Les spectres du J-Horror : l’émergence des légendes urbaines au cinéma japonais
Vers la fin des années 90, une rumeur court… Un film japonais au réalisateur inconnu connaît un succès phénoménal dans toute l’Asie. Avec Ring, non seulement Hideo NAKATA redonne aux kaidan-eiga leur gloire d’autrefois, mais il popularise les fantômes japonais jusqu’en Occident. Avec cette approche étrange du fantastique, il est à se demander à quel point les Japonais croient aux fantômes ? Afin d’être plus proches de leurs ancêtres, les cimetières japonais ne possèdent pas de murs et sont situés à l’intérieur des villes. L’été est la période du Obon – fête où ils honorent l’esprit des ancêtres. Et c’est lors des chaudes soirées d’été, qu’il est coutume de se raconter des histoires de revenants japonais, mais c’est aussi la date de sortie des films de kaidan…
Les spectres japonais ont dû abandonner leurs kimonos blancs traditionnels pour gagner le Japon contemporain et le monde entier. Après avoir hanté les plateaux de tournage des classiques du cinéma d’horreur nippon dans un article précédent, les yûrei continuent leur ascension dans la popularité ! Journal du Japon vous propose de continuer son aventure dans le temps en compagnie des spectres nippons !
Si les kaidan classiques évoluaient dans une atmosphère lente, fantomatique, voire onirique à une époque reculée, cela n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Le kaidan-eiga s’est transformé petit à petit, selon la culture et la nouvelle vision que les Japonais ont eu des histoires fantastiques. En effet, les kaidan ont toujours fait parti de leur culture, au même titre que les contes de fées chez nous mais les Japonais, eux, n’ont jamais cessé d’y croire, et leurs histoires de fantômes deviennent de plus en plus violentes et glauques. Là où, autrefois, il y avait de la poésie, il n’y a plus que du lugubre et ce sont les croyances locales, les faits divers, qui ont largement contribué à la (re)diffusion de ces nouvelles histoires.
Retour du Kaidan-Eiga et naissance des légendes urbaines
C’est dans les années 60 que la crise économique des principaux studios a entraîné la première Nouvelle Vague du cinéma japonais. Avec la concurrence qu’apporte l’arrivée de la télévision, les innovations cinématographiques ne suffisent plus. Afin d’attirer l’attention du public, de nouveaux genres sont donc créés : le « pink-eiga« , cinéma érotique mariant sexe et violence, le « yakuza-eiga » films de gangsters, et enfin le kaidan-eiga disparu presque totalement des écrans. On retiendra juste House (Hausu), le film d’horreur parodique de Nobuhiko OBAYASHI en 1977 (ci-contre), ainsi que le fameux L’empire de la passion en 1978 de Nagisa Oshima (ci-dessous).
La fin des années 70 vit aussi l’émergence d’un nouveau genre de kaidan : les toshi densetsu ou « légendes urbaines ». Ce sont des contes modernes incluant soit des faits fantastiques avec des créatures – type yôkai mais plus souvent les yûrei onryô – soit possédant aussi des éléments non-surnaturels comme des rumeurs de faits divers glauques. Et ce n’est pas ce qui manque, car ce genre d’histoires pullulent au Japon alimentant les croyances des Japonais pour les légendes en tous genres… Comme disait Jean Cocteau : « L’histoire est du vrai qui se déforme, la légende du faux qui s’incarne. » Ces légendes urbaines sont des croyances modernes qui se répandent en général de bouche à oreille, comme les contes il fut un temps. Ce sont des histoires qui auront marqué l’imaginaire collectif d’un lieu, et deviendront des légendes si elles se maintiennent dans les esprits pendant suffisamment d’années. Elles sont sont sans cesse recyclées et réadaptées à notre société et son époque. C’est pour cela que l’on peut apercevoir certains spectres des anciens kaidan arpenter les couloirs de notre modernité. Ces légendes urbaines sont reprises elles-aussi au cinéma, et c’est comme ça que le kaidan-eiga évolua en J-Horror.
