Chroniques Hentai : dans l’univers du yaoi…
Pour ce second numéro de nos chroniques hentai trimestrielles, nous ferons un focus sur les yaoi, ces mangas traitant des relations homosexuelles et qui se construisent un fandom toujours plus grand d’année en année. Nous passerons ensuite à la loupe trois œuvres publiées sur le sol français et trop peu souvent traitées dans les médias spécialisés.
Ce décryptage vous permettra de savoir si les mœurs exposées par les mangakas s’accordent aux vôtres, si elles sont encore trop extrêmes pour votre pauvre âme ou, au contraire, trop soft pour l’expert en la matière que vous êtes.
Au sommaire de ces lectures : des uniformes d’écolières, des employés de bureau, et de l’infidélité… Tout un programme !
L’émergence d’un genre pour combler un manque
D’abord amateur dans les cercles doujinshi, le Yaoi est progressivement devenu un genre à part entière en se créant un public demandeur d’une offre trop peu présente. Parmi les auteurs ayant mis en scène des relations amoureuses masculines à leurs débuts, nous pouvons citer le célébrissime collectif CLAMP, dont on peut voir l’empreinte dès leur première œuvre professionnelle RG VEDA, mais également au fil de leur carrière avec Tokyo Babylon, X ou encore Lawful Drug.
Cependant, si l’on remonte aux origines de ce mouvement, c’est la romancière Mari MORI (1903-1987) qui est considérée comme la fondatrice des codes du yaoi à travers les personnages qu’elle mettait en scène. S’ensuit toute une génération de femme mangaka, dont Moto HAGIO (Le cœur de Thomas) et Keiko TAKEMIYA, qui ont mis en images des romances masculines en parallèle de l’émancipation du shôjo manga, et donner ainsi naissance au shônen-ai.
Depuis, on peut aisément penser que ces mangas et ces auteures à la réputation solide ont permis au yaoi de se créer une voie vers les étals des marchands, quittant le stand amateur de conventions où ils étaient jusqu’à maintenant cantonnés. Mais n’allez pas croire pour autant que la production de doujinshi yaoi ait cessé, loin de là : le Comiket est toujours un haut lieu de rassemblement pour les fans de Boy’s Love et les parodies des séries qui ont la côte sont toujours aussi nombreuses.
Enfin, loin des polémiques qu’il peut y avoir aujourd’hui en France sur la définition même du manga homosexuel, il faut savoir que le yaoi a fait débat au Japon dans les années 90 quant à sa légitimité à représenter l’homosexualité masculine. Des militants gay accusaient effectivement ces récits de tronquer la réalité des relations homosexuelles, et d’être hétéro-sexistes en véhiculant des clichés et des rapports irréalistes. À cela s’opposaient les auteures et éditeurs de yaoi qui assumaient ces récits fantaisistes à destination d’un public féminin n’ayant pas à vocation de représenter les relations gays. Ces dernières avaient le soutien de groupes féministes et lesbiens qui voient également dans le yaoi une échappatoire à la misogynie et aux pressions de la société japonaise sur les femmes.
Malgré ces controverses le manga yaoi n’a cessé de représenter une part de plus en plus importante de la production de manga et s’exporte depuis les années 2000 partout à travers le monde.
Yaoi ? Boy’s Love ? Bara ? Shônen-ai ?
Une des premières barrières pour comprendre le milieu du yaoi est tout simplement son identité. Qu’est-ce qui rentre dans les normes d’un yaoi exactement ?
Tout d’abord, comme pour les shônen, shôjo et seinen, les dénominations peuvent avoir une teneur différente en fonction des pays, ou du choix des éditeurs pour classer leur collection. De plus, même au Japon, ces catégories ne sont pas toujours valables, car les styles se mélangent souvent. Néanmoins, dans les faits, voilà comment nous pourrions catégoriser les différentes publications :
Yaoi, de par sa définition, c’est du « porno sans histoire », ayant pour seule vocation de mettre le sexe en avant, au même titre que le hentai donc. Ce terme viendrait de « YAma nashi, Ochi nashi, Imi nashi« , signifiant « pas de point culminant (dans le scénario), pas de chute (au récit), pas de signification (à l’histoire) ». Il serait cependant stupide de penser que tous les titres yaoi sont du gonzo à l’état brut, sans scénario ni sentiments, tel le hentai, comme nous avions pu le voir dans notre précédent article. Malgré cette définition péjorative c’est le terme le plus utilisé, surtout au Japon.
