[Bilan Manga 2015] Editeurs de premier plan : un marché… compétitif !
Impossible de passer à coté de l’actualité éditoriale en cette année 2015, extrêmement riche, qui résonne avec quelques évolutions de fond du marché français du manga, pour une compétition accrue entre les éditeurs historiques et des challengers qui sont désormais dans leur rétroviseur.
Retour sur une année mouvementée chez les leaders du marché…
Lorsque, il y a quelques mois, Ki-oon publie une annonce pour recruter une personne qui serait en charge de leur nouvelle antenne au Japon, il ne se doutait sans doute pas du jeu de chaises musicales qu’il allait provoquer. Kim Bedenne (ci-contre), responsable éditoriale chez Pika depuis 2012, saute sur l’occasion, laissant son poste vacant. Plusieurs directeurs éditoriaux postulent, mais c’est Medhi Benrabah, alors directeur éditorial chez Kazé depuis fin 2013, qui remporte la mise. Stéphane Ferrand, de son coté, décide de ne plus rester à la tête de Glénat Manga et tire sa révérence. C’est Satoko Inaba, présent chez l’éditeur depuis sept ans et assistance éditoriale depuis deux ans, qui le remplace.
Reste la question de la direction de l’éditeur Kazé. Après quelques mois dans l’incertitude Kazé Manga annonce l’arrivée de Pierre Valls, une surprise puisque ce dernier était passé de chez Pika, qu’il avait créé, au poste d’éditeur chez Delcourt Manga, après le départ d’Akata en 2013. Chez Delcourt, depuis, pas d’information sur un nouveau directeur éditorial mais des rumeurs de promotion interne sont évoquées…
Cette valse des éditeurs, même si elle doit beaucoup à une part de hasard ou à des raisons personnelles, se fait aussi l’écho de quelques déceptions. Comme pour corroborer ces dernières, c’est une autre valse qui va se produire fin 2016, avec les éditions Shueisha à la manœuvre. Le plus grand pourvoyeur de blockbusters de manga, en France comme au Japon, décide de rabattre une partie des cartes en ne confiant pas aux éditeurs historiques plusieurs de leurs futurs hits : One-Punch Man arrive chez Kurokawa alors qu’on aurait pu l’attendre chez Glénat qui avait édité Eye Shield 21, My Hero Academia sera publié chez Ki-oon alors que ce « futur Naruto » était envisagé chez Kana, idem pour Platinum End, le nouveau Ohba / Obata, qui n’est même pas ouvert à la compétition et qui file directement dans les mains de Kazé Manga. Pour finir ce tableau, Ugly Princess, le nouveau manga de l’auteur de Natsumi AIDA, n’ira pas chez Delcourt mais chez celui qui avait remporté le culte Switch Girl à l’époque : Akata !
Quels ont été les stratégies éditoriales en 2015 et que vont-elles devenir ? Quel est désormais l’équilibre des forces, coté production ou coté vente, sur le marché français pour 2015 ? Quid années à venir ? Regardons ça de plus près, avec le témoignage de plusieurs éditeurs pour compléter les chiffres !
Des histoires d’éditeurs historiques…
Pour commencer, voici la répartition des parts de marché des éditeurs, en volume de vente, basée sur les chiffres GfK.
Pour peu que vous suiviez ce top depuis longtemps, les variations de parts de marché d’une année sur l’autre ne semblent guère significatives… Aussi est-il bon d’observer le tout avec un peu plus de recul : voici ce même graphique, mais pour l’année 2010.
En 2010 Glénat, Kana et Pika représentait à eux trois 60% des ventes : cela reste vrai en 2015, avec plus de 7 millions de mangas vendus à eu 3, mais le rapport des forces entre les trois leaders a bien changé.
Glénat occupe la première place depuis 2011 et l’explosion de One Piece. En 2015, le succès de Tokyo Ghoul et le bon démarrage d’Ajin lui permet même d’afficher une progression de 4% en volume de vente, soit environ 23% de part de marché et un peu moins de 3 millions de manga vendus. Une hausse de 4% à relativiser par rapport à une hausse de 13% de nombre de volumes sortis : 123 contre 109 l’an dernier selon l’ACBD.
