À la découverte des paravents Nanban – Un art aux confins des frontières
Le 19 janvier dernier se déroulait une conférence enrichissante à la Maison de la Culture du Japon (MCJP) au sujet d’un art japonais méconnu du grand public, les paravents nanban, suite à la publication d’un beau livre sur le sujet. Un terme chinois utilisé par les japonais pour désigner initialement les habitants de l’Asie du sud-est, mais étendu ensuite aux européens et ici aux, plus précisément, aux portugais. Une belle manière de parler d’un pan historique laissé de côté, Journal du Japon était présent et a pu rencontrer l’auteure pour une session de questions/réponses !
Un très beau livre pour admirer ces paravents dans les moindres détails
Les éditions Chandeigne ont réussi, à travers un magnifique ouvrage, à offrir au lecteur cet art dans ses moindres détails.
L’art nanban : une auteur passionnée pour un art hors du temps
Alexandra CURVELO, professeur d’histoire de l’art à l’Universidade Nova de Lisbonne travaille sur les missions chrétiennes au Japon au début de l’époque moderne, l’époque où le Japon s’ouvrit aux étrangers avant de se refermer un siècle plus tard. En étroite collaboration avec les éditions Chandeigne, elle vient de sortir un beau livre parlant d’un art japonais méconnu Chefs-d’œuvre des paravents nanban. XVIe-XVIIe s. À cette occasion, nous avons pu la questionner un peu plus en détail sur sa passion, son parcours et sur ce que représente cet art à ses yeux.
Journal du Japon : Bonjour. Quel est votre parcours et comment avez-vous découvert l’art nanban ?
Alexandra CURVELO : J’ai une licence en histoire, spécialité Histoire de l’Art avec la FCSH-UNL (Université de Lisbonne, Portugal). C’est lors de la rédaction de mon mémoire en histoire de l’art sur “L’image de l’orient dans la cartographie portugaise du XVIe siècle” que je me suis intéressée pour la première fois à l’art nanban en étudiant notamment les paravents cartographiques. Ensuite j’ai travaillé au Musée national des arts anciens puis à l’institut portugais de Conservation et de restauration. Le contact direct avec ces pièces a été fondamental, tout comme mon premier voyage au Japon en l’an 2000 : sept ont ensuite suivi ! C’est à ce moment que j’ai décidé de faire un doctorat en histoire de l’art sur l’art nanban et sa circulation en Chine et en Nova Espanha (ndlr : la Nouvelle-Espagne était une division administrative de l’ancien empire espagnol. Il s’agissait, plus précisément, d’une vice-royauté de la monarchie catholique espagnole. Instaurée en 1525, elle n’a disparu qu’à l’indépendance du Mexique en 1821).
Qu’est-ce qui vous a touché dans cet art ?
La nature hybride de la majeure partie des objets et le fait que les nanban-jin (=barbares du sud) soient eux aussi un objet de représentation via le regard de l’autre. C’est un art qui résulte de l’interaction entre le Japon, les Portugais et l’Europe du Sud et qui témoigne d’une histoire particulièrement riche et fascinante.
C’est un art assez à part dans l’art japonais, alors pourquoi celui-ci plus qu’un autre ? Pourquoi cette spécialisation ?
Justement parce qu’il s’agit d’un phénomène artistique et culturel du quotidien aux contours uniques. Son étude présuppose la connaissance de la réalité japonaise et européenne ainsi que celle de la présence portugaise et luso-asiatique en Asie.
Comment présentez cet art aux néophytes ?
C’est un art né de l’arrivée et de la présence des Portugais et des Européens du sud au Japon entre 1542-1543 jusqu’en 1640 et de l’interaction qui s’établit avec les Japonais. Si les paravents avec la représentation des nanban-jin (barbares du sud) et du kurofune (navire noir) sont les aspects les plus connus, l’art nanban inclut aussi d’autres types de peintures (les paravents cartographiques et les peintures produites lors de séminaires de peinture mis en place par la Compagnie de Jésus), il existe aussi des pièces de céramique, de métal et de laque. C’est pour cela qu’il existe de nombreuses commandes et destinataires liés à cet art produit au Japon dont quelques objets ont tout de même été exportés.
Comment sont fabriqués les nanban ?
Les paravents ont des structures amovibles, ils peuvent être transportés facilement, ceci, dû à leur intérieur léger fabriqué à partir d’une structure de bois et rempli de différentes couches de papier, la dernière correspond à la couche picturale. Le verso est recouvert d’un imprimé aux formes géométriques et végétales, toute la structure est entourée d’un filet de laque et de soie.
D’où vous est venue l’idée de réaliser ce livre ?
C’est Anne Lima et Michel Chandeigne qui m’ont proposé de réaliser ce livre. (ndlr : les éditions Chandeigne ont été créées en 1992, et possèdent leur propre atelier de typographie permettant ainsi d’offrir de beaux livres comme celui des Paravents nanban et de surveiller au plus près la chaîne du livre. Cette maison d’édition s’est spécialisée dans la la littérature lusophone [= la lusophonie désigne de manière neutre les pays parlant la langue portugaise], les sciences humaines avec l’histoire et les récits de voyage, les beaux livres ainsi qu’une série illustrée dédiée à la jeunesse).
Quel est votre paravent « préféré », et pourquoi ?
Il est difficile d’en choisir un. Ces paravents doivent être interprétés dans leur ensemble et c’est grâce à une observation précise de tous (du plus détaillé au plus simple) que nous pouvons en faire une lecture et émettre une interprétation.
Comment ont été choisis les nanban du livre?
Nous avons choisi les exemplaires qui peuvent être vus dans les collections des musées européens et japonais. Le paravent appartenant à la collection privée que j’ai eu l’occasion d’observer car il est entré dans une exposition dont j’étais la co-commissaire a été choisi pour présenter de nombreuses similitudes avec un des paravents du Musée des Arts anciens et un autre du musée de Kobe.
Les Japonais se sont inspirés des Portugais mais au final qu’est-ce qu’il y a de japonais et qu’est-ce qu’il y a d’occidental dans un paravent nanban ?
Les paravents nanban représentant des nanban-jin et les kurofune sont des créations totalement japonaises (matière, technique, école de peinture et commande). Les occidentaux sont juste des prétextes picturaux choisis.
Merci Alexandra CURVELO !
Pour découvrir ce pan méconnu de l’art et de l’histoire japonaise, vous savez maintenant ce qu’il vous reste à faire. Rendez-vous sur le site des éditions Chandeigne pour plus d’informations.
Remerciements à Alexandra CURVELO pour son temps ainsi qu’à Mylène des éditions Chandeigne et à la MCJP pour la mise en place de cette interview.
3 réponses
[…] à la première moitié du siècle suivant. Vous trouverez un interview de l’auteur dans le Journal du Japon et voici ce qu’en dit l’éditeur (j’ai rajouté quelques liens dans le texte) […]
[…] et aiguisait l’appétit des explorateurs et au « siècle chrétien ». De cette période, l’art Nanban et ses sublimes paravents dorés s’inspira de la rencontre de nos deux cultures, européenne […]
[…] artistique et culturel majeur, aux côtés des porcelaines japonaises, des laques et de l’art Nanban puis de l’ukiyo-e à la fin du XIXe siècle… Des plantes à l’Art nouveau, il y a […]