Je suis un chat : un classique mais aussi un manga !
Dans notre nouvelle série des « grands classiques » débuté en juillet dernier avec Kamo no Chômei, Journal du Japon vous fait découvrir aujourd’hui Je suis un chat, le roman drôle et caustique de Natsume SÔSEKI, ainsi que sa brillante adaptation en manga qui vient de paraître aux éditions Picquier !
Le roman : dans la peau d’un chat pour observer les humains.
C’est un roman original que Natsume SÔSEKI écrivit d’abord sous forme de feuilleton pour un journal littéraire entre 1905 et 1906.
L’histoire est simple : le narrateur, un chat, observe tout ce qui se passe dans la maison de son maître qui est professeur, marié, trois filles. L’originalité du livre tient à l’intelligence (« supérieure« , il le crie haut et fort) de ce chat : il est à la fois très moqueur, très critique envers le genre humain, mais également très curieux et avide de connaissance. Mais il reste aussi un chat avec sa tendance à ne rien faire (comme son maître qui s’endort sur ses livres), ou bien à se promener dans le quartier (amoureux de la chatte de la maison voisine), grimper un peu partout, jouer avec les mantes religieuses du jardin … et se faire battre par un groupe de rat une nuit dans la cuisine !
Le maître ressemble beaucoup à l’auteur : professeur de littérature anglaise, souffrant de douleurs à l’estomac, avec pour conséquence un mauvais caractère qui ne le quitte pas tout au long du roman. Les visites sont nombreuses chez ce dernier : des grands bavards oisifs, des étudiants, des penseurs, des philosophes, mais également des hommes d’affaires (que le professeur méprise mais qu’il doit supporter lorsqu’ils enquêtent sur un étudiant qui doit épouser une fille de la haute société). Autant de portraits hauts en couleurs, de caricatures à l’acide, permettant de brosser une image très critique de la société japonaise de l’époque.
Tout au long du livre, les échanges sont vifs, passionnés, partant parfois dans des délires grotesques, mais également dans des réflexions sur l’époque, plus centrée sur l’argent et le profit que sur la pensée et la culture. La guerre avec la Russie est évoquée par bribes, la nostalgie des shôguns, des traditions. Le début du XXe siècle est une période de grand changement qui ne fait pas l’unanimité. La littérature de l’époque est également décrite à travers des portraits, des citations, des événements qui prouvent que la culture était bien vivante et dynamique.
Le chat décrit avec minutie les personnes qu’il rencontre (chez son maître mais aussi dans les maisons voisines où il va espionner), mais fait part également de son avis. Cela donne des réflexions caustiques, un humour décalé et des propos vifs qui passent plus facilement dans la gueule d’un chat !
Les hommes :« D’abord, ils ont quatre jambes et n’en utilisent que deux ; c’est du gaspillage. Ils se contentent stupidement de deux jambes en laissant les deux autres pendre inutilement comme deux morues séchées qu’ils auraient reçues en cadeau, alors qu’ils avanceraient bien mieux s’ils utilisaient les quatre ensemble. On voit ainsi que les hommes ont beaucoup plus de temps à perdre que les chats, et on comprend pourquoi ils aiment à inventer toutes ces sottises pour tromper leur ennui. Le plus drôle est que ces désœuvrés circulent de côté et d’autre pour se dire à tout bout de champ combien ils sont occupés, et ils passent leur temps à des bagatelles au point qu’ils ont réellement l’air d’être occupés, si occupés qu’on redoute de les voir succomber sous leurs charges. »
Quelques scènes cocasses complètent le tout : le chat qui s’étouffe en mangeant des mochis, le maître qui s’énerve après les élèves qui lancent des balles dans son jardin, le voleur qui s’empare d’une caisse de patates croyant qu’elle contient des bijoux, l’étudiant qui polit des billes en verre toute la journée pour les faire ressembler aux yeux des grenouilles, sujet de sa thèse, le fidèle ami qui raconte les blagues qu’il fait dans les restaurants, et bien sûr la mémorable bataille du chat contre les rats !
Quant à la plume, elle est à la fois aiguisée et poétique. Elle multiplie les détails aussi bien quand il s’agit de parler de bouddhisme zen que de décrire le nez encombrant de la femme du riche homme d’affaires, que le professeur a pour voisin.
