Darker than Black : des ténèbres à la lumière
Les fans n’y croyaient plus. Ni ceux de la série animée, ni ceux de Yûji IWAHARA. Et pourtant Ki-oon l’a fait. Un peu plus de 5 ans après sa sortie japonaise, l’éditeur spécialiste des paris risqués mise sur le succès de Dimension W, la dernière œuvre de l’auteur, et ose sortir Darker than Black – Shikkoku no Hana – le manga dérivé de l’anime que l’on croyait enterré à jamais. Alors, le contrat en vaut-il le prix ?
Paint it (Darker than) Black
Darker than Black nous plonge dans un univers de science fiction contemporain sombre et réaliste. Dix ans avant le début de l’histoire, un phénomène d’origine inconnue a provoqué l’apparition de deux espaces où les lois de la physique se retrouvent distordues : la « Porte des Enfers », en plein cœur de Tokyo, et la « Porte du Paradis », à son exact opposé en Amérique du sud. Au même moment, les constellations disparaissent de la voûte céleste, remplacées par de fausses étoiles, et des humains dotés de pouvoirs surnaturels émergent : les « Contractants » et les « Dolls ». Toutefois leur existence reste cachée au grand public par les autorités, ce qui n’empêche pas les gouvernements du monde entier et diverses organisations de les utiliser pour leurs basses besognes.
Voilà un synopsis qui pourrait aussi bien n’être qu’un prétexte pour un simple anime de baston à base de super pouvoir. Sauf que c’est loin d’être le cas. Le scénario s’emploie au contraire à imaginer une vision plus obscure et réaliste de l’acquisition et de l’utilisation de pouvoirs surnaturels. De fait, ceux-ci ne sont donc pas gratuits, et se paient par la perte d’une partie plus ou moins importante de l’humanité de leur possesseur.
En échange de leurs capacités, les Contractants semblent ainsi dépourvus d’émotions. Ils n’agissent plus que de façon rationnelle, en fonction de la logique et de leur intérêt, ce qui en fait de parfaites machines à tuer. Pour chaque utilisation, ils doivent également s’acquitter d’une contrepartie. Une « rémunération » qui peut prendre des formes diverses, parfois amusantes ou ridicules, et parfois bien plus terribles. Quant aux Dolls, leur sort est pire encore. Médiums capables de manipuler des esprits observateurs, ils n’ont plus ni émotion ni volonté propre, tels de véritables pantins programmés pour obéir aveuglement et considérés comme des outils jetables par ceux qui les emploient.
Le résultat pour le spectateur, inhabituel, est qu’il n’envie pas vraiment ces détenteurs de pouvoir, pour une fois.
Pas de place pour la naïveté non plus au niveau de l’univers ainsi créé. Pas de super-héros ou de super-vilains ici. Les Contractants, ni bons ni mauvais puisqu’affranchis de toute morale, deviennent à la fois les outils et les enjeux d’intrigues politico-scientifiques entre agences gouvernementales, multinationales ou organisations criminelles. S’ajoute en toile de fond l’exploration progressive des mystères de la Porte, des Contractants et des Dolls, ainsi qu’une réflexion sous jacente sur les fondements de l’humanité.
Dernier point mais non des moindres qui contribue à l’ambiance particulière de la série : le ton des histoires n’est généralement pas très joyeux. Non pas que l’humour ne soit pas présent, mais il flotte comme un parfum de tragédie dans Darker than Black. Sans pour autant virer au jeu de massacre comme peuvent l’être par exemple L’attaque des Titans ou encore Terra Formars, le fait est que les histoires ne finissent pas souvent de façon heureuse. Enfin on ressent constamment que les personnages se débattent face à un destin funeste, quasi-inéluctable malgré tous leurs efforts.
Une licence dans les ténèbres
Avec un univers aussi complexe et travaillé, on aurait pu croire le succès de la licence assuré. Elle a pourtant connu un parcours difficile sur notre territoire. Créé en 2007, la série animée tombe en plein dans cette période creuse des années 2000, heure sombre pour la japanime francophone. Bien avant que le simulcast ne se développe et ne s’impose comme le mode de diffusion si prolifique qu’on connait aujourd’hui, les éditeurs ne pouvaient alors plus se permettre de licencier qu’au compte goutte. Nombre de licences majeures de cette époque ont réussi à se frayer un chemin jusqu’à nous mais certaines, comme Darker Than Black sont malheureusement passées entre les gouttes, restant cantonnées au Japon. La série a donc clairement loupé le coche au moment de sa sortie.
