Akiyuki NOSAKA : un grand écrivain nous a quittés !
Lorsqu’est cité le nom d’Akiyuki NOSAKA, il est souvent suivi de La tombe des lucioles, roman partiellement autobiographique qui a inspiré à Isao TAKAHATA le fameux film d’animation Le tombeau des lucioles. Mais NOSAKA était un homme aux multiples facettes dont l’oeuvre littéraire est le reflet. Journal du Japon vous invite à le découvrir…
La vie a mal démarré pour lui : sa mère meurt peu après sa naissance (le 10 octobre 1930) et son père le confie à une famille d’adoption. Ses parents adoptifs meurent sous les bombardements américains à l’été 1945, puis sa petite sœur décède de malnutrition. Il doit alors faire du marché noir, voler pour survivre, ce qui le conduit en maison de correction. C’est alors que son père réapparaît. Le jeune Akiyuki peut alors étudier, mais il préfère abandonner et enchaîne divers petits boulots. Il commence à écrire comme parolier, scénariste, journaliste, puis la célébrité arrive en 1963 avec la parution de son premier roman Les pornographes, oeuvre que MISHIMA applaudira comme « insolent et enjoué comme un ciel de midi au-dessus d’un dépotoir« . En 1967, c’est La tombe des lucioles qui connaît un fort succès. Sa carrière est lancée et d’autres œuvres suivront jusqu’à sa mort le 9 décembre 2015.
La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés : Violence et sexe jusqu’à l’excès
Ce récit, publié en 1967, est emblématique de l’oeuvre de NOSAKA par la sauvagerie, la violence qui hantent ce lieu clos. Il s’agit d’une zone montagneuse et sauvage, d’une mine dans laquelle viennent travailler au péril de leur vie des couples qui mettent au monde des enfants qui meurent peu après. La fille du directeur de la mine est fascinée par la vigne qui pousse dans le cimetière (qui produit en été de très belles fleurs blanches et semble se nourrir du sang des morts car elle n’arrive pas à survivre ailleurs). Cette passion fera sombrer la jeune femme dans la folie.
C’est surtout une violence qui va envahir ce lieu refermé sur lui même, qui sera la scène de tous les excès de l’humanité. Ce petit village dans la montagne ne propose en effet pas d’autre occupation que le travail harassant et le sexe. Les hommes ont des maîtresses, les femmes des amants, les relations incestueuses sont chose courante. Avec la guerre, coréens et prisonniers australiens viennent renforcer les effectifs de la mine. La dénutrition est là, heureusement les fruits de la vigne des morts produisent une farine très nourrissante. La fin de la guerre amène son lot de vengeances, de tueries, de folies. Seules quelques personnes restent dans cette montagne, plus de femmes que d’hommes. L’orgie et la mort marqueront la fin de ce village en perdition.
La deuxième histoire du livre, La petite marchande d’allumettes, publiée en 1969, met en scène Oyasu, petite fille qui n’a jamais connu son père, dont la mère s’est remariée avec un homme violent. Dès l’âge de 13 ans, les hommes abuseront d’elle (l’amant de sa mère puis son beau-père). Mais Oyasu ne se plaint pas, elle aime sentir l’odeur des hommes quadragénaires, de leur tabac, la rudesse de leur barbe. Elle dit « papa, papa » à ces inconnus dans lesquels elle aime imaginer son père. Lorsqu’elle se retrouve seule, elle part pour Tokyo, où, de mauvaise rencontre en appartement sordide, elle cherche toujours son père dans les clients de passage. Un photographe la ramènera à Osaka, un jeune homme l’emmènera chez lui. Enfermée, maltraitée, elle échouera finalement à 23 ans dans la rue, se faisant payer de quelques pièces pour montrer son intimité à la lueur d’une allumette. Son père viendra-t-il enfin ?
Une quête permanente, un manque de chaleur, une douleur profonde … et la pauvreté, la misère, la violence des hommes.
La tombe des lucioles : un classique mondialement connu
Avant de devenir le superbe dessin animé d’Isao TAKAHATA, La tombe des lucioles (qui a obtenu le prestigieux prix Naoki en 1968) est un chef d’oeuvre d’une cinquantaine de pages au style particulier : richesse des descriptions (tendres ou cruelles), mais aussi argot de la région d’Osaka … difficiles à traduire mais pari gagné pour les traducteurs. C’est donc l’histoire de Seita, adolescent pendant la guerre, qui meurt de faim, d’épuisement, de diarrhée dans une gare en septembre 1945. Puis le livre remonte les quelques mois qui ont précédé : ce sinistre 5 juin et les B29 dont les bombes incendiaires descendent sur Kôbe, la fuite avec sa petite sœur de 4 ans, sa mère gravement brûlée qui meurt peu après, l’hébergement chez une lointaine tante (qui leur fait comprendre qu’ils sont juste un fardeau pour elle, mais ne se prive pas de consommer la nourriture qu’ils ont apporté et de vendre les vêtements laissés par leur mère), puis la vie à deux dans un « trou », abri de fortune dans lequel ils mettent des lucioles pour avoir de jolies lumières.
Ce texte hurle la faim, la peur, la rage puis la mort. Cette noirceur d’un monde en ruine, d’un peuple affamé, est pourtant ponctuée de petits points lumineux : ces lucioles qui dansent dans l’abri, cette dînette que la petite improvise avec des cailloux représentant du riz, sa belle chevelure que son frère tresse avec tout l’amour qu’il peut donner.
Une lecture qui secoue l’être rempli de larmes que nous sommes tous.
