Kenshin le Vagabond : quand le Shônen-movie flirte avec le Chambara

Si elles ont de longue date fait partie du paysage cinématographique japonais (la série des Baby Cart au début des années 70, par exemple), force est de constater que, depuis une dizaine d’années, les adaptations live de manga au cinéma ont pris de plus en plus de place et occupent maintenant de manière omniprésente l’espace médiatique dans l’archipel. Pas un mois sans sa sortie événement d’une adaptation de manga, que ce soit des séries relativement récentes voire en cours (Bakuman, l’Attaque de Titans, Beck, Nana, Gantz …) ou bien des vieux classiques ressortis des cartons (Lupin 3, Ashita no Joe, Space Battleship Yamato, Parasyte, Patlabor …), et ce, avec toute la puissance médiatique du marketing à la japonaise. Beaucoup de battage pour un résultat aléatoire, pas toujours à la hauteur du matériaux d’origine… Mais d’agréables surprises peuvent pointer leur nez.

Justement, qu’en est-il de Kenshin le vagabond qui, plus de 10 ans après la fin de sa publication, s’est vu bénéficier non pas d’une adaptation, mais carrément d’une trilogie sortie entre 2012 et 2014 ? Une question à laquelle la sortie récente du premier épisode en DVD et bluray chez Metropolitan filmexport et HK permet de répondre.

 

La jaquette du DVD

La jaquette du DVD

 

Kenshin le Vagabond : la fusion du chambara et du shonen manga

Prenant place juste après la restauration de Meiji, Kenshin le vagabond narre les aventures de Kenshin HIMURA, surnommé Battosai, ancien sabreur assassin à la technique quasi-divine qui, après avoir grandement contribué au succès de la rébellion contre le bakufu des Tokugawa, décide de rejeter la violence et de se faire vagabond. Évidemment, cette époque de renouveau et de modernisation du Japon n’est pas sans troubles et Kenshin va devoir lutter pour préserver la paix (et la vie de ses amis), tout en s’efforçant de respecter son vœu de ne plus tuer, symbolisé par son sabre à lame inversée.

image d'une scène de flash-back prenant place pendant la restauration de Meiji.

Image d’une scène de flash-back prenant place pendant la restauration de Meiji.

Manga en 28 volumes créé par Nobuhiro WATSUKI et publié de 1994 à 1999 dans la célèbre revue Weekly Shônen Jump, Rurouni Kenshin, ou Kenshin le Vagabond, est un shônen des plus classique, si ce n’est qu’il inscrit son histoire dans un contexte historique bien réel auquel il fait précisément référence, à savoir le début de l’ère Meiji qui marqua la fin de l’époque des samouraïs, celle du sakoku (fermeture du Japon pour les étranger) et la modernisation rapide du pays. On y trouve le mélange d’action, d’humour, d’amitié et de dépassement de soi spécifique des shônen. Néanmoins, son contexte historique réel et précis et ses liens avec les genres du chambara ou des films de ninja de série b lui donnent beaucoup de saveur, sans oublier le soin apporté par l’auteur à la construction de ses personnages – aussi bien Kenshin et ses amis que ses adversaires. WATSUKI utilise à bon escient son contexte historique pour inscrire chacun de ses personnages dans un itinéraire personnel parfois tragique, mais qui le construit toujours avec une réelle complexité et profondeur.

  

Une adaptation fidèle et une réussite visuelle

Le réalisateur apporte un grand soin esthétique à son film

Le réalisateur apporte un soin esthétique bienvenu à son film

Mixant les différentes intrigues des quatre premiers volumes, le film se pose comme une introduction au monde de Kenshin, en présentant les enjeux et les différents personnages. Kenshin commence l’histoire comme un vagabond avant de faire la rencontre de Kaoru, jeune héritière idéaliste d’un dojo, à qui il va venir en aide. Ce faisant, il va devoir affronter un riche trafiquant d’opium ayant réuni sous ses ordres toute une troupe de mercenaires, anciens samouraïs et combattants en déshérence depuis la fin du Bakufu. Parmi eux, un assassin d’une extrême violence qui se fait passer pour Battosai.

Le tueur au chapeau noir se fait passer pour Battosai.

Le tueur au chapeau noir se fait passer pour Battosai.

Keishi OTOMO : un nom qui ne dira peut-être pas grand chose aux cinéphiles, mais qui est celui du réalisateur de la trilogie Kenshin. Si Monsieur OTOMO n’avait en effet que peu d’expérience au cinéma avant de réaliser Kenshin, il n’en est pas pour autant un bleu, puisqu’il a notamment fait ses armes sur la série historique Ryomaden, grosse production télévisée suivant la vie de Ryoma SAKAMOTO, ainsi que sur la série Hagetaka, centrée sur des luttes de pouvoir dans le monde des achats et restructurations d’entreprise ; certes inédits en France, les deux furent des succès publiques et critiques. Avant de se voir confier le gros budget Kenshin, il a pu justement se faire la main sur grand écran avec le film de Hagetaka.

Dans Kenshin, il met à profit toute l’expérience acquise sur Ryomaden, dont l’action se situait à une période légèrement antérieure. En effet, la mise en image est le point fort du film. Tout d’abord, la direction artistique, que ce soit les décors ou les costumes, est faite avec soin et un souci de rendre son univers visuel réaliste sans pour autant sacrifier l’aspect haut en couleur et stylisé du manga. Ensuite, la grande réussite du réalisateur est dans ses combats et ses scènes d’action. Le personnage de Kenshin est le dépositaire d’une technique de combat légendaire – le Hiten Mitsurugi – extrêmement rapide et surréaliste. La question de sa retranscription en live constituait donc la grande interrogation de cette adaptation, et OTOMO s’en tire à merveille. Kenshin virevolte entre les ennemis et utilise toutes les possibilités que lui offre les décors et les accessoires pour s’en défaire, sans que cela semble jamais ridicule.