Les légendes modernes sont souvent composées d’histoires d’écoles japonaises, et sont similaires aux contes de yôkai, incorporant des « morales d’avertissement » dans leurs histoires : ne brutaliser personne, ne pas rentrer trop tard seul la nuit et encore moins parler aux étrangers. Parmi les légendes urbaines japonaises il y a aussi de nombreuses créatures étranges en plus des spectres féminins. On retrouve des objets, les supports technologiques comme les téléphones ou les ordinateurs, les mélodies, les vidéos,… Par exemple il existe une célèbre publicité Kleenex sortie en 1986 qui fut un véritable phénomène de panique générale.
Il y a donc énormément de ces Toshi Densetsu, au même titre que les kaidan. Nous n’aborderons que les spectres féminins – descendantes des yûrei classiques – les plus connus de ces nouveaux kaidan…
C’est grâce à ces histoires qu’une seconde Nouvelle Vague du cinéma d’horreur japonais refait surface petit à petit et discrètement, avec de nouveaux réalisateurs ayant fait leurs débuts à la télévision. On retrouve principalement Norio TSURUTA, Kiyoshi KUROSAWA et Hideo NAKATA. Cette Nouvelle Vague, commence en 1991 par une anthologie de Norio TSURUTA : Histoires Vraies (Honto ni atta kowai hanashi), qui avaient dans le but de moderniser la figure du fantôme japonais grâce à ces nouveaux kaidan. Ces productions sont des films à sketches – composés de plusieurs courts-métrage (par exemple Kwaidan de Masaki KOBAYASHI en 1964 en est un) – et reprennent le principe des recueils de kaidan de l’époque Edo. Jusqu’à maintenant, il existe environ une quinzaine de ces films, dont l’un fut réalisé par Hideo NAKATA : Honto ni atta kowai hanashi : Jûshiryô en 1992. Jusqu’à l’an 2000, il n’y eut plus aucune production de ces « histoires vraies ». Puis Takashi SHIMIZU (The Grudge) en réalisa deux : Shin rei bideo : Honto ni kowai hanashi, et la vague des « Hontô ni atta kowai hanashi » repris de plus belle. Le dernier en date Honto ni atta kowai hanashi Summer Special 2015, a été réalisé par Norio TSURUTA, dont l’ombre plane sur presque tous les films Honto ni atta kowai hanashi depuis ses débuts en 1991. C’est une série de films diffusée chaque été depuis 15 ans pour les fêtes du Obon malgré la lourdeur des étés japonais. Le but de ces émissions est simple : raconter des histoires « vraies », censé renforcer l’impression de malaise. Des personnes envoient par courrier aux producteurs de l’émission leurs expériences étranges personnelles, et ces producteurs décident ensuite des histoires qui valent la peine d’être réalisées. C’est un choix d’y croire ou pas…
Hideo NAKATA, après s’être occupé de la réalisation de ces films à sketches, réalise en 1998 Ring, qui fut un véritable phénomène de société. Une journaliste va enquêter sur la mort étrange de plusieurs personnes ayant visionnés une cassette vidéo… Avec ce film, même si Nakata n’a rien inventé au cinéma de fantômes japonais, il redonne à ce genre une nouvelle vie. Tout en réutilisant la légende d’Oiwa, il modernise le kaidan-eiga en ajoutant la technologie des années 90 – la diffusion de la malédiction à travers une cassette vidéo et le téléphone – accompagné d’une musique angoissante qui nous met rapidement dans l’ambiance du film. La légende d’Oiwa étant un classique des contes japonais, a déjà été adapté de nombreuses fois au cinéma. Cela raconte l’histoire d’Iemon un samouraï pauvre qui décide d’empoisonner sa femme Oiwa afin de pouvoir se remarier avec une fille de famille riche. Oiwa défigurée par le poison se suicide et revient sous la forme d’un spectre afin de se venger… Si Nakata réutilise cette légende, il s’inspire néanmoins d’un roman pour la base de son film. Ring de Kôji SUZUKI dépeint la malédiction de Sadako aussi à travers une cassette vidéo tout en la mettant en relation avec un virus. Il allie