« Parade For The End Of The World » : Cent ans de fin du monde
Si le bon goût de la Maison de la Culture du Japon à Paris et la qualité de sa programmation en matière d’art contemporain ne sont plus à prouver, la présentation de la performance Parade For The End Of The World à l’occasion du centenaire approchant de l’œuvre pluridisciplinaire Parade parachève de faire de la MCJP un lieu clef de l’art à Paris.
En accueillant en résidence la vidéaste Justine EMARD – résidente à la Cité Internationale des Arts à Paris -, le danseur-chorégraphe Jérémie BÉLINGARD – danseur étoile du Ballet de l’Opéra national de Paris – ainsi que le célèbre compositeur Keiichiro SHIBUYA, la Maison de la Culture du Japon à Paris a permis la naissance d’une œuvre protéiforme et sensationnelle, une Parade For The End Of The World qui résonne encore comme une prémonition empreinte d’une rage née il y a déjà un siècle.
À l’issue de la performance, la même question se trouve sur toutes les lèvres : comment raconter ? Comment tenter d’expliquer ce qu’il vient de se produire ? La fin du monde est proche. On le sait car on vient de vivre son annonce ; fatale et chaotique, ultra-technologique et finalement si humaine. Après 45 minutes hallucinées, difficile de trouver les mots pour parler de la fin du monde et de cette parade annonciatrice.
Librement inspirée de l’œuvre choral créée par Jean COCTEAU, Léonide MASSINE, Pablo PICASSO et Erik SATIE en 1917, cette performance considérée par les artistes comme un « ballet laboratoire » réinvente la Parade originale en une œuvre à la fois contemporaine et futuriste, mais mettant en exergue les considérations de l’époque avec la même rage et la même radicalité.
Reprenant la partition originale de SATIE avant de la remixer et de l’utiliser comme matériau d’improvisation et d’expérimentation, Keiichiro SHIBUYA pose l’ambiance sonore de cette fin du monde avec une musique violente et torturée. Comme la Parade originale, considérée à l’époque comme du « bruit inadmissible », SHIBUYA soumet le public à un maelstrom sonore à la fois répulsif et fascinant, servi par un volume assourdissant. Celui qui a obtenu ses lettres de noblesse à Paris en 2013 avec l’opéra numérique The End, emmené par l’égérie virtuelle Miku HATSUNE, et dont la discographie repousse sans cesse les limites de l’expérimentation et de l’introspection sonore, franchit un nouveau cap avec la mise en musique de cette Parade For The End Of The World. Oscillant entre le piano et les effets électroniques, la musique de Keiichiro SHIBUYA ne saurait mieux représenter la dualité de cette nouvelle Parade.
Un siècle après l’œuvre initiatrice, cette version moderne trouve en effet son leitmotiv dans les grands questionnements de notre époque. Comment l’humain peut-il œuvrer ainsi avec la technologie alors que l’organique et le numérique sont constamment opposés ? Et in fine, est-ce la technologie ou l’Homme qui causera la fin du monde ? La Parade 2.0 élaborée par les trois artistes nous invite – au-delà de sa performance – à ces interrogations sans jamais prendre le parti d’un univers ou d’un autre.
Porté par les atmosphères de Keiichiro SHIBUYA, le danseur-chorégraphe Jérémie BÉLINGARD évolue, véritable figure de proue de cette Parade. Danseur étoile du Ballet de l’Opéra national de Paris, Jérémie BÉLINGARD s’est bien gardé de se reposer sur les archétypes de la danse. Au sein de cette Parade For The End Of The World, le danseur-chorégraphe invente et se réinvente. En danger permanent, mû par une énergie chaotique, Jérémie BÉLINGARD crée sous nos yeux quelque chose de nouveau et de surprenant. Au fil de la Parade, le corps du danseur n’est plus humain, il devient une entité complexe à la fois robotique et organique. Les gestes sont saccadés, se répètent comme une machine folle et se désincarnent au milieu de l’environnement évolutif créé par les effets de la vidéaste Justine EMARD, qui forgent un monde nouveau et fantastique à partir de l’aridité apparente de ce tapis de danse ; unique décor qui, comme le rideau de PICASSO alors abîmé lors de son transport et utilisé tel quel lors des représentations, montre les traces de son existence, maintes fois martelée.
Enfin, à l’extrémité du corps en mouvement de Jérémie BÉLINGARD se trouve le travail de la vidéaste Justine EMARD, créatrice visuelle de cet univers au sein duquel le danseur s’exprime et que le musicien embaume. Les extraits diffusés en live par Justine EMARD sont irréels, manifestes mais méconnaissables. Ces prises de vues fantomatiques créent le terrain que foule la Parade. Composées de prises de vues concrètes qui évoquent un sentiment connu en chacun de nous, le montage et le travail effectué par la vidéaste sur les images font tendre ces éléments communs vers une abstraction onirique troublante. Grâce aux lumières de Justine EMARD, le corps de Jérémie BÉLINGARD se dédouble, se prolonge et se déforme, et l’ombre du danseur prend le pas sur le corps de celui-ci afin de proposer un autre spectacle, tout aussi spectaculaire.
Au service du caractère organique de la Parade, la technologie utilisée par Justine EMARD ancre cette nouvelle interprétation dans notre époque. L’utilisation de smartphones filmant la performance et la reproduisant ainsi à l’infini sur l’immense support blanc qu’est le décor de cette fin du monde est une évocation touchante de notre quotidien et de cet outil qui est devenu un prolongement de notre organisme tendu vers la technologie.
Difficile en effet de trouver les mots pour décrire cette Parade For The End Of The World. À la fois présentée comme une exposition et comme un voyage intimiste, la Parade n’existe que par le spectateur, à l’instar du message laissé par l’originale : « entrez voir une pièce de vous ».
Pensée comme un compte à rebours vers cette fameuse fin du monde, la performance s’ancre dans le présent et se réinvente continuellement. Work in progress infini, la Parade est en marche et repoussera sans arrêt la fin dès que l’on pensera l’avoir cernée.
Merci une fois encore à toute l’équipe de la Maison de la Culture du Japon à Paris, et particulièrement à Aya SOEJIMA pour sa gentillesse et sa confiance. Merci également à Justine EMARD, Jérémie BÉLINGARD et Keiichiro SHIBUYA pour leur temps et leur gentillesse.
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