Shônen-ai est le terme utilisé dans les années 70, lorsque des mangaka comme Moto HAGIO en font les premières publications professionnelles, et regroupent des romances fleur-bleue entres jeunes garçons. Cependant, son utilisation est devenue limitée au Japon, car elle a tendance à désormais évoquer la pédophilie (shônen signifiant jeune homme).
Boy’s Love vient remplacer le terme shônen-ai tombé en désuétude pour qualifier les romances masculines, parfois érotique, de nos jours où l’accent est mis sur le scénario. Ce terme est principalement utilisé à l’international.
Pour toutes les publications éditées sous ces catégories, le public sera en grande partie féminin et porte le nom, malheureusement péjoratif, de Fujoshi au Japon. Le manga Kiss him, not me !, aux éditions Delcourt parle très bien de ce sujet.
Enfin, s’il y a un genre qui s’adresse directement aux hommes gays, c’est le Bara, aussi appelé Men’s love. Le pape du manga gay est Gengoroh TAGAME, dont le talent pour l’illustration n’a d’égal que la violence des rapports sexuels qu’il dessine. L’essentiel de ses travaux ont été publiés en France, mais il sera l’occasion de parler de lui une prochaine fois.
Je te tiens, tu me tiens, par la …
Parlons maintenant des standards utilisés dans ces lectures. Si dans les mangas mettant en situation des harems, les mêmes archétypes reviennent inlassablement, il y a également des concepts inhérents aux yaoi.
Tout d’abord le Seme (semeru) qui signifie attaquer. Ce rôle est endossé par le plus âgé du couple, il peut être de tempérament froid et viril et on pourrait le comparer au dominant. Vient ensuit le Uke (ukeru) qui veut dire recevoir. Plus jeune et plus chétif, il est celui qui aura une personnalité douce, naïve, voire efféminée : il correspond donc naturellement au dominé, même s’il serait évidemment péjoratif de le limiter à cette fonction.
S’il existe plusieurs variations autour de ces rôles, et s’ils peuvent changer au sein d’un même duo, la notion d’opposition reste toujours présente. Notons également la notion de bishônen. Cette appellation désigne le physique androgyne de la plupart des protagonistes, qu’ils soient seme ou uke. Cela se traduit par des corps peu musculeux (malgré la grande taille des seme) et des traits de visages fins et élégants. Mais cette apparence peut aller au-delà du physique, et être également un trait de personnalité. Désigner comme « une femme dans un corps d’homme » cette forme de travestisme permettra à un public féminin de se retrouver dans des histoires composées essentiellement d’hommes.
Les bishônen ne seront présents que dans les Boy’s Love, les Bara étant plutôt peuplés d’hommes virils, poilus et très musclés.
Pour en savoir plus sur l’univers du yaoi, nous vous invitons à lire notre interview des auteures d’In These Words réalisée à Japan Expo 2015, et notre critique de 10 Count de Rihito TAKARAI.
Chroniques sous X
Le Jeu du chat et de la souris de Setona Mizushiro
Kaze Manga – collection Boy’s love
Contenu : Explicite.
Résumé : À cause de son caractère indécis, Kyôichi s’est laissé prendre plusieurs fois au piège de l’adultère. Mais un jour apparaît devant lui un homme que son épouse a engagé pour enquêter sur ses infidélités : il s’agit d’Imagase, un garçon qu’il a connu à la fac. Ce dernier accepte de garder le secret, mais en échange, il lui réclame son corps…
Entre les deux hommes, c’est le début d’une histoire d’amour qui ne manquera pas de vous serrer le cœur.
Soyez-en sûrs, cette série en deux tomes (ou une intégrale), n’usurpe pas le résumé qu’on nous en fait. Bien au contraire, c’est la porte à tous les vices et à un jeu particulièrement délectable entre les deux hommes mûrs. Alors que tout part d’une histoire d’adultère, on se retrouve au final à épier tel des voyeurs un amour naissant, mais non moins obsessionnel et pervers. En réalité, l’auteur nous offre une confrontation particulièrement intense qui ira jusqu’à assurer une tension sexuelle particulièrement exacerbée : entre un homme passif qui se laisse faire car il souhaite faire plaisir à chacun (Kyôichi), et un homme transi d’un amour tordu et à la passion dévorante depuis plusieurs années (Imagase), Setona Mizushiro va nous faire vivre une histoire d’amour où chacun cherchera à piéger l’autre dans une sorte de jeu indécent.