Le recul de One Piece est assez logique, avec le temps, mais le départ de Stéphane Ferrand est aussi concomitant à quelques échecs… Il y a la collection érotique qui n’a pas réussi à relever le défi que constituait Nozokiana des éditions Kurokawa. Même constat pour la collection vintage, enterrée en toute discrétion cette année. Si on ajoute quelques déceptions des ventes sur les sympathiques Kokkoku, Jabberwocky et Crueler Than Dead dont nous avions rencontré les mangakas passionnés de zombies à Japan Expo, et enfin une absence de nouveautés shôjo, le catalogue du leader du marché est donc en partie à reconstruire, surtout avec le glissement d’un Dragon Ball, d’un Chi et d’un Gouttes de Dieu vers les fonds des classements. A eux deux, One Piece et Tokyo Ghoul représente plus de 50% des ventes de l’éditeur, c’est dire la dépendance de l’éditeur à ses blockbusters… Bon courage à Satoko Inaba, qui ne devrait pas chômer dans les années à venir… On a hâte de lire ses premières interviews sur la toile et on se félicite, enfin, de l’arrivée de l’éditeur sur le réseau social Facebook.
Ensuite il y a Pika, qui fait partie des gros éditeurs en forme de ces dernières années. En 2010 il occupait environ 15% en part de marché : il en détient désormais un peu plus de 20 % selon GfK. A préciser tout de même : avec la baisse des ventes, cette variation correspond en fait à un nombre d’exemplaires vendus relativement stable entre 2 et 2.5 millions d’exemplaires. Mais, tout de même, sa bonne tenue est incontestable : après avoir dépassé Kana en 2014, il talonne désormais Glénat. L’attaque des Titans et ses spin-off, Seven Deadly Sins (et son spin off aussi, annoncé il y a peu) ou Area D et Noragami dans une moindre mesure constituent une belle liste de best et de middle-sellers à mettre au compte de l’éditeur ces dernières années. Tout comme Glénat il est lui aussi dépendant de ces blockbusters, plus de la moitié des ventes étant réalisés par Fairy Tail et L’attaque des Titans voir 60% si on prend en compte les différentes éditions et spin-off de ces licences phares.
Coté politique éditoriale l’ambition du label du groupe Hachette est clair : devenir numéro un en part marché, quitte à multiplier les sorties : avec 186 nouveautés Pika est le plus gros pourvoyeur de mangas en 2015, publiant plus d’un manga sur 10. Néanmoins, Medhi Benrabah, habitué aux sorties en masse chez Kazé, ne sera pas dépaysé. Seul écueil de la méthode : dans la profusion, les titres peu soutenus à leur lancement vivent ensuite difficilement au sein de ce catalogue plein de succès, et Pika ralentit alors leur publication, provocant parfois l’ire de son lectorat. La bonne nouvelle c’est qu’une majorité des lancements 2015 semblent, eux, sur de bons rails.
Le trio de tête s’achève avec Kana. Le label de Media Participations représentait 23 % de part de marché en 2010 contre 16 % en 2015, soit un tiers de moins sur la période. La baisse de cette année n’est en comparaison pas dramatique avec un recul de 2.7% de son volume de vente selon GfK. Derrière le ralentissement et la prochaine fin de Naruto, la bonne forme d’Assassination Classroom ou de Black Butler tout comme la longévité exceptionnelle de Death Note sont des bons points, même si la fin d’Assassination Clasroom est désormais annoncée au Japon courant 2016. Le désir de mise en concurrence de la Shueisha entre les différents intervenants corse forcément les choses pour Kana, qui avait un lien historique avec l’éditeur nippon, et on peut envisager quelques années difficiles.
Christel Hoolans, éditeur chez Kana, est revenu sur cette nouvelle compétition qui se confirme entre les éditeurs français, dans une interview à paraître sur Paoru.fr : « Pour One-Punch Man et My Hero Academia je sais que la compétition a été forte et je sais qu’en face de nous nous avions des concurrents qui ont fait des offres vraiment très hautes. Donc c’est le principe de la compétition. Même si pour One-Punch Man ce choix fait par la Shueisha de prendre un challenger aux partenaires historiques a été le même dans le monde entier, ce qui montre – enfin ce n’est qu’une analyse personnelle – qu’il y a une volonté de challenger les éditeurs entre eux, de donner une opportunité à certains bons compétiteurs, de faire un test.
