[Dossier] Mariage japonais : les femmes dans l’impasse ?
Un proverbe japonais dit : « kekkon wa josei no hakaba de oru », « le mariage est la tombe des femmes » .
De fait, la femme est confinée dans sa vie de mère et d’épouse à de nombreux devoirs. Yanagisawa HAKUO, ancien Ministre de la Santé, de l’Emploi et de la Protection sociale allait jusqu’à dire en 2007 que « les femmes sont des machines à faire des gosses » ! Une déclaration qui avait, bien sûr, provoqué de fortes réactions de la part des milieux féministes…
La question se pose donc : pourquoi les femmes japonaises se marient-elles toujours et quelle vie les attend ? Les conditions de vie des épouses sont-elles, d’ailleurs, en évolution ? Pourquoi, enfin, de plus en plus de femmes fuient la vie de famille pour se consacrer sur leur carrière ?
Pour célébrer de manière originale cette journée de Saint-Valentin, Journal du Japon a décidé d’enquêter sur le mariage… du côté des femmes.
Le mariage japonais, une tradition en évolution
Comme en Occident, le mariage japonais n’a pas toujours été issu du consentement des deux époux.
Les mariages japonais ne sont dictés par aucune règle avant l’Ere Edo (1603-1868) : à l’origine, le mariage au Japon, est un arrangement entre deux parties qui n’obéit à aucune loi. Pendant longtemps, les mariages étaient surtout des sortes de contrats forçant deux parties à s’unir pour l’argent ou des objectifs politiques et militaires. On est donc encore loin du mariage d’amour, d’autant que la mariée se soumet entièrement à sa belle-famille puisque le couple habite avec les parents du mari.
La vogue du mariage shinto ne commence qu’au XXe siècle : rites de purification, échanges des coupes de saké, offrandes aux dieux deviennent la norme avant d’être remplacés par le mariage « chrétien ». Chrétien avec des guillemets car si la mariée porte une robe à l’occidentale et les époux échangent leurs serments devant un prêtre, c’est souvent pour le décor et la tendance que le couple choisit ce type de mariage : il engage même, parfois, un faux prêtre !
Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui commun de dire qu’un Japonais naît shintoïste, se marie en chrétien et meurt en bouddhiste.
La pression du mariage
Que ce soit en shintoïste ou en chrétien, le mariage est considéré comme une étape nécessaire par la plupart des Japonais. En 2005, encore 90% des Japonais considéraient comme naturel de se marier : un chiffre impressionnant alors que le mariage est en déclin en Occident !
Par conséquent, une forte pression pesait sur les épaules des jeunes célibataires, les incitants à chercher un partenaire, et rapidement… les mariages tardifs sont en effet assez mal vus au Japon, une fille étant considérée comme dans une impasse si elle n’est pas mariée avant ses 27-30 ans. ¨Par conséquent, en 1982, encore 29% des mariages étaient réalisés via des omiai, ou mariages arrangés, le plus souvent par la famille.
Ce chiffre a aujourd’hui considérablement baissé puisqu’en 2005, seulement 6% des mariages étaient des omiai. On peut constater que ce taux reste assez élevé par rapport à d’autres pays comme la France, où le mariage arrangé a presque disparu des pratiques…
Si cette baisse nous révèle que la pression familiale exercée sur les célibataires a en partie diminué, il faut toutefois y mettre un bémol : les hommes ont en effet moins de pression mais les femmes, elles, sont toujours assez mal considérées lorsqu’elles ne se marient pas. Dans son ouvrage La Crise des modèles, publié chez Picquier en 2010, Muriel JOLIVET analyse comment le célibat des femmes, en hausse depuis les années 1980, est perçu par la société. Elle nous révèle ainsi que les jeunes femmes sont souvent considérées comme des « makeinu », ou des célibattantes, terme chargé d’une certaine connotation négative. On parle également de « miai obasan » (sortent de jeunes vieilles filles enchaînant les omiai en vain) : un lexique qui en dit long sur la pression que supportent les jeunes filles célibataires, et qui explique que le mariage reste encore aujourd’hui un idéal – quoi que la réalité est bien souvent décevante…
Les raisons de se marier
Mais quelles sont donc les raisons qui poussent les conjoints au mariage ? Un sondage de Muriel JOLIVET (2010) révèle ainsi que 16% des femmes se marient pour répondre aux attentes de leur entourage, et que 12% espèrent tirer du mariage une plus grande aisance financière, alors que 5% s’engagent dans le mariage pour leur image sociale. Seulement 21% des femmes assimilent le mariage à un engagement amoureux !