Des scènes de sexe existent, quasiment dès le début de la série, mettant clairement le ton : deux hommes mûrs, dans la fleur de l’âge, où seul l’acte sexuel et ce qui va avec permet de véritablement partager et faire vivre leurs sentiments respectifs. Attention néanmoins, cette histoire est particulièrement troublante, et sait faire réfléchir. De nombreux rebondissements sont présents, et les scènes de sexe, explicites, permettent simplement de mettre sur un piédestal certaines décisions… qu’elles soient crues ou cruelles. On se laisse prendre à ce désir charnel qui nous bouleverse, un amour sincère au final, mais torturé.
Good Times !! de Coelacanth
Taifu Comics – collection Hentai Sans Interdit.
Contenu : Soft.
Résumé : Un recueil de nouvelles toutes plus hot les unes que les autres !
Tout comme pour Love Gome, quel dommage de faire des résumés à l’emporte-pièce comme cela ! S’il n’y avait que ça à se mettre sous la dent, OK. Si l’on pouvait feuilleter le livre pour vérifier la teneur nanardesque que promet le résumé, OK. Mais les mangas hentai sont généralement vendus sous scellé plastique et n’offrent qu’une couverture et un titre pour se faire un avis. Et, comme vous le verrez souvent dans Chroniques Hentai, il faut rarement se fier à la couverture d’un livre.
Good Times !! est composé de 10 petites histoires, en un chapitre exceptée une, qui prennent place de près ou de loin dans le milieu scolaire avec, donc, une majorité de couples adolescents. Si toutes les amourettes sont placées sous le signe du Vanilla Sex, seul le chapitre Bad Communication dénote de l’ensemble, car fleurant allègrement avec le shotacon (garçons à l’allure d’enfant). On pourrait trouver un certain manque de variété dans les scènes de sexe. En effet, la mise en page est très classique et vous risquez parfois d’avoir l’impression de revoir les mêmes choses. Cependant, le dessin très agréable et le design des personnages masquent facilement ce défaut.
Quelques pages couleur sont présentes en début et en milieu de tome, ce qui est toujours le bienvenu, même si la colorisation n’est pas franchement le fort de Coelacanth, contrairement à un Seishin IZAYOI (Double Tentation) ! Comme d’habitude dans ses publications, Taifu propose ce one-shot dans un format de 21cm x 15cm.
Si le portrait dressé peut paraître peu flatteur, il n’en est rien. Good Times !! est, comme son titre l’indique, un bon moment de lecture, quelque chose d’assez classique mais qui marche très bien.
Velvet Kiss de Chihori HARUMI
Soleil manga – collection Eros, 4 tomes.
Contenu : Very soft.
Résumé : Shin Nitta, un jeune businessman, connaît une belle réussite dans son entreprise, mais à la suite d’une soirée trop arrosée, il aurait par inadvertance consentie un emprunt de 800.000 euros pour le compte d’une hôtesse. La banque d’affaires Kikuchiya lui impose alors un marché : s’il parvient à devenir ami et à tenir compagnie à une jeune femme, ils acceptent de geler le remboursement et ses intérêts…
Derrière ce synopsis qui peut paraître simplet se cache une véritable histoire, et deux personnages bien développés. La jeune fille en question, Kano, est ce que l’on pourrait poliment appeler une enfant pourrie gâtée, ou tout du moins qui évolue dans un univers de bourgeoisie moderne complètement hors des réalités de la plèbe. Son partenaire vient d’un monde bien différent, c’est un jeune salary-man actif qui a les pieds sur terre. Mais outre cette opposition sociale dans notre duo, c’est ce jeu de « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis« , avec tout juste ce qu’il faut de pudeur pour nous paraître crédible et touchant, qui éveille notre intérêt.
Le nombre de pages avec coït ont une part minoritaire dans l’œuvre, mais l’ambiance ne retombe pas pour autant entre deux ébats, et la mangaka trouve un très bon rythme tout en déroulant un scénario plus subtil auquel on aurait pu s’attendre.
Idéal pour une lecture hentai soft ou pour les amateurs de romance très érotisante.