La compétition était donc énorme. Après les éditeurs qui l’ont eu sont de très bons éditeurs de mangas donc tant mieux pour eux bien sûr ! C’est bien en tout cas que le marché acquiert de si bons titres, ça va forcément le redynamiser et ça va faire bouger les choses. C’est juste dommage qu’ils ne soient pas chez Kana. (Rires)
[…] Évidemment nous nous sommes posés plein de questions, ça a été un échec pour nous… Nous avons donc fait notre « examen de conscience » en quelque sorte. (Rires) Nous sommes allés les revoir, nous leur avons posé plein de questions et nous nous sommes interrogés sur notre manière de faire… mais toutes les conclusions que nous pouvons en tirer sont très théoriques. De toute façon ça faisait un moment que nous avions commencé à nous réorganiser pour faire évoluer des choses chez Kana. Nous en avons tiré des leçons. Pour autant je ne pense pas que nous ayons de problèmes avec la Shueisha, car le fait est que cet éditeur a acheté Kazé Manga donc pour Platinum End ce n’est pas une surprise, on s’attendait à ce que les gros titres aillent chez eux. Malgré ça nous avons quand même pu acquérir Assassination Clasroom et nous avions la chance d’avoir encore Naruto aussi. Donc quand tu es un éditeur japonais tu ne vas pas non plus mettre tous tes œufs dans le même panier. Ce n’est donc pas totalement anormal ce qui arrive avec One-Punch Man ou My Hero Academia. »
Kana apprend donc à faire avec cette nouvelle donne, en diminuant doucement son nombre de sortie (de 170 en 2012 à 151 en 2015) mais aussi en tentant des choses : faire de certains shônens au moins des middle-sellers grâce à une adaptation animée, par exemple. La 16e place de Seraph of the End ou la 33e de Kill la Kill dans le classement des tomes 1 de 2015 démontrent que la façon de faire reste encore à affiner, mais a son potentiel.
En 2015 Kana a aussi laissé beaucoup de force dans le développement de la publication numérique de leurs œuvres, surmontant une cohorte de problèmes aussi bien techniques que contractuelles avec les éditeurs japonais, tout en continuant de faire des essais sur le marché de la création de manga. Après Save me Pythie en 2014, Toys of Wars persiste dans ce domaine mais essuie un échec cette année, malgré la présence des auteurs sur Japan Expo. Enfin les collections Made in et Sensei connaissent elles aussi des difficultés sur le plan commercial, même si l’accueil est bien meilleur sur le plan critique, avec Levius notamment, plébiscité.
Vous l’aurez compris Kana cherche, et ce depuis plusieurs années, la bonne formule. Se montrant volontaire, Christel Hoolans s’explique sur les problématiques et priorités de l’éditeur : « Je pense que nous avons fait le tour des anciennes séries et du fond de catalogue du marché japonais […] Donc maintenant il va s’agir d’un travail de fond pour installer ces anciens titres, ces classiques qui sont très bons mais aujourd’hui un peu oubliés. Nous avons essayé plein de choses mais nous n’avons pas encore trouvé comment faire. C’est un aspect qu’il faut creuser.
Ensuite il faut continuer de bien travailler les nouvelles licences, et l’émulation que nous avons évoquée avec les autres éditeurs nous y pousse. Il ne faut surtout pas t’endormir sur tes lauriers même si tu fais beaucoup de chiffres et que tout se passe bien pour toi. Il faut rester sur le qui-vive.
Enfin nous voulons continuer de développer la création, même si nous n’avons pas l’intention d’en faire 50% de notre catalogue, mais plutôt de continuer ce que nous faisions depuis la naissance de Kana. Nous avons eu des bonnes surprises ces dernières années comme Une vie chinoise de Kunwu LI qui s’est très bien vendu et que nous avons pu publier dans 12 langues, il y a des titres comme Save me pythie que j’ai pu vendre au Japon : ce sont des chouettes expériences qui nous amènent vers d’autres choses et nous ouvrent d’autres perspectives.
Nous expérimentons donc d’autres pistes à côté de l’achat de licence qui reste, en tout cas chez Kana, une grosse partie du catalogue… et qui va le rester a priori, même si, avec moins de titres disponibles que par le passé au Japon il y aura – et il y a déjà – beaucoup plus de compétition ! (Rires) »
Les nouveaux challengers : bientôt des leaders ?