ainsi avec virtuosité tradition et modernité, en mettant en scène une histoire fantastique d’une époque classique dans un contexte moderne. A sa sortie, ce film connaît un succès immédiat dans le monde entier. Les Japonais – friands de légendes urbaines – commencent même à faire circuler des rumeurs concernant Sadako : on apercevrai le vrai visage du spectre dans un reflet sur la fenêtre à 33min23sec du film… Une suite aux deux films américain devrait voir le jour cette année le 9 novembre nommé The Ring 3 ou Rings et réalisé par F. Javier Gutiérrez. L’histoire se passera 13 ans après les derniers évènements du The Ring 2 américain…
Un peu à la manière des séries à sketches américaines comme la 4ème Dimension en 1959, Au delà-du réel en 1963 et les Contes de la Crypte en 1989, sauf que les histoires japonaises sont censées être réelles… Cette série n’est pas la seule comme ça, il en existe de nombreuses autres ! Comme le drama Damned Files qui débuta en 2003 par exemple.
De cette deuxième Nouvelle Vague on peut aussi retenir les films de Shinya TSUKAMOTO, qui même s’ils n’arrivent que plus tard n’en reste pas moins dans la lignée. On peut noter Marebito sorti en 2004 dans lequel il a joué. Réalisé par Takashi SHIMIZU en 8 jours entre deux The Grudge, il raconte l’histoire de Masuoka (Shinya TSUKAMOTO), qui fasciné par tout ce qui est lié à la peur va enquêter sur le suicide d’un homme dont le visage était pétrifié de terreur. Et c’est avec sa caméra que ses recherches vont le mener dans un monde souterrain où d’étranges créatures vivent. Il y trouve une jeune fille enchaînée – nommée F – qu’il va ramener chez lui… La problématique principale de ce film est : « qu’est ce qui peut nous faire peur au point de vouloir trouver la mort ? ». La différence avec un film de fantôme ici, c’est que Shimizu a voulu mélanger tous les thèmes qui lui sont chers : la peur dans les histoires de fantômes transposé dans un monde souterrain peuplé de créatures d’inspiration Lovecraftienne… On a donc un film sans genre propre a Shimizu dans la lignée des kaidan-eiga, qui reçu en 2005 le Corbeau d’Or du meilleur film lors du Festival Fantastique de Bruxelles.
Quelques Légendes Urbaines japonaises célèbres au cinéma….
L’histoire de Kuchisake-Onna viendrait à la base de la période Heian (794-1185), où une belle femme trompa son mari. Pour la punir il lui trancha la bouche – à la manière du sourire du Joker – en lui disant « Et maintenant qui te trouveras belle ?« . Si ce kaidan eu du succès autrefois c’est à cause de son caractère moral : ne pas sortir seul la nuit. Étrangement c’est lorsque le spectre de la jeune femme refait surface au début des années 70 que l’histoire prend un tournant glauque. Avec l’apparition d’une femme à la bouche tordue qui attendait les enfants à la sortie de l’école pour les terroriser. Cette femme fut percutée par une voiture, et c’est peu de temps après que la légende de son spectre revenu hanter le Japon émergea. On raconte qu’elle apparaît aux personnes seules dehors la nuit. Elle porte un masque de chirurgien, et avec ses ciseaux menaçants dans les mains, elle pose la question fatidique : « Est-ce que tu me trouves belle ?« . Si l’on répond « non« , elle nous tuera ou du moins nous fera le même sourire qu’elle. Si l’on répond « oui« , elle enlèvera son masque révélant son visage défiguré, et nous demandera alors : « Et maintenant ?« , et si on lui répond « non » elle nous tuera quand même, et « oui » ne nous tire pas encore d’affaire, car elle nous poursuivra pour nous tuer jusque chez nous s’il le faut. Le seul véritable moyen de s’en sortir et de la prendre au dépourvu. Il faut lui répondre « oui » à la première question, et lui répondre quelque chose du style « plus ou moins » à la seconde, ce qui aura pour effet de la rendre confuse, réfléchissant à comment répondre.