Ce sera tout pour ce numéro, en espérant que cette série d’articles vous plaise, nous vous donnons rendez-vous cet été pour aborder un nouveau sujet de l’univers du H-manga et avec quelques œuvres à décortiquer. En attendant, vous pouvez suivre l’actualité des éditeurs Taifu Comics et Soleil manga sur leur site respectif pour connaitre les futures sorties hentai et yaoi.
Notez aussi que d’ici notre prochain numéro, une nouvel éditeur fera son entrée sur le marché du manga pornographique : Hot Manga, filiale d’IDP.
Remerciements à Charlène Hugonin pour son aide sur les œuvres yaoï.
Tiens je ne pensait pas que ça parlerai de yaoi mais c’est vrai que ça peut être considéré comme un sous-genre du hentai.
Pas trop d’ajouts possibles de ma part, je n’ai pas trop exploré cette partie des manga.
Pour ce qui est des tomes présenté, j’ai lu Velvet Kiss et Good Time.
Personnellement je trouve Good Time assez moyen mais j’ai plutôt apprécié le premier livre du même auteur: Funky Glamorous.
Je trouve Coelacanth plutôt moyen comme auteur, pas mauvais mais pas assez talentueux pour me laisser une impression.
Je lui préfère d’autres auteurs du catalogue de Taifu, tel que Maban, Cannon Mikami, Kentarou et l’obligatoire Yamatogawa et Seishin Izayoi.
Quant à Velvet Kiss, c’est, je pense, une valeur sûre du catalogue de Soleil. Je conseillerai aussi « Love on the Job » et « les charmes de l’infirmière » pour ceux qui voudraient d’autres séries de ce genre.
Pour un dernier auteur que je peut recommander c’est Saigado, qui a beaucoup de ses séries publiées en France, et qui a fait le chara design du très connu (et très impopulaire) Boku no Pico. C’est un collectif au style assez classique mais dont les personnages reviennent souvent entre chaque série, formant une trame englobant plusieurs séries. Et ils semblent avoir un fétiche pour les faciales.
Enfin, je fais noter qu’un kickstarter pour une réédition anglaise du manga Urotsukidoji de Toshio Maeda a été lancée il y a quelque jours.
Le yaoi n’est en rien un sous-genre du hentai, mais il peut être considéré comme un sous-genre érotique du shojo, pareille pour le yuri qui lui est un genre bien plus récent.
PS : Good Times !! n’est pas un yaoi, c’est un hentai et je ne vois pas ce qu’il vient faire là dedans, de même pour Velvet Kiss bien qu’il soit très soft.
Bonjour Hunk,
Tout d’abord merci de nous avoir lu !
En effet, le Yaoi n’est pas un sous-genre du hentai et puise clairement ses racines d’auteure de shojo, mais c’est justement ce que qui est dit dans l’article. Même s’il a pour but de parler du yaoi au même titre que le hentai, nous citons Moto HAGIO et la naissance du yaoi par le shonen-ai, ce qui va dans le même sens que votre discours.
Enfin cet article s’inscrit dans un dossier intitulé « Chroniques Hentai » dont le but premier est donc de traiter des œuvres Hentai, il est alors tout naturel d’y trouver des titres comme Good Times !! ou Velvet Kiss en dernière partie.
Nous ne souhaitons cependant ne pas exclure les yaoi de nos reviews et en incluons un à chaque numéro.
Bonjour,
En effet, je me rend compte que j’ai un peu mal lu votre article, veuillez me pardonner.
Vos articles traitants de ses lectures sont en tous cas intéressant, le sujet étant globalement tellement mal renseigné en France dû à la différence culturelle, comme vous le dites oui le yaoi n’est effectivement pas un sous-genre du hentai, après à y réfléchir, il est vrai que l’on place un peu le hentai, la yaoi et le yuri dans la même veine de lecture malgré leurs différences vu qu’elles s’accordent toutes à un public dit « assez » de niche, s’inscrivant dans un style sexuelle et amoureux, je peux me tromper mais je crois que la lecture du yaoi, surtout chez les adolescentes, est encore plus portée sur le jugement que la lecture hentai, ce n’est pas quelque chose de normal, tout le monde devrait avoir le droit de lire le genre qu’il souhaite sans créer d’arrière pensées chez autrui.
Merci en tout cas pour votre réponse et bonne continuation 🙂