Progressant au même rythme que les ventes de manga en 2015 Ki-oon affiche donc une part de marché stable à 8.5 % en volume de ventes. Si on fait, là aussi, la comparaison avec 2010, l’éditeur indépendant a quasiment doublé sa part de marché qui était alors aux alentours de 4.5% et il est rentré pour la première fois dans le club des millionnaires d’après GfK, en vendant 1.06 million de mangas en 2015, tout en conservant un nombre stable de titres publiés, aux alentours de 110.
De par ses succès, il est parfois assimilé à un éditeur de « thriller pour ado » mais ça n’inquiète pas plus que Ahmed Agne, directeur éditorial de Ki-oon lorsque l’on évoque le cas des manga survival: « Quand tu as une thématique qui marche ça définit forcément un peu ton image. Du coup le raccourci est facile alors que le survival chez Ki-oon c’est 8 titres publiés en 9 ans dans un catalogue qui compte plus de 140 séries. Donc c’est au contraire un genre très peu représenté dans notre catalogue par rapport au succès qu’il rencontre en France. On pourrait au contraire faire dans la facilité et en sortir 5, 6 par an, mais c’est un choix que je me suis refusé à faire. Du coup, aujourd’hui Ki-oon est loin d’être l’éditeur le plus prolifique en la matière. Il y a beaucoup plus de survivals sortis chez nos concurrents en 2015 mais comme ils n’ont pas fonctionné, on n’en a pas parlé plus que ça.
Bref, c’est la rançon du succès, ce n’est pas dramatique. Mais c’est vrai que ça frise la mauvaise foi de nous réduire au survival une année où nous avons sorti A Silent Voice, Poison City, Le Requiem du roi des roses, Your Lie in April, Unlucky Young Men, L’oiseau bleu, Last Hero Inuyashiki, Darker than Black… et où au contraire, nous n’avons jamais eu un catalogue aussi varié… »
C’est d’ailleurs pour une nouveauté shônen que Ki-oon attirera l’attention en 2016 : My Hero Academia. Lorsque l’on demande à Ahmed Agne comment ils ont réussi ce tour de force, il nous donne ses pistes : « Non ce serait mentir de dire que nous étions certains de le décrocher, tout comme Kurokawa ne partait pas en pôle position pour One-Punch Man. Nous n’avions chacun qu’une série chez Shueisha et un historique de collaboration très court. En face il y avait des éditeurs historiques installés depuis longtemps. La « logique » destinait plutôt ces titres à eux qu’à nous, les petits nouveaux.
Maintenant, pourquoi ils ont décidé de nous le confier plutôt qu’aux historiques, je ne peux pas répondre à leur place… Tout ce que je sais c’est que ça a été une négociation très longue, et que nous avons fourni le plan marketing le plus ambitieux que nous ayons jamais réfléchi chez Ki-oon, ce qui n’est pas peu dire car nous sommes connus pour la qualité de nos mises en avant… Nous avons proposé un projet où nous soutenions le titre sur le très très long terme, sur plusieurs années.
Autre point important, je ne me suis pas positionné sur One-Punch Man. Non pas que je n’aime pas cette série mais quand il y a deux titres aussi importants sur le marché il est complètement utopique de croire que l’éditeur japonais va te confier les deux. Si tu te positionnes sur les deux tu fais deux demi-plans demi-convaincants et tu éparpilles ton temps de parole… Je voulais qu’on se concentre sur My Hero Academia et qu’on lui consacre 100% de notre temps de cerveau disponible. D’une part parce que c’est celui des deux que je préfère, et aussi parce que j’y crois beaucoup plus sur le long terme. Peut-être que ça s’est ressenti dans mon discours.»