Ces chiffres nous montrent une réalité très crue : le mariage ne fait pas réellement rêver une grande partie des jeunes filles, sans doute à cause de la part énorme de responsabilités qu’il fait peser sur la femme mariée. Beaucoup de Japonaises se marient aujourd’hui par obligation ou pour des raisons matérielles et pratiques. Ainsi, selon le site nippon.com, en 2012, 68% des femmes interrogées veulent se marier avec un homme gagnant plus de 4 millions de yen par an (plus de 30 000 euros) : on voit combien le désenchantement des femmes transparaît à travers ces sondages.
Des responsabilités écrasantes pour la femme mariée
Tachibana TOSHIAKI, dans son ouvrage The New Paradox for Japanese Women (2010) fait ainsi un constat : 40% des japonaises mariées considèrent comme naturel de sacrifier son individualité et ses habitudes de vie pour sa famille ! Par ailleurs, 71% des femmes interrogées pensent qu’il est meilleur pour la famille que la mère soit femme au foyer pendant les premières années de ses enfants. Ces responsabilités semblent écrasantes et s’expliquent par le rôle que possède la femme et mère au sein du foyer.
Eh oui, car la femme japonaise doit, traditionnellement, se consacrer au foyer alors que le mari a pour devoir de travailler et nourrir la famille. Ce modèle est particulièrement extrême au Japon où, après la Seconde Guerre mondiale, se développe un système économique très compétitif. L’emploi à vie et la dévotion à l’entreprise deviennent la norme pour les hommes japonais, qui ont de longues journées de travail prolongées par des descentes obligées au bar entre collègues.
Dans ces conditions, l’absence totale des maris obligent les Japonaises à assumer l’intégralité des tâches de la maison : la cuisine, le ménage, mais également l’éducation des enfants et la gestion de l’argent du couple. Le quotidien d’une femme mariée traditionnelle commence très tôt avec la préparation du bento pour son mari et ses enfants, et finit tard, puisqu’elle s’occupe de préparer le diner du soir, de couler le bain de toute la famille, etc. Pas de répit pour les mères d’enfants en bas âges, puisque les garderies classiques (yoichi) leur permettent à peine d’avoir le temps de faire les courses…
De moins en moins de mariages, et de moins en moins de naissances
Ces responsabilités poussent de plus en plus les femmes japonaises à rester célibataire ou sans enfants. Si, selon Tachibana TOSHIAKI (2010), 71% des femmes interrogées considèrent encore qu’un couple marié se doit d’avoir au moins un enfant, en réalité, les naissances baissent réellement : le Japon a à présent un des taux de natalité les plus bas du monde, avec 1,39 enfants par femme en 2010. Toujours selon Tachibana TOSHIAKI (2010), les raisons de cette baisse de natalité sont : le prix que représente le choix d’avoir un enfant (65% des femmes interrogées), mais aussi le fardeau de l’éducation (21%), l’absence de coopération du mari (14%), ou l’impossibilité de combiner travail et maternité (17,5%). On voit donc combien l’absence du mari en tant que père pèse lourd sur le choix que font les femmes d’avoir ou non un enfant… De fait, les femmes rechignent aujourd’hui à abandonner toute possibilité de carrière professionnelle au profit d’une vie de famille.
Les mariages sont ainsi retardés, évités le plus longtemps possible. De plus en plus de jeunes filles refusent de passer directement, comme il était autrefois coutume, de leur statut d’enfant à celui de mère et trouvent des alternatives à ces deux carcans, en prolongeant leur adolescence le plus longtemps possible.
