Deathco : la nouvelle danse macabre d’Atushi Kaneko
Après Bambi, l’œuvre punk violente et dérangeante, le très controversé Soil qui nous mène dans une ville et dévoile les travers de la société et, plus récemment, Wet Moon, traitant d’une enquête troublante sur fond d’un Japon des années 60 ; Atsushi KANEKO revient aujourd’hui avec une nouvelle œuvre : Deathco, sortie le 6 janvier chez les éditions Casterman.
Le mangaka ne nous a jamais épargné dans aucune de ses œuvres, nous sortant toujours de notre zone de confort. Il sait aiguiser nos sens tout en prenant un malin plaisir à emberlificoter nos neurones. Il malmène également à sa guise les codes du manga pour y incorporer ceux du comics ou du cinéma, faisant preuve d’une maîtrise digne des plus grands auteurs de thrillers ou autres romans policiers en y ajoutant sa patte graphique si particulière.
Deathco nous propose, encore une fois, une nouvelle facette de l’auteur : une approche plus pop que punk saupoudrée d’une touche d’humour, celle des vieux comics qui ont rythmé notre jeunesse.
En route pour le bal…
Ranpo noir
Deathko est un des «reapers» employé par une société secrète appelée « la guilde». Quand cette dernière veut faire disparaître un malfrat n’ayant pas respecté les règles, elle envoie une note à ses tueurs à gages qui doivent alors éliminer le « trophée » et ainsi récupérer une prime.
Ado gothique et un peu renfermée sur elle-même, Deathko, comme tous les autres tueurs à gages, n’est pas une professionnelle mais met beaucoup de cœur à l’ouvrage. Après chaque mission, elle rentre se terrer dans un château où elle vit avec « Madame » et s’enferme dans son monde où elle s’amuse à confectionner des objets aussi machiavéliques qu’horrifiques en vu de sa prochaine « moisson ».
Comme elle, d’autres anges de la mort reçoivent des ordres de la guilde. Mais Deathko, pleine de haine envers le reste du monde, méprise également ses collègues et n’hésite pas à se frayer son chemin de force si quelqu’un lui barre la route.
De cette shinigami des temps modernes, on ne sait pas grand chose et encore moins sa véritable identité, des plus obscures. Elle semble avoir été adoptée, ou plutôt engagée par cette «Madame M», cette femme qui fut, vraisemblablement, une reapers les plus talentueuses de son temps.
La bête dans l’ombre
Deathco est truffé de clins d’œil à une pop-culture inspirée d’une mythologie comics bien connue. Débutant dans une ambiance de film d’horreur un peu gore, les personnages et leurs costumes donnent le ton. À chacun son style mais tous sont là pour une seule et unique raison : tuer sans pitié.
Tantôt en vue à la troisième personne à la manière d’une caméra, tantôt captant directement l’attention à la première personne, l’auteur nous tient en haleine en contrôlant parfaitement le rythme qu’il veut imposer : les plans, les cadrages, le détail d’une scène, tout est là. À moins qu’au contraire, un manque d’information volontaire nous installe dans une noirceur maîtrisée. KANEKO, très influencé par Ranpo EDOGAWA, nous mène exactement là où il veut quand il le veut et attise notre curiosité, qu’il alimente parfois avec d’autres divertissements afin de détourner notre attention.
Les questions fusent et les mystères planent sur énormément de points : qui est la guilde ? Qui est Deathko, comment Madame M l’a « recueillie » ? Qui est exactement Madame M et pourquoi a-t-elle besoin de Deathko ?
Les personnages contribuent à leur façon à cette atmosphère très particulière : les reapers semblent tout droit sortis d’un film des années 60. Entre mafieux véreux et tueurs à gages, les personnalités vont du plus charismatique au plus pittoresque. Chacun a son style : du clown faucheur à la pom-pom girl, de la « muerte » en passant par des Laurel et Hardi revisités, drôles et rafraîchissants… chaque personnage apporte sa touche de couleur au manga.