Il faudra attendre 2011 pour que WE Productions, via son label WE Anim, ne décide de réparer cette injustice. La malchance continue pourtant de s’acharner, et la sortie DVD sera finalement repoussée de presque 2 ans supplémentaires, après une diffusion de la série sur la chaîne Gong. Elle intégrera ensuite rapidement les collections Gold puis Saphir de Declic Collection (aujourd’hui Anime Store). On est alors en 2013 et le grand public peut enfin ouvrir la « Porte des Enfers ». Mais six années déjà se sont écoulées, autant dire une éternité dans le monde de la japanime. Le buzz autour de la série, élément crucial pour le succès d’un anime aujourd’hui, est retombé depuis bien longtemps… Le simulcast est passé par là, les anime se consommant désormais en direct du Japon… et la sortie se fait donc de façon trop confidentielle.
Pourtant, la série ne manquait pas d’arguments à faire valoir. Réalisée par Tensai OKAMURA (Wolf’s Rain, Blue Exorcist, The Seven Deadly Sins…), qui en est aussi le créateur original et assure la composition scénaristique, elle est animée au sein du studio Bones (Eureka Seven, Fullmetal Alchemist, Soul Eater, Space Dandy…), lui offrant une réalisation technique à la hauteur de ses ambitions. La direction artistique est également très séduisante, notamment grâce à un chara design confié au mangaka Yûji IWAHARA. Enfin cerise sur le gâteau, l’OST est signée Yoko KANNO (est-il encore besoin de la présenter ?) et agrémentée d’une touche d’Abington Boys School comme tête de file des génériques. Autant d’éléments laissant présager un anime de qualité.
Mais voilà, avec un parcours aussi chaotique pour la série initiale, il ne fallait pas s’attendre à ce que les autres itérations de la licence connaissent une diffusion plus favorable. Ainsi une seconde saison animée de 12 épisodes, sous titrée Ryusei no Gemini, est diffusée au Japon à l’automne 2009. Suivra une série de 4 OAV Gaiden début 2010, permettant de faire le lien entre les événements des 2 saisons et distribuée avec les DVD de la seconde. Sans surprises, toutes deux sont encore inédites chez nous, alors qu’elles sont par exemple disponibles au États-Unis depuis fin 2011.
La licence devient aussi cross-media quand une première adaptation manga en 2 volumes voit le jour en 2007 chez Kadokawa Shoten. Contre toute attente, Panini aura l’audace de tenter l’aventure en 2010, mais sans le renfort de l’anime sur lequel s’appuyer, et avec une qualité somme toute discutable, le titre ne fera pas grand bruit.
Fin 2009, c’est Square Enix qui lance à son tour une nouvelle adaptation manga. Et cette fois elle est directement dessinée par le créateur des personnages de l’anime lui-même.
La mélancolie de Yûji IWAHARA
Seulement voilà, Yûji IWAHARA est un auteur au passif compliqué dans l’hexagone. En effet entre 2006 et 2010, la plupart de ses séries ont eu droit à une publication française, qui se sont succédées chez plusieurs éditeurs. Soleil ouvre d’abord le bal avec Le Roi des Ronces (dont une version exclusive entièrement en couleur n’ira même jamais jusqu’à son terme), puis Asuka poursuit la danse avec Nekoten!, et c’est enfin Delcourt qui clôt le jeu des chaises musicales avec Le Monde de Misaki suivi du one-shot L’oeil du Loup. Le hic c’est que malgré des critiques unanimement élogieuses, tour à tour ils s’y cassent les dents car le public ne suit pas.
IWAHARA rentre donc dans ce cercle d’auteurs loués par la critique, appréciés par les éditeurs, possédant une base de fans conquis et fidèle, mais injustement boudés par la plupart des lecteurs français.
La poisse hexagonale de la licence Darker se poursuit donc. Au moment de la publication japonaise de Shikkoku no Hana, son auteur n’est plus vraiment le bienvenu dans les plannings des éditeurs français et sa sortie semble donc relever du miracle.
Mais c’était sans compter sur Ki-oon. Alors que les fans de l’auteur avaient pour ainsi dire perdu tout espoir, l’éditeur tente à nouveau un de ces coups de poker dont il a le secret, comme celui qu’il avait déjà réussi avec Kaoru Mori et Bride Stories. En décembre 2013 il annonce la dernière série de Yûji IWAHARA : Dimension W. Et l’espoir, insensé, renaît dans le cœur des aficionados de Darker. Peut être grâce à la sortie, depuis, de la version animée chez Black Box, et avec un joli succès de Dimension W qui permet enfin à l’auteur de faire de bonnes ventes, Ki-oon annonce alors l’impossible, Darker than Black – Shikkoku no Hana – sortira bel et bien en France.