Cette légende ne s’arrête pas là, quand au début des années 2000, elle refait surface, mais cette fois la manière d’en réchapper est plus simple, il suffit de lui dire que l’on a un rendez-vous. Elle s’excusera alors pour ses manières et s’en ira… Le plus intéressant dans cette histoire, ce sont les répercussions qu’elle eut sur la société japonaise. C’est lorsqu’elle atteint son apogée dans les années 70 qu’elle se transforma en psychose collective au sein des communautés japonaises, où la rumeur était lancée. Les enfants refusaient de sortir de chez eux, et il leur était demandé de rentrer de l’école en groupe. Les adultes commençaient à douter de la fiction de cette histoire. Il aura fallu attendre 20 ans pour que la paranoïa se calme et que Kuchisake-Onna soit enfin reconnue comme une légende urbaine. La base de l’histoire a été réutilisée dans un manga en 2 tomes de Kanako INUKI, Kuchisake Onna Densetsu en 1995 où la femme défigurée tue des enfants dans le but de retrouver sa propre fille. Au cinéma elle sera adaptée en 1996 par Teruyoshi ISHII, parmi tant d’autres mais on la retiendra dans Carved : The slit-mouthed woman de Kôji SHIRAISHI en 2007, et sa suite en 2008 Carved : A Slit-Mouthed Woman de Kotaro TERAUCHI.
Elle aussi fait parti de ces spectres nippons repris par les américains… dans Slit Woman in L.A. en 2014. Récemment on aura aperçu le spectre de cette femme dans l’épisode 5 « Danse Vaudou » de la série américaine de 2014 Constantine – tiré de Hellblazer bande-dessinée des célèbres DC Comics – où un des personnages principaux se retrouve face à face avec elle. Il s’en sortira indemne en lui demandant si elle le trouve beau.
La seconde légende urbaine débutant peu après cette époque, est celle de Hanako-chan le fantôme des toilettes. Ces origines remonteraient à la Seconde Guerre mondiale, où une petite fille jouant à cache-cache avec ses amis, se serait dissimulée dans des toilettes et y mourut à cause d’un bombardement. Il existe d’autres versions, mais celle-ci est la plus connue. La légende nous dit qu’Hanako apparaîtra au 3ème toilette du 3ème étage des toilettes des filles, seulement et si on la provoque. Si on se place devant le miroir de ces toilettes, en prononçant 3 fois « Hanako-Chan« , elle se matérialisera derrière nous et nous emportera avec elle dans les toilettes. Si par contre on veut utiliser les toilettes du spectre, on devra frapper 3 fois à a porte en demandant à chaque fois « Est-ce que tu y es Hanako-chan ?« , et si elle nous répond « oui j’y suis« , il ne vaut mieux pas entrer ! Cette histoire n’est pas sans nous rappeler la légende urbaine occidentale de Bloody Mary. Célèbre dans les années 80, c’est la période où de nombreuses personnes disparurent, ce qui ne fit que renforcer sa légende. Au Japon, à cause du concept de la « souillure » (article précédent), de nombreuses choses sont considérées comme « sales », « impures ». Les toilettes des écoles sont donc considérées comme telles, ce qui pourrait expliquer l’existence du mythe de Hanako.
