Kokkoku : quand les secondes défilent mais que le temps s’arrête
Comme nous l’évoquions récemment dans notre dossier sur le voyage temporel, le temps est un élément immuable qui fascine encore et toujours. Nombreuses sont les histoires qui se servent de lui comme d’un élément majeur, perturbateur ou non, afin de rajouter ce petit quelque chose contre lequel on ne peut lutter et qui nous emporte de force avec lui. Dans Kokkoku, le temps s’arrête complètement grâce à une ancienne magie que de nombreuses personnes sont prêtes à tout pour posséder. On réécrit alors les codes du voyage temporel et on part dans un nouveau seinen aux éditions Glénat. Journal du Japon est alors voir le résultat, avec la sortie du premier tome il y a quelques jours…
On lave son linge sale en famille
Kokkoku est un manga de Seita Horio qui est déjà terminé au Japon et compilé en huit tomes. Il a été prépublié dans le Gekkan Morning Two rattaché à la Kôdansha et mêle adroitement fantastique et polar dans un scénario des plus surprenants. Edité chez Glénat en France, c’est la première œuvre de l’auteur à y paraître. En fait c’est la première œuvre de l’auteur tout court : autant dire que l’on assiste à des débuts plutôt prometteurs au regard de la direction que prend le premier volume. La série a d’ailleurs été nommée au Manga Taishô Awards en 2011, preuve qu’elle mérite un certain intérêt.
Tout commence ainsi : Juri est une jeune femme active qui reproche cependant à son père et à son frère d’être aussi utiles à la maison qu’un marteau à bomber le verre. C’est en voulant changer les choses qu’elle pousse son frère Tsubasa à aller chercher leur neveu à l’école, histoire de montrer au monde qu’il a une quelconque utilité. Cela étant dit, Tsubasa et l’enfant se font kidnapper sur le chemin du retour par un groupe d’hommes, sans autre forme de procès. Les ravisseurs demandent une rançon à Juri, qu’elle doit apporter dans un laps de temps si court que ça lui parait impossible !
C’est sans compter son grand-père et ses étranges capacités : à l’aide d’une pierre magique, il arrête le temps ce qui leur permettra d’aller sauver les autres membres de la famille sans avoir à se presser. Le hic, c’est que contrairement à ce qu’ils attendaient, ils ne sont pas les seuls à pouvoir bouger dans ce monde statique, ou tout est censé être immobile à part eux.
Secourir les autres va donc s’avérer plus difficile que prévu.
Un voyage dans le temps revisité
Si d’ordinaire le temps joue contre nous, il presse, il est compté… Ici il ne bouge plus.
Contrairement à All You Need Is Kill qui explore le thème de la boucle temporelle infinie ou à Orange qui sous-entend l’existence de plusieurs espace-temps, le temps dans Kokkoku est figé en un instant. Il ne passe pas, condamnant le monde à l’immobilité la plus totale. Pas de retour en arrière non plus, de modifications du présent ou de bons dans le futur à la manière d’un Shinobi Life : ici c’est le moment présent qui est figé à jamais, que certaines personnes peuvent dès lors explorer de fond en comble.
Cette situation offre au mangaka de multiples possibilités de nous surprendre, et il s’y autorise déjà en créant de nouvelles lois qui viennent complexifier ce monde immobile : téléportation contrainte, interdiction de toucher aux immobiles sous la peine d’une sanction mortelle assénée par un régulateur. Il en résulte donc de nouvelles idées quant à ce qu’est le temps en lui-même ou les dimensions en général, avec des interactions qu’il reste encore à découvrir entre le temps et l’espace..
Loin de se prétendre être une réflexion philosophique sur le temps qui passe, Kokkoku est un thriller pur et dur qui se sert du temps comme un acteur majeur de son histoire et qui a sa propre influence sur le récit : course poursuite inédite dans l’espace-temps, réinitialisation de boucles temporelles… Le tout devient assez intéressant car tout a fait cohérent, à la façon d’une partie d’échec mais aussi dans les termes utilisés. La curiosité est piquée : comment le sauvetage de toute la famille va pouvoir se dérouler dans cette univers si familier au nôtre et où pourtant plus rien de fonctionne de la manière dont nous le connaissons.
Un scénario prometteur
En plus d’avoir de bonnes idées, Kokkoku bénéficie aussi d’une narration agréable : l’intrigue se délie très rapidement, apportant son lot d’action et de révélations et dévoilant au passage de nouveaux personnages dont les buts et perspectives restent pour l’instant assez flous. Tout semble tourner autour d’un cercle de fanatiques appelé « Amour Véritable »… On n’oublie pas non plus l’Administrateur, cet être mystérieux et effrayant sorti tout droit de votre pire cauchemar ou d’un film de Romero, qui vieille sur cet espace-temps immobile et qui renforce la thématique fantastique en lui donnant une touche supplémentaire d’originalité.
Niveau graphisme, le semi-réalisme est des plus appréciables et colle parfaitement au genre, dans un style assez neutre, même si certains personnages secondaires, proche du quidam lambda, en deviennent difficilement différentiables. Les héros de l’intrigue, à l’inverse se distingue assez vite du reste, notamment un amusant grand-père, qui apporte une touche d’humour sympathique à l’oeuvre. Enfin, une grande place est donnée aux décors qui y sont pour beaucoup dans l’ambiance réussie du titre.
Kokkoku s’octroie donc une histoire bien ficelée dans une ambiance particulière qui pousse à la curiosité : de nombreuses choses restent encore à découvrir ! Reste à savoir si le sérieux et la cohérence vont tenir la route au rythme des volumes suivants et si la famille Yukawa va enfin pouvoir être sauvée…
Le second volume est à paraître à la fin du mois de mai 2015, patience !
Visuels : KOKKOKU © Seita Horio / Kodansha Ltd.
10 réponses
[…] toute discrétion cette année. Si on ajoute quelques déceptions des ventes sur les sympathiques Kokkoku, Jabberwocky et Crueler Than Dead dont nous avions rencontré les mangakas passionnés de zombies […]
[…] on peut noter pour les dernières sorties Orange de Ichigo TAKANO ou bien encore Kokkoku de Seita HORIO, qui ont tous deux une manière différente d’aborder les choses, le premier […]
[…] le coup de crayon de son auteur, Seita HORIO, qui n’a visiblement rien perdu de sa superbe depuis Kokkoku, sa précédente oeuvre (publiée en France aux éditions Glénat). Un titre qui lui vaut […]