« The contract, is it worth the price ? »
Les adaptations posent toujours une question un peu délicate : faut-il céder ou pas ? Trop souvent ce ne sont que des travaux de commande purement commerciaux, seulement destinés à capitaliser sur une licence, et dont l’intérêt se limite au pur fanservice. On en ressort déçu ou, pire, frustré. Mais de temps en temps naissent des adaptations plus vertueuses. Fidèles ou complémentaires de l’original, voire véritables pièces à part entière d’une licence, elles sont en général le fait d’auteurs plus impliqués. Comme la version d’Evangelion de Yoshiyuki SADAMOTO ou le Macross Seven Trash de Haruhiko MIKIMOTO.
Inutile de faire durer le suspense, ce Darker than Black – Shikkoku no Hana – fait clairement partie de la seconde catégorie.
Ainsi, si vous êtes fans de l’anime, il trône surement déjà dans votre mangathèque. Vous avez été faible, vous avez craqué, mais vous avez eu raison (et dans le cas contraire, foncez). C’est un vrai bonheur de retrouver Hei, Yin ou Misaki, mais aussi pas mal de personnages secondaires connus, et un délice de se replonger dans cet univers. En particulier avec une adaptation de cette qualité.
Mais qu’en est-il si vous découvrez la licence avec ce manga ? Ki-oon prend bien soin de préciser dans sa communication, pour n’exclure aucun lecteur potentiel, qu’il s’agit d’« une enquête 100 % inédite, parfaitement accessible aux néophytes ». Verdict ? Oui, c’est bel et bien le cas.
Yûji IWAHARA réussi ainsi le tour de force de contenter les deux publics. Et cela notamment grâce à un changement de point de vue par rapport à la version animée. Car cette fois, au départ en tout cas, on ne suis plus directement le héros de la série mais plutôt Mizaki, l’inspectrice qui enquêtait sur lui. Cela permet en quelque sorte de repartir à zéro pour les nouveaux lecteurs.
Le manga démarre donc quelques temps après l’anime. Au début, seules quelques allusions y font référence. Les fans les relèveront avec délectation, mais les néophytes n’auront pas cette impression désagréable d’être complètement à l’ouest. Pas plus que dans n’importe quel manga qui ne dévoile pas immédiatement tout son contexte. Les éléments propres à l’univers de la licence et aux moments marquants de la série sont ensuite réintroduit petit à petit au fil de l’histoire. Les nouveaux venus ne sont donc pas noyés sous un flot d’informations à ingurgiter en bloc dès le départ. Et les anciens profiteront de petits rappels pas inutiles. Le tout se faisant avec une fluidité exemplaire.
Quant à l’intrigue, elle est subtilement liée à celle de l’anime, tout en explorant un chemin nouveau. Suite aux événements de l’anime, l’existence des Contractants est désormais connue du public. Et l’un d’entre eux semble bien décidé à tirer profit de cette situation pour faire encore évoluer l’ordre des choses… La suite nous dira si cette histoire reste totalement fidèle à l’esprit de la licence et si elle y apporte une véritable plus value. Mais pour l’instant cela semble assez bien parti.
Enfin, graphiquement, si vous connaissez Dimension W vous savez à quoi vous en tenir. Le dessin est tout simplement excellent, fin et détaillé, l’action efficace et nerveuse, et les décors fouillés. Évidemment le chara design est fidèle, tout en se permettant quelques fantaisies pour certaines nouvelles têtes, mais toujours dans l’esprit de la licence. Il est aussi un peu moins « uniformisé », plus varié, puisque non retravaillé pour les besoins d’un anime. Plus rond pour certains personnages, plus saillant pour d’autres, ce qui apporte une petite pointe de personnalité supplémentaire. Et aussi plus expressif, ce qui compense avantageusement l’absence du doublage propre à l’anime. Bref c’est un vrai bonheur pour la rétine.
Et donc, finalement, le pari est-il gagné pour Ki-oon ? Pour le succès commercial, seul l’avenir le dira. En espérant que ni la malédiction de Yûji IWAHARA, ni celle de la licence Darker ne reprendront le dessus. Ce qui est sur par contre c’est que le titre possède vraiment tout ce qu’il faut pour plaire au plus grand nombre. Amateurs de l’anime, de l’auteur ou simplement de bon seinen d’action, il n’y a pas à hésiter. D’autant qu’avec une série terminée en 4 tomes, l’investissement est sûr et vaut largement le coup.
Ah le manga Darker Than Black!!! >..<
Je désespérais totalement de le lire un jour! 😛
Vivement la sortie que je puisse savourer ce manga qui j'espère, trouvera son succès chez nous ^^
Comme l'explicite très bien cette chronique, la licence est pleine de qualités qui seront certainement sublimées dans cette saga alternative proposée par Yûji Iwahara. 🙂
Merci Ki-oon de nous la proposer en France en tout cas! 😀
Très bon article ! Ça me conforte dans mon choix de l’avoir commandé pour Noël ! =)