Cette légende fut adaptée 5 fois au cinéma. La 1ère version date de 1995, est de Jôji MATSUOKA et est nommée Hanako des Toilettes (Toire no Hanako-san), et nous raconte l’histoire de Takuya lycéen dont les camarades de classe pensent que la nouvelle élève Saeko est possédée par l’esprit des toilettes Hanako. Ensuite on a Toire no Hanako-san : Kieta shoujo no himitsu de Sasaki MISATO en 1997, qui est en fait une suite au film de 1995. Puis nous avons Toire no Hanako-san : Kyôfu Kôsha, la même année toujours par Sasaki MISATO. La 4ème version de 1998, Shinsei toire no Hanako-chan de Yukihiro TSUTSUMI, se concentre sur un groupe de lycéenne relâchant par inadvertance l’esprit d’une poupée démoniaque d’un autel Shintô. Cette version est différente des autres, car elle dépeint cette légende à travers la religion du shintoïsme. Et c’est plus récemment que nous avons vu Toire no Hanako-san : Shin Gekijôban en 2013 de Masafumi YAMADA. La nouvelle amie de Sayo – Maho – est brutalisée par ses camarades de classe, et n’ose pas aller l’aider. Elle retrouvera bientôt le cadavre de son amie dans les toilettes de l’école. Ce film est une nouvelle version des classiques des années 90. Les Japonais désiraient redonner du succès à cette légende. Hanako-chan inspira aussi le manga, dans Hanako et autres légendes urbaines (Hanako to Guwa no Tera) de Sakae ESUN sorti en 2004 chez les éditions Casterman dans la collection manga « Sakka ». On la retrouvera également dans quelques jeux-vidéos en tant que cartes à collectionner dans la série des jeux Touhou Project sorti en 1998. La célèbre romancière JK Rowling s’inspira notamment de cette légende pour la création du personnage de Mimi Geignarde dans son œuvre Harry Potter.
Dans les kaidan classique, on dit qu’une mort terrible transforme l’esprit de la personne en esprit vengeur. L’âme d’une jeune fille en détresse s’étant suicidée deviendra donc un yûrei. C’est comme ça que la légende de Teke Teke est naît. Un soir, une jeune fille se jeta sous les rames d’un métro et fut coupée en deux. La légende raconte que le spectre vengeur de sa moitié supérieure erre pour retrouver ses jambes et poursuit toute personne qui la croise. Son nom vient du bruit de ses ongles lorsqu’elle se tracte sur le sol pour se déplacer… Ainsi le yûrei de la femme-tronc dont la légende a été reprise par Kôji SHIRAISHI en 2009 dans TekeTeke et dont la suite TekeTeke 2 nous raconte les origines du monstre, remonteraient à une autre légende urbaine similaire : Kashima Reiko. Ce film raconte l’histoire d’une jeune fille qui va visiter l’endroit où son amie est morte et va prendre contact avec son spectre transformé en Teke Teke. Mais elle doit s’échapper car celle-ci la poursuit dans le but de la tuer. Dans la suite, l’héroïne recherche les origines du monstre afin de s’en débarrasser. TekeTeke 2 reprend la légende de Kashima Reiko, le yûrei d’une femme torturée et violée dans des toilettes publiques et qui aurait rampé pour s’échapper et se serait faite couper en 2 par un train… Depuis son yûrei erre dans les salles de bains ou les toilettes à la recherche de ses jambes. La légende dit aussi que ce yûrei apparaîtra aux personnes dans le mois une fois informés de la légende !
Avant ces deux films, Shiraishi avait fait plusieurs films intéressants comme l’excellent Dead Girl Walking (Kaikin! Shinin Shoujo) sorti en 2004, ainsi que le terrifiant La Malédiction (Noroi) en 2005, et Carved en 2008. Ils ont été chercher un yûrei méconnu afin de relancer le cinéma d’horreur japonais, car depuis 2003 ce sont les américains qui sont de retour sur la scène principale du cinéma d’horreur, avec leur remake de Ring. L’année 2008 marque l’année de la grande crise économique mondiale, et en manque de moyens Shiraishi est obligé de se tourner vers le V-Cinéma. Le V-Cinéma au Japon est ce qu’on appelle chez nous le DTV : « Direct to Video ». Aussi appelés « videofilm », ce sont les films directement sorti sur support vidéo après leur production sans passer par les salles de cinéma. Si en Occident on aurait tendance à qualifier ce genre de films comme du cinéma « bas de gamme » ou de « second marché », ce n’est pas le cas au Japon. Les œuvres V-Cinéma au Japon restent un riche terrain d’expérimentation encore en exploitation, dans lesquels des grands noms ont travaillés et travaillent encore, comme Takashi MIIKE par exemple. Ainsi TekeTeke marque le début du V-Cinéma pour le cinéaste Kôji SHIRAISHI.
