Underwater : et au milieu coule un village
Dans les années 2000 les lecteurs français découvraient Mushishi, un manga puis un anime étrange et fascinant, né de l’imagination de Yuki URUSHIBARA. Une nature omniprésente, des fantômes et une bonne dose de fantastique, mais aussi l’errance d’un homme à travers des paysages et des lieux envoûtants. Après Mushishi, la mangaka avait enchaîné au Japon avec un autre titre, plus court, du nom de Suiiki. Sept ans plus tard il arrive enfin en France, dans la collection Latitudes des éditions Ki-oon sous le nom d’Underwater. Il raconte la double histoire d’une famille et d’un village où plusieurs générations vont tisser des liens à travers le temps, dans une ambiance douce et triste à la fois, entre rêve et réalité…
Le village immergé
Le Japon, un jour d’été comme les autres… « Et maintenant les prévisions météo pour la journée de demain… Le temps sera encore très ensoleillé et les chances de précipitation sont nulles. En raison de la canicule, le lac MIYAMA a perdu plus de 70 % de son volume habituel. En conséquence de quoi la zone en aval de la rivière a été soumise à des restrictions de débit… »
Sous se soleil étouffant, la jeune Chinami s’évanouit pendant un entrainement d’athlétisme. Mais lorsque la collégienne se réveille, elle n’est plus au stade : une douce pluie tombe sur les berges d’une rivière pleine de charme, où elle plonge avec envie. Tout ceci n’est qu’un rêve, semble-t-il, mais elle va replonger à plusieurs reprises dans cet oasis et y découvrir un village presque abandonné, où seuls un petit garçon et un vieil homme vivent encore. Malgré la pluie qui tombe sans cesse et l’abandon des lieux, cet endroit est des plus chaleureux. Les rêves de Chinami sont de plus en plus longs et commencent à inquiéter sa mère, surtout lorsque l’adolescente lui raconte ce qu’elle y voit et qui elle y croise.
Car ce décor, dans lequel Chinami n’a pourtant jamais mis les pieds, semble étrangement familier…
Un rêve au bord de l’eau…
S’immerger dans une lecture est une expression qui prend tout son sens ici, dès les premières pages d’Underwater. Le premier temps de ce premier volume nous dévoile un paradis perdu, déserté même, où un vieil homme et un petit garçon mènent une vie hors du temps. Alors que ses aller-retours deviennent de plus en plus réels, Chinami s’interroge : quel est cet endroit ? Qui sont ces deux derniers habitants ? Pourquoi vient-elle ici ?
Dans ces rêves décousus, Yuki URUSHIBARA laisse d’abord l’occasion au lecteur et à son héroïne de se balader dans ce petit coin de verdure, d’arpenter seule les rivages puis les rues. Cette découverte en rappellera de nombreuses autres, du Voyage de Chihiro à l’Homme qui marche de Taniguchi, mais la solitude n’est que de courte durée. L’ambiance onirique, idéale pour cadencer une narration selon son bon vouloir et habituer progressivement le lecteur à un décor improbable, fournit rêve après rêve les paliers qui permettent de plonger dans ce village immergé.
Après cette introduction, le lecteur est fin prêt pour le vrai voyage : un bond à contre-courant de deux générations dans le passé, qui va donner toute son ampleur au récit…
La vie, la mort… et re la vie derrière
A l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, les jeunes Kiyoko et Tatsumi font connaissance au bord d’une étrange cascade, lieu de la légende ancestrale du village, racontée de grand-mère en petite-fille depuis plusieurs générations. Un homme y aurait rencontré et aimé une jeune femme, puis lui aurait fait un enfant. Mais lorsque des écailles apparurent sur le corps du bébé tout le monde accusa la mère d’être le dragon qui vivait dans la grotte, sous la cascade. La jeune épouse disparut alors, abandonnant derrière elle un orbe magnifique qu’elle confia à son enfant.
Quand Tatsumi doit partir pour la guerre, c’est justement en donnant un orbe à Kiyoko qu’il lui promet de revenir et, grâce au talisman, le village semble être épargné des atrocités de la guerre ou des caprices de la nature. Grâce à cet orbe le village et notre couple va connaître un bonheur d’une rare pleinitude, qui rayonne avec une immense chaleur dans les larges pages de ce manga grand format. On sait que jamais bonheur ne dure, mais Yuki URUSHIBARA le prolonge encore et encore avec les années qui passent et les gens qui grandissent.
Mais les saisons heureuses passent trop vite et il est toujours impossible d’arrêter le temps… Un beau jour, une ombre apparaît et commence à s’étendre sur le village : on veut immerger la région pour construire un barrage. Le village, tout comme notre famille si attachante, vont lutter mais, une fois de plus, le destin des deux sont liés et des tragédies inéluctables sont en chemin…
Les messages d’Underwater sont très nombreux, sur le plan de la famille, de l’attachement à la nature, sur la plaie béante que créé la perte d’un être cher… Sur les racines qui nous rattachent, sans qu’on le sache, à notre histoire et à nos fondations. Les émotions et sentiments eux aussi s’enchaînent : curiosité, tendresse, fascination, joie, tristesse, mélancolie et nostalgie… On referme ce premier tome avec une larme à l’œil tout en restant plein d’espoir, car on sait qu’un second et dernier opus suivra, le 10 mars prochain. L’attachement aux personnages et à cet intriguant village est tel qu’on brûle d’impatience de lire cette suite, autant qu’on là redoute probablement. Mais, quoi qu’il arrive, la boucle temporelle initiée par les rêves de la jeune Chinami devra forcément se refermer.
Histoire rare à la narration envoûtante, aux paysages somptueux et aux émotions vibrantes, Underwater a donc tout d’un joli rêve, qui vous tourne et tourne encore dans la tête. Plongez-vous dedans, et laissez vous porter !
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[…] ce mois de janvier prolifique. Après l’aventure folle et macabre de DeathCo et l’envoûtant Underwater, focus sur L’ère des cristaux, un seinen de fantasy signé par Haruko ICHIKAWA aux éditions […]
[…] quelques titres plus “feel good”, ou tranche-de-vie oscillant entre comédie et drame : Underwater – Le village immergé, Sayonara Football, Père & Fils, et Golden Kamui (multi-primé au Japon). Afin […]