Avec cette nouvelle arme dans son arsenal, Ki-oon envisage l’avenir avec le sourire, même s’il sait qu’il sera sans doute rétrogradé en 5e place derrière son conçurent Kurokawa l’an prochain, qui démarre 2016 sur les chapeaux de roues avec One-Punch Man : « Pour My Hero Academia nous ne prévoyons pas faire une démarrage aussi puissant que celui One-Punch Man, la série ne dispose pas encore d’une pré-notoriété suffisante pour ça. Nous visons un lancement dans les eaux de ceux réalisés par Arslan ou Seven Deadly Sins sur l’année. Si nous y arrivons, ce sera de très bon augure pour la suite… […] Avec My Hero Academia, nous sommes vraiment au début du phénomène, et le combat court sur le long terme. One-Punch Man va marcher très très fort, et très vite, mais ne durera peut-être pas très longtemps. Pour My Hero Academia, même si nous n’avons pas du tout les mêmes attentes en termes de lancement, je suis persuadé que ce titre peut devenir, dans le futur, la locomotive du marché du manga au Japon et en France, au même titre qu’un One Piece. On verra dans 5 ans si le pari était judicieux ou pas. »
Kurokawa, pour sa part, fêtait ses 10 ans dignement en augmentant son offre de 25 %, passant de 75 à 94 nouveautés cette année. Même s’il ne progresse pas autant, le volume de vente de l’éditeur est nettement dans le vert : +10.7% l’emmenant à 8.3% de part de marché en volume. L’éditeur peut aussi se féliciter du très bon démarrage d’Arslan qui vient ainsi succéder, à titre de nouveau succès d’Hiromu Arakawa, à Fullmetal Alchemist dont les ventes s’étiolent malgré la réédition qui s’est achevée en 2015. Il y a aussi la bonne santé de la licence Pokémon, comme nous l’expliquions plus haut, tandis que Saint Seiya Saintia Sho s’en sort plus timidement à la 22e place du classement des lancements. On peut enfin citer l’arrivée de Red Eyes Sword dans le top 20 des ventes de l’année au chapitre des bonnes nouvelles.
Comme il l’explique en interview par la voix de son responsable de collection Grégoire Hellot, l’éditeur d’Univers Poche cherche à « élargir le manga, trouver des solutions pour proposer à des gens qui ne lisent pas ou ne lisent plus des mangas de venir ou d’y revenir en publiant des choses à la fois originales et pertinentes. » C’est dans cette optique qu’il a lancé, entre autres, deux adaptations des classiques de notre littérature, Les misérables et Arsène Lupin. Grégoire Hellot explique ces deux initiatives : « Si j’ai choisi Les Misérables ou Arsène Lupin en manga c’est parce que j’ai été inspiré en discutant avec des bibliothécaires et des documentalistes qui m’ont dit : « les jeunes gens d’aujourd’hui ne lisent plus, à part le manga ils refusent de lire des bouquins. » ou « les élèves de collège et de lycée sont en échec scolaire car ils ne veulent plus lire de livre mais on arrive à les intéresser car il y a des adaptations en BD de grands classiques français. »
Je me suis dit que c’était la voie à suivre : j’ai fait Les Misérables et Arsène Lupin et je compte bien en proposer d’autres pour justement faire en sorte que le manga puisse avoir un rôle de vecteur de culture car les bibliothécaires, les documentalistes et les professeurs sont en demande de ce genre d’ouvrage. Il y a beaucoup de jeunes gens aujourd’hui qui disent que « la culture française c’est ringard », que « les histoires françaises c’est bidon, moi j’aime que les supers héros », etc. alors que, parmi ceux qui lisent le manga des Misérables et qui ne connaissent pas l’œuvre originale, certains vont dire que « c’est mortel », que « Javer c’est un enculé ! »… ils rentrent dans l’histoire !
Quand tu lis Arsène Lupin tu te dis « merde il a inspiré Batman, il a inspiré tous les supers héros mais en fait c’est un Français de 1910 »… C’est un bagage culturel que l’on transmet de manière modernisée. Peut-être qu’un jour des artistes français publieront régulièrement des mangas au Japon mais le but recherché avec ces deux titres n’est pas l’échange franco-japonais. C’est avant tout d’intéresser des gens au manga – car il y a des gens qui connaissent Les Misérables et qui seront curieux de voir ce qu’en font des auteurs japonais – et d’attirer les gens qui ne lisent que des mangas mais qui se disent que « ah Les Misérables j’ai toujours eu la flemme de lire, donc en manga c’est peut-être l’occasion de jeter un coup d’œil. » Idem pour Arsène Lupin c’est l’occasion d’en apprendre plus sur cette figure du patrimoine culturel français. »
Le dernier de ces trois challengers, Kazé Manga fait bien plus grise mine en 6e position. Si l’on cumule Kazé et Asuka, on obtient moins de 6% de parts de marché, et un volume de vente qui recule d’environ 6-7%. Mais la baisse est à pondérer avec la baisse de l’offre qui subit une véritable cure d’amaigrissement : 145 nouveautés contre 191 l’an dernier, soit un quart en moins… la baisse du volume de vente s’avère donc toute relative. Néanmoins on peut se demander ce que Kazé Manga, qui compte pour 134 nouveautés sur les 145, cherche à faire derrière cette réduction du nombre de sorties. Est-ce purement passager, en faisant de 2015 une année de réédition plutôt que d’innovation, ou est-ce plutôt une vraie réflexion stratégique après plusieurs années à avoir inondé les linéaires de nouveautés qui passaient parfois inaperçues ?
