Calligraphie japonaise – l’esprit d’un art moderne
Si vous cherchez une exposition japonaise à voir lors des fêtes de fin d’année, Journal du Japon vous propose l’exposition temporaire L’Empire de l’Encre au Musée National des Arts Asiatiques – Guimet à Paris. S’arrêtant au 16 janvier 2016, il est temps d’aller y jeter un œil !
De la calligraphie contemporaine japonaise en France
Pour ceux et celles qui ne connaissent par la calligraphie japonaise, cet art est apparu au VIe siècle et s’inspirait fortement à l’époque de la calligraphie chinoise, avant d’aller vers son propre style : le shodô. Par la suite, cet art se répand à toutes les couches de la population à partir de l’ère Edo (1603-1868) et se transforme en un art populaire, pratiqué par tous. On enseigne en effet la calligraphie dès l’école, favorisant ainsi l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Mais cet art reste malgré tout élitiste dès lors que l’on décide d’en faire son travail ou qu’on participe à des concours. L’ouverture des frontières japonaises permirent à la calligraphie d’évoluer et de prendre un style plus abstrait, tout en gardant comme but premier « une expression de soi pour l’âme ».
La fondation Mainichi Shodokai fait perdurer cet art au Japon en organisant de nombreux événements autour de la calligraphie, comme un grand concours annuel. Le dernier en date a reçu pas moins de 30 000 œuvres contre 34 000 membres à l’heure actuelle !
Cette exposition est la troisième d’une série sur le thème de la calligraphie réalisée au Musée Guimet depuis 2012, mais la première à présenter des œuvres issues du grand concours annuel de la fondation. Cette dernière, reconnue au Japon depuis sa création en 1948, est le partenaire privilégié du musée. À cette occasion, des œuvres occidentales inspirées de la calligraphie japonaise s’ajoutent aux quarante-deux œuvres exposées : ainsi retrouve-t-on des œuvres d’Henri Michaux (1899-1984), Brion Gysin (1916-1986) et Christian Dotremont (1922-1979), des œuvres fortement inspirées par cet univers et exhibées pour l’occasion. L’exposition actuelle est quant à elle réalisée pour le musée Guimet, puisque le dernier thème du concours était a priori cette collaboration étroite entre les deux pays.
Un art philosophique bien encadré
Les quarante-deux calligraphies présentées permettent de saisir toute la complexité de la réalisation de telles œuvres. Une calligraphie est le prolongement de l’esprit de l’artiste, et l’extension de sa volonté, qui se traduisent tant dans la maîtrise des outils que dans celle de l’harmonie visuelle. L’auteur dévoile dans ses compositions un équilibre parfait entre l’encre et le papier, le noir et le blanc, le plein et le vide ; il capture un véritable instant de poésie. À ce sujet, il existe six grandes familles de caractères pour s’exprimer dans cet art : les kanji (caractère chinois), les kana (syllabaire japonais), les Tenkoku (gravure sur sceau), les Kindai Shibunsho (poèmes modernes), les Kokuji (caractères gravés) et le zen.ei shodô (calligraphie d’avant garde).
Trois œuvres nous ont particulièrement marqué lors de cette exposition, aussi différentes qu’attirantes !
Tout d’abord, celle de Harada Tokoku (1962 – Poèmes modernes, Retour au pays par Hagiwara Sakutaro) où l’on ressent beaucoup d’émotion dans le tracé, et où l’on perçoit fortement le travail de l’artiste dans le contraste existant entre petits et grands caractères. Une œuvre plutôt intrigante par sa forme.
Ensuite, celle de Nagomori Sokyu (1950 – Poèmes modernes, Vers de Matsuo Basho) pour sa linéarité cette fois. Ses courbes donnent une impression de douceur, avec des caractères semblant danser. Elle dégage un sentiment de légèreté et de poésie qui tranche particulièrement avec la précédente.
Enfin, celle de Ando Hoson (1951 – Caractères gravés, composition originale de l’artiste) où malheureusement la photo rend moins justice à sa beauté brute que sur place. Une gravure particulièrement saisissante et réaliste qui saute aux yeux. Les couleurs choisies semblent presque vivantes et on se surprend à s’arrêter plusieurs minutes devant elle afin de la contempler tout entière. Comme si elle ne nous livrait pas tous ses secrets du premier coup.
Une exposition toute en nuance
Le musée Guimet expose ainsi plusieurs œuvres tirées de travaux d’inspiration chinoise (Nakamura Sokyu et son illustration d’un extrait de L’encyclopédie chinoise, Tongsu Hian, ou d’autres œuvres tirées du recueil chinois Matsuo Bashô) mais aussi du Dit du Genji.
Dès lors, on aurait pu espérer peut-être une meilleure scénographie afin de les mettre un peu plus en valeur. C’est au final le seul point négatif de cette exposition, où un véritable fil rouge aurait été appréciable afin de nous guider à travers ces différentes calligraphies.