Il ne faut pas oublier le très intéressant Tomie sorti pendant le début de l’âge d’or du cinéma d’horreur japonais en 1999 réalisé par Ataru OIKAWA. Tiré du manga éponyme de l’auteur Junji Ito de 1987, il y eut plus de 10 adaptations cinématographique. Un détective est sur les traces d’une jeune fille : Tomie, dont la particularité est un son grain de beauté sous l’œil gauche. La rumeur voudrait que cette dernière soit décédée, mais pourtant partout ou elle passe elle laisse une trainée de cadavres. La création de Tomie au cinéma, a aussi été créée dans le but d’apporter du sang frais au cinéma d’horreur japonais, et de tourner définitivement le dos aux spectres du cinéma classique. Ainsi on pourrait comparer Tomie à un yûrei des temps modernes. Ce qui est intéressant avec ce personnage, c’est qu’elle possède un destin tragique, une sorte de malédiction à cause de laquelle elle ne peut pas mourir, car elle revient sans cesse à la vie… On peut aussi citer la version de 2001 de Takashi SHIMIZU Tomie: Re-birth, où un groupe d’amis aura beau assassiner Tomie plusieurs fois et de diverses manières plus ou moins originales, elle reviendra toujours à la vie… A cette époque SHIMIZU n’est pas encore très connu mais se charge déjà des premiers Ju-On. Tomie: Forbidden Fruit, de Shun NAKAHARA sorti en 2002, raconte la même histoire mais la place dans un contexte drame familial et social qui donne à ce film un aspect plus original que les autres version de Tomie n’ont pas. On a cependant en 2011 Tomie: Unlimited de Noboru IGUCHI, où une famille à du mal à faire le deuil de leur fille Tomie morte empalée. Jusqu’au jour où elle réapparaît bien vivante ! Ici encore il s’agit de la belle Tomie qui ne peut pas mourir. Ce film est considéré comme la meilleur version de Tomie ayant vu le jour au cinéma. Le Journal du Japon vous en dit plus sur ce film dans une chronique cinéma précédente.
Enfin, si ces films ont eu du succès, on n’en note pas moins que pendant les années 2000, le cinéma d’horreur japonais souffrit. Le public se fatiguait des clichés du cinéma d’horreur avec le spectre vengeur typique : féminin, habillée de blanc, aux longs cheveux noirs et semblant trempée. Et ce n’est qu’en 2002 que le réalisateur américain des Pirates des Caraïbes – Gore Verbinsky – fut chargé du remake de Ring de Hideo NAKATA appelé Le Cercle (The Ring) chez nous, qui devint un blockbuster international. C’est comme ça que le genre du Kaidan-Eiga renaît de ses cendre pour se transformer en J-Horror. Pour relancer la vague des spectres, les Japonais remettent en scène les plus célèbres revenants vengeurs du cinéma d’horreur japonais contemporain. Dans la lignée des films cross-over dont les américains sont friands, avec Freddy vs Jason en 2003 par exemple, les Japonais décidèrent eux-aussi de faire se rencontrer leurs monstres. Au Japon c’est de l’époque des films de monstres « Kaijû-Eiga« , que ce genre est né avec des films comme King Kong vs Godzilla en 1962 de Ishirô HONDA par exemple, tout premier film Godzilla en couleur. Et c’est en 2011 que Nagaoka HISAAKI fut désigné pour réaliser Hikiko-san vs Kuchisake-Onna, où les deux célèbres monstres féminins se « rencontrent ». La légende de Hikiko-san est une jeune fille qui s’est faite torturée et violée et laissée à l’abandon. Devenue folle, elle erre à la recherche de ses victimes… Ce film raconte l’histoire de deux jeunes filles qui