Du côté des méchants, les styles sont également très marqués : yakuza, parrain, ou petit escroc sans état d’âme, le look n’empêche pas le crime mais donne à chacun de ces personnages une identité visuelle singulière : sans détour, sournoise, mesquine, carrément effroyable… ou juste là pour la figuration ! En puisant joyeusement dans les figures bien connues de la pop-culture, KANEKO ne perd pas pour autant le lecteur qui sait toujours, en un clin d’œil, à qui il a affaire.
En ce qui concerne l’œuvre, l’auteur n’a plus à faire ses preuves graphiquement parlant et pourtant, on ne cesse d’être admiratif devant sa maîtrise du noir et blanc, ses jeux d’ombres ou son choix de ton.
Si Wet Moon mélangeait science-fiction et enquête policière, Deathco semble prendre le contre-pied : on retrouve aussi des éléments de kitch et de « grostesque », si présents dans l’œuvre de KANEKO, mais qui apportent une ambiance plus légère à l’univers. Néanmoins, ce seinen reste tout de même emprunt des thèmes Lynchien si chers à KANEKO tels que la violence, les activités criminelles et enfin la duplicité dans la personnalité de ses rôles féminins.
En l’occurrence, ici, celle de notre héroïne, Deathko.
Deathko, la reine du bal
Deathko, personnage pop/punk mélancolique, ne semble être elle-même que lorsqu’elle moissonne, libérée de toutes ses chaînes par le meurtre. Comme un mélange composé d’une Lisbeth Salander neo-punk accompagnée de sa mystérieuse chauve-souris toute droit sortie d’un Billy Bat, Deathko revêt son habit de terrible tueuse quand vient le temps de moissonner.
Pourtant, le ressenti est tout autre lorsqu’on la retrouve entre deux contrats : amorphe et éteinte, elle est telle une larve ou un légume, ressassant sa haine pour le monde entier.
L’auteur joue donc avec les opposés : une enfant-assassin, qui fabrique des jouets pour tuer et reste incertaine sur son véritable « moi » profond. Tantôt condamnée à mourir à cause d’une morsure de serpent, tantôt victime du maléfice d’une sorcière ou encore extraterrestre mourant petit à petit à cause de l’atmosphère terrestre toxique pour elle.
Ce contraste est présent à plusieurs niveaux… à tous même : si fragile et pourtant si dangereuse qu’elle en effraierait la poiscaille géante et préhistorique qui habite dans la piscine du manoir, qui n’a en temps normal rien à redouter de personne. Deathko souffrirait-elle du mal commun à beaucoup de tueurs en série ? Des plus intelligentes, serait-elle également schizophrène ou autiste ? Elle est capable de tuer n’importe qui, mais appelle pourtant bien à l’aide en son for intérieur. Mais pourquoi et qui pourrait bien lui répondre ?
Comble du désespoir, une sorte de nuage noir se forme parfois au-dessus de sa tête, entraînant l’ado dans des méandres sans fond. Ce nuage noir serait-il la réminiscence du sang versé ?
Croisières funèbres
Pour l’instant, Deathco ne nous a pas plongé dans les mêmes méandres dérangeantes que Soil ou Wet Moon, mais il reste définitivement un titre signé KANEKO. Il nous balade gentiment dans cet univers absurde et déjanté sans perdre notre esprit. La violence présente dans les premiers tomes est pour l’instant soutenable, mais l’auteur a sûrement prévu une montée en crescendo. Deathko semble avoir encore énormément à nous livrer sur le mystère qui plane autour de sa personne… mais on sait déjà, par le passif des personnages féminins et énigmatiques de Kaneko, qu’elle n’en finira jamais de nous surprendre. On se pose beaucoup de questions certes, mais on suppose – on espère surtout très fort – que l’on aura des réponses. Sauf si, une fois de plus, Atsushi KANEKO réussi à nous surprendre et à nous retourner le cerveau… Allez savoir !
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