Un documentaire permet quant à lui de nous éclairer d’avantage sur les fondements de la fondation Mainichi Shodokai et la manière dont s’y prennent certains calligraphes japonais pour travailler et perfectionner leur art. Ainsi, de nombreuses informations complémentaires sur l’évolution du shodô au Japon ne sont accessibles qu’en le regardant, nous indiquant au passage qu’un lien étroit existerait entre Occident et Japon par rapport à cet art.
Voir autant d’œuvres diverses de grands artistes japonais reste très excitant ! On saisit toute la précision du geste, mais également l’évasion et la poésie qui s’échappent des sujets et des compositions. De nombreuses calligraphies laissent percevoir les variations de l’encre sur le papier, insistant ainsi sur les mouvements effectués par le maître.
Cela fait penser à certains arts martiaux, où les membres passent des heures à affûter leur geste et à le perfectionner afin d’en ressortir le plus abouti : une véritable discipline du corps et de l’esprit.
Une exposition intrigante face à tant de finesse.
Aller plus loin pour comprendre
Si vous cherchez des livres sur le sujet de la calligraphie, plusieurs références existent en France afin de vous aider à y voir plus clair.
Synopsis : Seishu Handa, étoile montante de la calligraphie japonaise, collectionne les prix d’excellence pour son travail. Beau et jeune, mais surtout d’une arrogance sans borne, il met sa carrière en péril le jour où, excédé, il assomme un éminent conservateur de musée qui juge son travail “formaté et sans saveur”… Sanction immédiate pour ce coup de sang : Seishu est puni et contraint d’aller expier son crime sur une petite île, au fin fond de la campagne nippone ! Le jeune citadin, qui espérait au moins pouvoir pratiquer son art dans le calme, ne tarde pas à déchanter : entre les voisins qui débarquent à l’improviste et la bande de gamins qui a choisi son atelier comme terrain de jeu, la partie s’annonce compliquée… Attachants, irritants, farfelus et pleins de vie, les habitants du village vont chambouler son quotidien bien réglé.
Ce manga fait particulièrement écho à l’essence même de la fondation Mainichi Shodokai puisque l’on voit Seishu rechercher encore et encore une manière de retravailler son art afin de se perfectionner et de gagner un maximum de concours, comme ceux qu’organise cette fondation. On y voit donc ses sautes d’humeurs, ses hauts et ses bas face à un travail si exténuant moralement et si éprouvant dans sa réalisation, mais aussi la recherche de sa propre perception des choses grâce à son entourage et son quotidien. Un travail de tous les instants qui le pousse à évoluer et à mûrir afin d’offrir les meilleures calligraphies possible. On y voit ainsi la façon dont il s’y prend pour réaliser ses calligraphies, allant de ses outils à sa manière de se tenir pour réaliser les bons caractères. Un manga en immersion totale dans les coulisses de la calligraphie japonaise.
Un beau livre qui retrace l’histoire des hommes dans la découverte du langage et de l’écriture avant d’en améliorer les contours afin de parvenir à l’art si épuré, patient et beau qu’est la calligraphie. Un travail de l’esprit qui reste éternel, même aujourd’hui, des décennies après sa création. Claude Durix lui-même est tombé dans la calligraphie pour le travail si précis que demande cet art. Chirurgien de formation, il s’y intéressait en effet dans le cadre de son travail, la chirurgie de l’œil. Il pensait pouvoir améliorer son travail s’il exerçait suffisamment son regard, mais très vite il se laissa subjuguer par cet art aussi beau que prenant de par sa discipline intérieure omniprésente.
L’art de la calligraphie japonaise – Harmonie du corps et de l’esprit par le shodô, H.E. Davey (Ed. Éditions de l’éveil)
Ce livre vous permettra de vous familiariser avec la calligraphe japonaise, et particulièrement la voie du Shodô, tout en vous initiant de manière basique aux gestes de cet art hors du commun. H.E. Davey, premier non-Japonais à recevoir le titre de Shihan-Dai (donné par une association internationale de calligraphie japonaise, la Kukusai Shôdô Bunka Kôryû Kyôkai), vous explique ainsi le travail à accomplir afin de vous faire comprendre que votre vie quotidienne et votre esprit sont liés et nécessitent un certain équilibre avant de pouvoir pratiquer convenablement la calligraphie. À noter qu’il est bon de s’initier auprès d’un maître calligraphe durant de longues années pour se donner le droit d’être pratiquant à son tour.
Enfin pour encore mieux comprendre cet art, rencontres avec plusieurs calligraphes et plusieurs approches du shodô, du plus classique au plus inattendu :
L’art du shôdo : Hiroko Watanabe, une femme de caractères
Kirie : voyage artistique et poétique, au cœur d’un rêve japonais
Rencontre avec Syusui Taba, une calligraphe pas comme les autres
Compte-rendu d’exposition par Anaïs Dorvault et Charlène Hugonin
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[…] occupe depuis des siècles une place centrale. Après vous avoir déjà emmenés à la découverte de cet art, le Shodô fin 2015, notre rédactrice est donc partie en faire elle-même l’expérience du […]