se réveillent après une dizaine d’années de coma, et l’une d’elle prétendra s’être faite attaquer par Hikiko-san. Sa plus grande peur est que sa tortionnaire ne revienne la hanter. Une infirmière s’occupera – non loin de l’hôpital – d’une patiente mystérieuse : Kuchisake-Onna ! Nagaoka HISAAKI s’occupera donc des films cross-over qui s’ensuivront, tels que : Hikiko-san vs Kokkuri-san en 2012, et Hikiko-san vs Sadako en 2015. Ce sont des films qui sont produits pour le V-Cinéma, et qui sont souvent associés à de la série Z : de mauvaise qualité et ayant l’air bon marché… Il semble que cela plaise aux Japonais, puisque cette année encore il en sort un nouveau : Sadako vs Kayako de Kôji SHIRAISHI, qui s’affronteront le 6 juin dans les écrans Japonais !
Quelques célèbres remake occidentaux…
La sortie du film Ring de NAKATA Hideo en 1998, inspiré d’un ancien conte de revenant japonais Yotsuya-kaidan : L’histoire d’Oiwa-san ainsi que du roman de Kôji SUZUKI Ring : Double Hélice en 1991, devient un véritable phénomène de société et remet au goût du jour les spectres japonais. Depuis toujours célèbres sur l’archipel nippon, les films de revenants traversèrent les océans pour atteindre l’occident. C’est ainsi que certains cinéastes inspirés par le cinéma japonais, utilisent des éléments de ce cinéma exotique pour leurs œuvres.
Gore Verbinski est donc chargé de réaliser le remake de Ring : Le Cercle (The Ring) sorti en 2002. Ce film connait un grand succès aux États-Unis, et la production demande cette fois au réalisateur d’origine – Hideo NAKATA – de prendre la suite. Nakata y raconte l’histoire d’une légende urbaine : celle d’une cassette vidéo maudite qui provoquerait la mort des personnes 7 jours après l’avoir visionnée. Une journaliste mènera l’enquête… La version américaine – à quelques détails près – est identique à la japonaise. Il s’agit de ce remake qui enclencha tous les autres qui suivirent à la suite, parmi lesquels figurent Dark Water du même réalisateur, The Grudge de Takashi SHIMIZU, La mort en ligne de Takashi MIIKE.
Pour terminer, nous parlerons de la série des The Grudge, au Japon : Ju-On. Série réalisée par Takashi SHIMIZU, il s’agit d’une franchise de plus de 11 films commencée en 2002 ! Dont le dernier sera Sadako vs Kayako en juin prochain. Cependant si Shimizu a commencé la série, il a arrêté en 2006 avec The Grudge 2. Les autres films ne seront pas de sa patte. Toujours dans la vague de Ring, The Grudge connaîtra le même engouement et sera lui aussi repris par les américains. Mais ce sera aussi Shimizu qui réalisera le remake américain sorti en 2004. Cette histoire raconte qu’il y a quelques années Taeko SAEKI après avoir découvert qu’elle le trompait, assassina sa femme Kayako, leur fils Toshio et leur chat. Ce terrible meurtre déclencha une malédiction qui transforma Kayako et son fils en onryô – spectres vengeurs – et le chat en bakeneko – démon félin. Après avoir tué Taeko, les fantômes maudits restèrent à hanter leur maison à Tôkyô et terrorisent toute personne l’habitant…