La fin de l’automne : « Entre les pins rouges, les feuilles d’automne comme rapiécées dans deux ou trois tons de cramoisi sont tombées comme si elles n’avaient été qu’un rêve déjà lointain, et les camélias sasanqua, qui avaient répandu à tour de rôle leurs pétales blancs et rouges près de la petite vasque de pierre, ont péri. Les rayons du soleil d’hiver se sont inclinés rapidement sur la véranda de six ou sept mètres orientée au sud, et quand les jours où la bise hivernale ne soufflait pas se sont faits rares, j’ai senti que mes heures de sieste étaient désormais limitées. »
Le nez : « Son nez est extraordinairement gros. On dirait qu’elle a volé le nez de quelqu’un et se l’est planté sur la figure. Il est très impressionnant, comme si on avait placé les grosses lanternes de pierre du temple Yasukuni dans un jardinet de dix mètres carrés, et ne semble pas se trouver à l’aise sur ce visage. C’est un nez en bec d’aigle, qui a commencé un jour à s’élancer très haut, puis, pensant qu’il dépassait la mesure, s’est ravisé, a perdu son énergie première dans sa course puis est venu plonger vers les lèvres qu’il regarde maintenant de très près. C’est un tel phénomène qu’il serait plus exact de considérer que lorsque cette femme dit quelque chose, ce n’est pas sa bouche qui parle, mais bien plutôt son nez qui ouvre la bouche. Par respect pour ce grandiose monument, je décide d’appeler cette femme, Hanako, Mme Nez. »
Au final un livre très réjouissant, intelligent et drôle, devenu au fil des ans un classique de la littérature dont tous les Japonais connaissent les premières phrases : « Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom. Je n’ai aucune idée du lieu où je suis né. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Le manga : une adaptation fidèle à l’esprit du roman.
Adapter ce roman en manga était un pari osé. Le mystérieux mangaka Tirol Cobato a relevé le défi avec talent ! Le lecteur y retrouve les personnages du roman : le chat (un adorable chaton aux postures trop mignonnes, mais à la réflexion bien aiguisée), le professeur, son ami envahissant, sa femme et ses trois filles, ses anciens élèves, ses voisins.
Certes il est impossible de retranscrire dans un manga de sept chapitres l’humour, la causticité et le style brillant de SÔSEKI, mais l’esprit est bien là : le chat observe, écoute, commente avec humour les comportements des humains. Relations amoureuses, appât du gain, vision de la mort, tout est passé au crible.
« Les humains adorent se fabriquer des situations qu’ils ne peuvent pas assumer. »
Le chat n’est pas tendre avec le professeur qui l’héberge : cet homme qui s’endort en bavant sur ses livres, qui a l’estomac fragile mais mange trop, qui essaye de multiples activités mais a très peu de talent, qui déteste les hommes d’affaire mais a du mal à boucler ses fins de mois, qui se met en colère lorsque les élèves de l’école voisine lancent leurs balles dans son jardin, qui médit sur les femmes mais ne peut se passer de la sienne.
Un portrait de la société japonaise du début du XXe siècle peint par un chat qui, parfois, se sent dépassé et part chasser les mantes religieuses dans l’herbe, ou les souris (mais sans succès). Les nombreuses conversations entre le professeur et toutes les personnes qui lui rendent visite vont des réflexions philosophiques intéressantes à des commentaires de bas étage. Les bassesses, les arrangements, les magouilles : les travers d’une société éprise des valeurs mercantiles occidentales apparaissent concentrées dans la maison et son voisinage, et le dessin permet de tirer des portraits très expressifs des différents protagonistes (moquerie, flatterie, dégoût, envie).
Le chat n’est pas que spectateur, il est aussi acteur, et cet aspect est renforcé dans le manga :
– il aime aller voir la chatte de la voisine, la si belle Mikeko (le chat est d’ailleurs surpris : « C’est énorme ce pouvoir des femmes« ),
– il s’étouffe en mangeant un mochi (scène remarquablement dessinée et dans laquelle le chat dit « Tout plaisir conduit à la douleur« ),
– il se promène dans les pages avec l’agilité que l’on connaît aux chats, parfois caché derrière une porte coulissante, parfois allongé en pleine réflexion, parfois regardant le lecteur avec ses grands yeux brillants pour lui raconter ce qu’il pense des humains.
Un chat attachant qui rappelle par son côté kawaï le petit chat préféré des enfants, Chi.
Une lecture pour les amoureux des chats et une bonne introduction à l’oeuvre de SÔSEKI.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Ce classique est donc, à découvrir dans sa version roman ou sa version manga… selon votre envie !
1 réponse
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