En tout cas, pour un éditeur qui se voulait dans le trio de tête lors de ses débuts en 2010, ce n’est pas en 2015 qu’il aura atteint son objectif, même si on ne peut pas forcément parler d’échec : Bestiarius est 19e tu top lancement malgré une sortie plutôt sur la fin d’année, Twin Star Exorcists est 28e et Demokratia 32e, bien loin du précédent succès de son auteur Motorô MASE, Ikigami. Blue Exorcist reste donc le seul middle-seller en forme de l’éditeur, mais malheureusement le sympathique Space Travelers du même auteur n’a pas rencontré son public. Si l’éditeur ne parvient pas à faire de Platinum End, des auteurs de Death Note et Bakuman, l’un des grands succès de 2016, il y aura vraiment des questions à se poser du coté de Viz et de ses dirigeants japonais. Les missions ne vont donc pas manquer pour Pierre Valls !
Voilà donc les six principaux éditeurs du marché français du manga, qui représentent 50% des mangas publiés mais 80% des mangas vendus en 2015. Si Glénat, Pika, Kana, Ki-oon, Kurokawa et Kazé Manga sont destinés à rester les six premiers éditeurs du marché français pendant encore un bon moment, tous les changements annoncés en 2015 vont faire des trois à cinq prochaines année l’arène de plusieurs combats intenses. Du coté des achats de licences, le mercato qui s’est opéré de 2013 à 2015 a certes permis d’acquérir une grande partie de nouveaux best-sellers qui trustent actuellement les charts nippons, mais une nouvelle lutte s’amorce : celle pour la visibilité de ces hits sur le marché hexagonal et la priorité dans le porte-monnaie du lecteur français…
Mais, comme nous le disions plus haut, derrière ces six poids lourds ou moyens, il reste encore près de 800 mangas publiés en 2015, répartis chez de très nombreux éditeurs dont les lignes éditoriales font preuve d’une grande richesse et d’une grande divergence, de la plus limpide et appréciée à la plus confuse et chamboulée, en passant même par certains éditeurs qui ne semblent plus en avoir du tout !
Petits éditeurs : quelle tendance choisir ? C’est la dernière question que nous nous poserons pour ce bilan 2015 !
Dossier Bilan Manga 2015
* Bilan Manga 2015 : un rebond, oui, mais lequel ?
* Publication : plafond ou palier ?
* Edition : thématiques & nouveautés
* Ventes 2015 : et ça repart !
* Éditeurs : un marché… compétitif !
* Editeurs : shôjo, seinen… et identité éditoriale
Retrouvez les bilans des années 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 du marché français du manga. En bonus vous pouvez aussi découvrir l’analyse des ventes de manga au Japon chez Paoru.fr ainsi que, dans les semaines à venir, toutes les interviews éditeurs citées ici publiées dans leur intégralité. Tous les chiffres présentés ici sont des estimations et donc, comme toujours, ils sont à prendre avec du recul et à titre de comparaison entre les différentes années ou les différents secteurs de marché… surtout pas comme des valeurs ou vérités absolues.
Sources : les Bilans ACBD de Gilles Ratier, Gfk Retail and Technology, éditeurs de manga, Paoru.fr, Manga-news, Manga Mag, Manga Conseil et le Figaro.fr
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[…] a guère que Black Butler qui fait grise mine. Hors de la course au blockbuster en 2016 (voir notre bilan 2015), les lancements à succès de l’éditeur sont plus modestes mais avec de belles surprises ou […]
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