L’ampleur du phénomène se signale non-seulement par un remake de Ring aux États-Unis mais aussi en Corée du Sud avec Ring Virus en 1999 par Kim Dong-Bin qui bien qu’il reprenne les ficelles du film de Nakata, s’inspire surtout du côté pseudo science fiction du livre de Kôji SUZUKI. Cependant, Ring Virus n’est pas simplement un remake. A cette époque la Corée interdisait tout produit japonais, et le cinéma en faisait parti. Les Coréens ont dû réaliser leur propre Ring afin de pouvoir aussi en profiter. On remarque ainsi une prolifération de films de revenants vengeurs en Asie, comme en Thaïlande par exemple avec l’excellent Shutter de 2004 des réalisateurs Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom, dont il existe aussi un remake nippo-américain…
Ainsi on remarque que le cinéma japonais qui a le plus de succès, est celui peuplé de spectres féminins vengeurs. Ces revenants nous lancent des malédictions à l’aide d’objets que nous côtoyons tous les jours. Ceux que l’on retrouve le plus, sont au final les supports technologiques tels que : les cassettes vidéos, les bandes son, les téléphones portables, internet, les publicités,… Les cinéastes puisèrent aussi leurs idées dans des formes populaires de fantastique comme les photographies de fantômes publiées dans des magazines à sensation dont découla ensuite les « nensha » et les émissions reconstituant des phénomènes inexpliqués. C’est avec ce regain d’intérêt que Ring est né de la plume de l’auteur Kôji SUZUKI, inspiré de faits réels et d’un ancien kaidan. Ces nouveaux kaidan prennent en quelque sorte la suite des kaidan classiques, donnant un souffle neuf au cinéma d’horreur japonais. Le Japon connu pour être le berceau de la technologie – censée éloigner les Japonais de leurs traditions mais surtout de leur folklore – ne les protège absolument pas des esprits qui s’en servent à nos dépends…
Glossaire :
- Kaidan : contes de fantômes japonais
- Kaidan-Eiga : films de contes de fantômes japonais
- Yôkai : monstres du folklore japonais
- Yûrei : spectres féminins vengeurs du folklore japonais
- Onryô : esprits vengeurs du folklore japonais (les yûrei sont des Onryô)
- Toshi Densetsu : légendes urbaines japonaises
Et pour ceux qui en voudrait toujours plus, voici notre playlist You Tube dédiée au cinéma d’horreur japonais
Retrouvez tous nos articles sur le Japon hanté :
Kaidan : Les mystérieux contes de fantômes japonais
Kaidan-Eiga : L’arrivée des spectres nippon sur grand écran !
Survival-Horror : Quand la peur s’incruste dans le jeu vidéo !
Shinrei-Spot : Testez votre courage avec les lieux hantés du Japon !
Shinrei-Spot, épisode 2 : le retour des spectres dans les lieux hantés de Tôkyô
Nensha & Noroi : Quand les spectres utilisent les médias !
Spectres et fantômes : Les yûrei au masculin !
8 réponses
[…] Les spectres du J-Horror : l’émergence des légendes urbaines au cinéma japonais […]
[…] Les spectres du J-Horror : l’émergence des légendes urbaines au cinéma japonais […]
[…] Les spectres du J-Horror : L’émergence des légendes urbaines dans le cinéma japonais […]
[…] Les spectres du J-Horror : L’émergence des légendes urbaines dans le cinéma japonais […]
[…] urbaine. Il prend le dessus sur la réalité, créant parfois des effets de panique collective comme la légende urbaine de Kuchisake-Onna. Suicide Club est un film difficile à interpréter, comme Kuroda dans l’histoire qui ne […]
[…] Les spectres du J-Horror : L’émergence des légendes urbaines dans le cinéma japonais […]
[…] Les spectres du J-Horror : l’émergence des légendes urbaines au cinéma japonais […]
[…] qui tuent – que Sion SONO bâtit son film, poussant ainsi au bout du bout le concept de la J-horror (après les cassettes vidéos et les téléphones portables hantés, les cheveux possédés !). Il […]