Takeru SATO incarne Kenshin HIMURA

Takeru SATO incarne Kenshin HIMURA

Le personnage titre est incarné par Takeru SATO, qui avait collaboré avec OTOMO sur Ryomaden où il interprétait d’ailleurs déjà un assassin. OTOMO a d’ailleurs déclaré qu’il n’aurait probablement pas accepté de réaliser Kenshin si SATO n’avait pas été retenu pour le rôle. Et il faut bien admettre que c’est un choix fort payant, tant Takeru SATO incarne à merveille le personnage. Au delà de la ressemblance physique, il traduit parfaitement l’ambivalence du héro hanté par son passé d’assassin, à la fois doux et juvénile au quotidien mais aussi capable de se transformer en un combattant déterminé.

 

Un trop plein de personnages secondaires

Le personnage de Sanosuke reste peu développé.

Le personnage de Sanosuke reste peu développé.

Les autres acteurs s’en tirent plutôt bien, mais, et c’est là que le bas blesse, la durée limitée du film ne permet pas de développer l’histoire propre de leurs personnages suffisamment en profondeur pour que le spectateur s’y attache. C’est aussi bien vrai pour les acolytes de Kenshin (en particulier Yahiko et Sanosuke dont le background est tout simplement évacué) que pour ses adversaires. Et c’est fort dommage car l’un des points forts de Nobuhiro WATSUKI, auteur du manga original, est justement de conférer à ses personnages secondaires une réelle complexité et une ambivalence. Ici cela manque cruellement, et la plupart des opposants à Kenshin – notamment la troupe de mercenaires aux ordres de Kanryu – ne constitue qu’un enchaînement d’étapes obligées pour Kenshin et Sanosuke avant d’atteindre le grand méchant KANRYU (auquel Teruyuki KAGAWA donne une dimension cartoonesque très caricaturale mais somme toute assez jubilatoire) ainsi que l’assassin au chapeau noir Jin-e, ce dernier étant le seul à bénéficier d’un réel développement et d’un peu de profondeur psychologique.

Peut-être aurait-il mieux valu simplement ajouter moins de personnages ou bien les présenter dans les suites, au risque de décevoir les fans ?

Les scènes de combat sont une des réussites du film.

Les scènes de combat sont une des réussites du film.

 

Toujours est-il qu’en l’état, ce premier épisode des aventures de Kenshin au cinéma constitue une bonne introduction, efficace, bien réalisée et qui donne envie de découvrir les épisodes suivants qui, eux, s’attaquent à la pièce de résistance du manga : le combat contre SHISHIO, équivalent maléfique de Kenshin. Les fans du manga seront satisfaits et ceux qui recherche une bonne série B d’action pop y trouveront aussi leur compte. D’ailleurs, si l’on recherche une parenté avec un autre film du panthéon cinématographique japonais, c’est du côté du mythique Lady Snowblood qu’il faut se tourner. En effet, les deux œuvres ne sont pas sans points communs : 2 adaptations de manga placées dans le même contexte historique ayant pour héro un assassin légendaire. De là à voir en Kenshin une version jeunesse et tout public de Lady Snowblood, il n’y a qu’un pas qu’on se permettra de franchir.

La sortie des épisodes suivant est prévue pour l’été, sous forme de coffret, toujours chez HK et Métropolitan, et on l’attend avec impatience, d’autant plus que Metropolitan a soigné cette édition en prenant la peine d’y ajouter un petit making of, une attention toujours bienvenue !

 

Retrouvez nos 3 critiques de la trilogie Kenshin : 

I : Kenshin le Vagabond

II : Kyoto Inferno

III : La fin de la légende

 Kenshin le Vagabond est disponible en DVD et Blu-ray depuis le 20 avril 2016 chez Metropolitan Filmexport.

9 réponses

  1. Laure Ghilarducci dit :

    Tout à fait d’accord avec ta critique, j’avais également été agréablement surprise par la retranscription de l’univers, de l’ambiance etc., assez fidèle et sans tomber dans le ridicule. Les acteurs sont plutôt bons également, et c’est franchement bien filmé.
    Par contre, pour avoir vu la suite, c’est clairement la descente aux Enfers, j’ai été extrêmement déçue. L’alchimie du premier volet n’est plus là. Mais j’attends ta critique cet été pour développer mon propos.

  2. Lilly dit :

    C’est vraiment a couper le soufle j’adore toute est parfait

  1. 1 juillet 2016

    […] pas à aller voir la critique que nous vous proposons ici […]

  2. 30 août 2016

    […] y a quelques mois nous vous présentions le premier film de Kenshin le Vagabond, adaptation fidèle et dynamique du célèbre manga éponyme. C’est maintenant le second […]

  3. 1 octobre 2016

    […] – Kenshin le Vagabond: A l’aube d’une ère nouvelle, le légendaire tueur Battosai décide de se retirer. Dix ans plus tard, un homme doté d’une incroyable dextérité fait son apparition. Ce combattant hors pair qui se fait appeler Kenshin rôde tel un vagabond sur les routes du Japon. Armé d’un sabre dont la lame ne peut pas tuer, il tente de protéger un idéal dans une nation plongée dans le chaos…  Une critique du premier volet est également ici.  […]

  4. 30 octobre 2016

    […] I : Kenshin le Vagabond […]

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