Cette « nouvelle » est suivie d’une autre plus grinçante : Les algues d’Amérique. Cette fois-ci, le récit se place 22 ans après la fin de la guerre. Toshio vit à Tokyo avec sa femme Kyôko et leur fils Kei-Ichi, il est producteur de films et mène une vie agréable en apparence. Il a même pu envoyer sa femme et son fils en voyage à Hawaï, où ils ont rencontré les Higgins, un couple d’Américains apparemment très gentil. Kyôko les a même invités à passer quelques jours à la maison. Toshio n’est pas emballé par cette idée, mais s’y plie de bonne grâce. Il emmène Higgins passer des soirées en compagnie de jeunes femmes et de whisky. Mais que veut-il prouver en se servant des mots d’anglais appris à la fin de la guerre ? Pourquoi cherche-t-il tant à faire plaisir à cet inconnu (qui a vécu quelques temps au Japon en 1946 comme journaliste et parle bien japonais) ? Reviennent tout au long du récit les souvenirs du 15 août 1945 : la guerre est finie, des dizaines de parachutes blancs tombent du ciel, le ravitaillement américain est distribué à une population affamée. Le sucre est un luxe miraculeux, mais comment se mangent ces brindilles noires et racornies qui, même cuites, ne sont pas bonnes et laissent une eau d’un marron douteux ? Plus tard il apprendra que c’est du thé noir …
Une réflexion caustique sur les relations entre Américains et Japonais, vainqueurs et vaincus, occupants et occupés.
« Pour Toshio, l’Amérique ce sont les hijiki d’Amérique, la neige tombée en plein été sur des ruines calcinées, les fesses musclées des soldats prises dans l’étoffe satinée de leur pantalon, la large main tendue pour un « Squeeze ! », du chewing-gum pour sept jours de rations de riz, « Hav’a good time ! », la photo de Mac Arthur debout à côté de l’Empereur qui ne lui arrive qu’à l’épaule, « Kyoû.Kyoû » comme emblême de l’amitié nippo-américaine, les demi-livres de café moulu « M.J.B », le D.D.T. dont l’a aspergé un soldat noir américain dans une gare, un bulldozer solitaire qui aplanit les ruines, les jeeps équipées d’une canne à pêche, et un arbre de Noël dans une maison de civils américains couvert de guirlandes électriques qui clignotent paisiblement.«
Un sentiment amer : « Il y aura toujours un américain qui siégera au fond de moi.«
NOSAKA vieillit et clame son amour des chats
Nosaka aime les chats, qui paraît ce mois-ci aux éditions Philippe Picquier, publié au Japon en 1998, est une déclaration d’amour de l’écrivain pour les chats, ceux qui partagent son quotidien, mais aussi ceux qu’il croise lors de ses promenades quotidiennes, ceux qu’il a aperçu pendant la guerre (le premier regard de chat qu’il a croisé est celui du chat d’un ami pendant cette guerre où il a perdu des êtres chers), ceux qui sont partis après le tremblement de terre de Kobe et qui ne sont pas revenus.
Ce journal d’un homme parmi les chats déborde de tendresse pour ces animaux au caractère bien trempé. L’auteur vit avec sa femme et ses deux filles mais aussi cinq chats et un chien. Il y a Coco et Midori, les doyennes, Kurata (celui qui laisse sa « trace » partout à coup de jets d’urine), Neige le plus fragile qui enchaîne les rhumes … et Charly, trouvé par la chienne husky Zizi un jour de forte chaleur. Charly aime sortir la nuit, se bagarrer avec d’autres chats, mais c’est aussi un fin gourmet qui apprécie les prunes en liqueur ou les épinards saupoudrés de miettes de bonite séchée.
La maison est littéralement le royaume des chats, les shôji dont le papier a été déchiré par ces charmants félins ne sont plus que des treillages servant de lieu d’escalade. Qu’ils campent sur la table, le bureau, dans la salle de bain ou sur le toit du garage, leur maître est complètement gaga de ces boules de poils qui miaulent pour qu’on leur ouvre la porte, pour manger ou pour exprimer leur désaccord.
Ce quotidien minutieusement décrit est aussi l’occasion pour l’auteur de réfléchir à des sujets comme la maladie (une chose naturelle qu’il ne faut pas trop médicaliser, les rhumes passent pour les chats comme pour les humains), la mort (les chats se cachent souvent pour mourir, ils sentent arriver la mort, une mort qui est une chose naturelle pour eux comme elle devrait l’être pour nous). La vieillesse qui rend Coco sénile voire amnésique est aussi là chez NOSAKA : ses filles quittent la maison, il devient grand-père, mais il trouve les vieillards japonais spécialement alertes. Cet homme d’un certain âge a vécu beaucoup d’événements dramatiques qui apparaissent en filigrane au fil des pages (la deuxième guerre mondiale mais aussi le tremblement de terre de Kobe et la peur d’un grand tremblement de terre qui le pousse à réaliser de lourds travaux dans sa maison), mais il profite avec malice des bonheurs quotidiens : combat de sumo avec sa chienne zizi, promenade dans le quartier à guetter l’arrivée de nouveaux chats, travail au jardin (compost à étaler, mangeoires pour les oiseaux). La contemplation n’est jamais bien loin : crapauds qui envahissent l’herbe, perruches qui se précipitent sur les mangeoires, chat qui passe des heures sans bouger à la fenêtre.
Une belle déclaration d’amour !
Pour plus d’informations sur l’écrivain et sur ses œuvres, rendez-vous sur le site des éditions Picquier. Lancez-vous et découvrez cet écrivain qui, après avoir beaucoup souffert pendant la guerre, avait une véritable fureur de vivre !
2 réponses
[…] troisième est Le tombeau des lucioles. Un dessin-animé qui m’a fait verser des larmes. C’est un chef-d’oeuvre que tout […]
[…] troisième est Le tombeau des lucioles. Un dessin-animé qui m’a fait verser des larmes. C’est un chef-d’oeuvre que tout […]