L’absence de vie de couple, le divorce en hausse
Aujourd’hui, un tiers des mariages japonais aboutissent à des divorces et on peut trouver l’origine de cette tendance dans l’absence de communication entre le mari et la femme. Les maris ont eu en effet tendance, pendant longtemps, à prendre prétexte de leur travail pour abandonner affectivement leur femme, et ce même dans les mariages d’amour ! Dans les faits, la vie sexuelle des couples japonais est quasiment inexistante : les conjoints arrêtent souvent de faire l’amour après quelques années de mariage, et ont des rapports sexuels seulement exceptionnels. Dans ces conditions, la vie de couple fait de moins en moins rêver les jeunes Japonais.
Avec l’idéal de la femme au foyer en baisse depuis les années 1980, les Japonaises s’interrogent à présent en se demandant si la « gagnante » n’est pas justement la makeinu tant décriée : célibataire ou divorcée, elle vit pour elle-même et ne dépend de personne. Cela explique donc que le divorce est de de plus en plus envisagé par les conjoints. Pourtant, cette solution reste mal vue, et le Code de Meiji de 1947, qui réglemente les mariages, laisse souvent les femmes sans la garde des enfants et sans aucune allocation de leur ex-mari. Même si la société japonaise progresse sur ce point, beaucoup de couples n’osent pas encore franchir le pas du divorce et restent dans une relation qui ne leur convient pas.
Une véritable domination ?
La femme japonaise, diabolisée par les trois cultures du confusianisme, du bouddhisme et de la voie des Samouraï, obéit donc traditionnellement à trois dominations : celle de son père d’abord, puis de son mari, et enfin de son fils. Sous l’ère Tokugawa (1602-1868), les épouses n’existent même pas légalement ! Alors que ce statut s’améliore par la suite, des intellectuels soutiennent que les femmes ne sont pas soumises car elles tirent en réalité les ficelles de la famille, réduisant leur mari à un statut d’enfant, puisqu’elles vont parfois jusqu’à leurs allouer une certaine somme d’argent à dépenser pour leur plaisir.
Des anthropologues voient ainsi l’épanouissement de la femme à d’autres niveaux, comme dans la participation dans des associations, ou l’investissement dans la vie scolaire de leurs enfants. Mais ce qu’il faut voir ici, c’est l’enfermement de la femme japonaise dans son rôle d’épouse et de mère. Une responsabilité qui vire parfois à la névrose, quand des mères écrasent leurs fils sous la pression pour qu’ils rejoignent les meilleures écoles privées dès le primaire…
Le mariage à la japonaise semble donc n’avoir que peu évolué, et, malheureusement, il oblige encore les femmes à le refuser en bloc si elles veulent exister un tant qu’individu. Même si les jeunes japonais tentent aujourd’hui de travailler moins et de participer plus aux tâches ménagères et à la vie de famille, le progrès est lent et le modèle traditionnel du mariage, encore présent en demi-teinte, ne fonctionne plus : c’est une évidence. C’est donc à la société japonaise dans son entier d’évoluer pour que les femmes puissent, dans le futur, faire coexister leur vie de famille, leur carrière professionnelle, et leur existence en tant qu’individu…
À voir, Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa, un drame familial révélateur des tensions qui règnent dans la famille japonaise.
Retrouvez tous les articles de notre dossier Femmes au Japon ici ou passez au suivant, consacré au business women !
Sources : Tachibana Toshiaki, The New Paradox for Japanese Women ; Muriel Jolivet, La Crise des Modèles ; Nippon.com
Très chouette dossier, on y apprend beaucoup de choses !
Merci !
Bien que le dossier le rende facile à comprendre, le statut de la femme et ses rapports restent difficiles à ressentir en tant qu’étranger. Ce n’est sans doute pas possible à moins d’avoir vécu plusieurs années là-bas mais grâce à ce dossier on peut dépasser les préjugés faciles, avoir un coup d’œil intéressant sur la situation japonaise. Ce qui a le mérite de nous faire réfléchir quelques secondes sur la situation de la femme en général et chez nous.
En tant que premier chapitre de votre série 2016, ce dossier ouvre très bien la voie. Ma curiosité a été très bien attisée, j’ai déjà hâte de voir la suite. Bonne chance :).
