laisser libre cours à sa créativité et imaginer les scénarios les plus complexes qui soient, il sait que son acolyte trouvera le trait juste pour les mettre en page. Au fil des années, celui-ci a affiné son style et évolue aujourd’hui sur une autre planète. Avec son coup de crayon, il peut rendre n’importe quel mouvement, action ou réaction saisissant. En témoignent les parties de go haletantes imaginées par Yumi HOTTA qu’il mettait déjà en scène dans Hikaru no Go en 1998. Une simple partie apparaissait alors comme un combat à mort dans lequel chaque joueur mettait son âme en jeu.
Les deux premiers tomes de Platinum End ne font donc que confirmer les talents du dessinateur. Chaque case est minutieusement travaillée, chaque trait millimétré. Son art est même d’autant plus appréciable qu’à la différence de ses deux prédécesseurs le manga contient de nombreuses scènes d’action. Un genre auquel OBATA avait déjà pu s’essayer auparavant (Blue Dragon : Ral Grad, All you need is kill…), mais jamais vraiment sous la plume d’OHBA. Les scènes de haute voltige dans lesquelles le héros fait usage de ses ailes offrent ainsi une réelle sensation de vitesse. Quant aux combats, les débuts du manga n’en livrent qu’un simple aperçu, mais la suite annonce de nombreux affrontements, d’ordre physique ou psychologique, pour le plus grand plaisir des amateurs du genre. Pour la première fois, les deux artistes misent sur de l’action pure, ce qui offre de belles promesses pour la suite.
Au final, Platinum End comporte bel et bien tous les ingrédients nécessaires pour plaire à un large public. Le produit est parfaitement calibré, et superbement dessiné et mis en scène. Cependant, il manque à l’ensemble l’originalité si singulière qui faisait la force des deux œuvres précédentes de ses auteurs, et qui emportait d’emblée l’adhésion du lecteur. De ce fait, Platinum End, malgré toutes ses qualités, ne possède pas ce même souffle nouveau qui l’accompagne. Il lui faudra donc continuer de faire ses preuves dans ses prochains tomes pour espérer convaincre totalement, et rattraper ses illustres aïeux.
je pense que je vais aimer ce manga
Franchement je le lis et je suis chaque tome des qu’il sort en France et c’est génial vraiment j’aime beaucoup