Très intéressant, merci pour ce dossier. Il est vraiment navrant de voir que derrière le rideau que nous présente les animés/mangas/drama et toute sorte d’oeuvre japonaise, se trouve en réalité une société qui de notre point de vue européen, nous fais véritablement penser à un enfer. J’espère pour eux que, en s’ouvrant petit à petit au monde, le Japon améliore ses lacunes. En fait, plus j’en apprends et plus j’ai l’impression qu’ils sont resté bloqués au moyen-âge :/
(Il n’en reste pas moins un pays très intéressant hein, mais j’ai réellement l’impression que ce n’est pas un pays où il est facile de vivre.)
ton commentaire est emprunt de jugement assez grave ( bloque au moyen-age: d ailleur tu fais mention de quoi au juste ? ). on parle de culture il a des pays ou la cultre est different du modele occidental. le but est pas de dire telle ou telle culture est meilleur. d ailleur la culture francais est elle meilleur ou un modele de bien etre social ? La ou elle est le pays consommant le plus anti-depresseur , j’ai pas l impression. pour moi il faut analyse comme une etude sociologie sans porte de jugement sur telle ou telle pratique.
Tres bon article correspondant tout a fait a mon ressenti personnel après avoir vécu 3 ans a Tokyo.
L’évolution semble nécessaire mais sera très difficile tant tout cela semble ancré dans la société japonaise.
merci pour cet article,je suis toujours heureuse d’en apprendre plus sur leur coutume et sur leur façon de vivre
Merci pour cet article. Je suits sociologue et je suis intrese dans la conditions des femmes aux Japon. C’est bizarre que dans le culture mythologique de Japon, les femmes sont plus importants, comme la même la fondeuse mythologique du Japon est une femme, Amaterasuomokami … et puis dans période Nara et (Heian) les femmes été très important… Au ce moment j’écrive un livre aus sujet de femmes dans la culture religieu du Japon, spécialement dans la culture chrétienté Japonaise… (pardonnez moi pour mon français)
Bonjour,
Merci pour cet excellent dossier.
Serait-il possible de l’avoir en version japonaise afin de le faire passer à mon entourage?
Merci par avance,
Cordialement
Bonjour Maru,
Paul OZOUF, rédacteur en chef de Journal du Japon.
Merci de nous avoir lu tout d’abord. Cet article n’est pas disponible en japonais malheureusement.
Cordialement.
Paul OZOUF
Texte de grande qualité . Juste cette remarque cependant : les jugements occidentaux sur ces paramètres fondamentaux de vie sociale issus des valeurs propres à ces peuples , ont une tendance quasi maladive à se juger comme idéal et modèle pour les étrangers . Je ne développerai pas les divers cas où cette attitude montre un véritable strabisme vis à vis de ses propres carences , mais je pense qu’une étude de ce problème Bonheur Homme/femme , dans chaque peuple de la planète permettrait de résumer les paramètres des rares systèmes qui font les femmes heureuses dans leur rôle naturel .
Par ce process élémentaire , on peut déjà apprécier en gros à quel point la pression économique – forcée comme valeur immuable , indiscutable et absolue – est partout de la même façon cause de la casse du bonheur familial . Il semblerait qu’on vive bien mieux en famille , sans être riche . ( les besoins de base satisfaits demandent peu , hors la conso maladive imposée à nos sociétés par la dictature publicitaire )
Ayant un peu voyagé , tout en m’ intéressant à cette question : c’est au Viet-nam et dans le SE Asiatique que j’ai vu la meilleure qualité de vie familiale : Sans disproportionner la valeur de l’ argent , les gens vivent en couple et s’aiment assez pour que les familles trouvent leur naturel équilibre . Les Femmes sont belles et les enfants heureux , ( je n’y ai jamais vu un gamin pleurer ) En gros , on voit partout que la valeur imposée aux peuples par le contrôle mental des grands groupes financiers ( conso matériel über Alles ) détruit la valeur de l’ amour Homme/femme de la même façon dans toutes nos sociétés . Le logo de l’ homme tout puissant , attaché-case , costard N&B et culte du compte bancaire tue les valeurs du bonheur affectif .Tous nos maux connus ,jusqu’ à la guerre devenue une industrie , sont enfantés par la casse du système affectif humain . C’est un constat , pas une explication .