Le saké : à la découverte d’un emblème japonais
Tout le monde a déjà entendu parler du saké, l’alcool japonais par excellence, et beaucoup savent aussi que le riz est son ingrédient principal. Et après ? Que sait-on de cette boisson apparue à l’ouest du Japon au IIIe siècle ?
À l’occasion des fêtes de fin d’année, Journal du Japon a cherché à en savoir plus et a rencontré deux brasseurs de la région d’Hiroshima, les maisons Kamotsuru et Morikawa, lors du festival C’est bon Jaken dédiés aux arts de la table de la région d’Hiroshima. Du choix du riz et de l’eau jusqu’à l’association avec un plat du produit fini, en passant par le polissage du riz ou encore l’importance des champignons et des enzymes, vous allez apprendre toutes les notions de base concernant cet alcool si précieux pour le peuple nippon. Il ne vous restera plus qu’à partir à la recherche de celui qui vous convient et à le partager en famille ou entre amis… Kanpai !
Qu’est-ce que le nihonshu ?
Le saké est souvent comparé à une bière en raison de sa fermentation et de son brassage, mais il arrive que les Japonais eux-même en parle comme d’un vin. Lorsque nous demandons à monsieur Hiroaki Suemasa de la maison Kamotsuru ce qu’il en est il nous répond qu’il est ni l’un, ni l’autre : « Le saké est quelque chose de typiquement nippon, car les Japonais consomment beaucoup de riz et le saké en est issu. Mais ce n’est ni un vin ni une bière et c’est pour cela qu’on le désigne sous le terme de nihonshu, c’est-à-dire alcool japonais. Il est à la fois typique de notre pays et à part dans les spiritueux que nous produisons. »
Le saké, ou plutôt le nihonshu, est donc un alcool issu du riz. Mais, comme toute boisson, tout commence avec de l’eau. Le nihonshu contient d’ailleurs 80% d’eau contre 20% de riz et selon la région du Japon qui produit la boisson, l’eau change. « Concernant l’eau, c’est elle qui va nous donner une vraie différenciation d’un saké à un autre puisque la minéralité de l’eau n’est pas la même dans tout le Japon. » nous explique monsieur Suemasa, avant d’illustrer son propos : « par exemple, à Hiroshima, nous avons une eau peu minérale ce qui donne un saké assez léger et facile à boire alors qu’une eau plus minérale donnera un saké plus sec. »
Monsieur Morikawa, président de la brasserie Morikawa Shuzo, nous explique ensuite l’importance des minéraux dans la création de l’identité du nihonshu : « en fait il y a deux types d’eau, kosui – une eau chargée en minéraux – et matsui, une eau peu minérale. Comme la fermentation se nourrit de ces minéraux, le ferment a un rôle capitale dans les eaux matsui pour aider ce processus. Il s’agit d’un petit champignon du nom de koji-kin, et c’est ça qui va donner son goût et son identité au saké tout en aidant à la fermentation. » Une identité décliné en différents labels, douze chez la brasserie Morikawa, dont voici les principaux :
Le koji-kin, élément méconnu du saké évoqué par monsieur Morikawa, est capital. Ce champignon que les scientifiques nomment Aspergillus Oryzae va procéder à la saccharification du riz, en cassant les molécules d’amidon afin d’en faire du sucre. Pour produire ce koji, il faut compter 40 à 45 heures, pendant lesquelles le champignon est ensemencé sur du riz cuit à la vapeur. Pour la petite histoire, l’inoculation d’un ferment était des plus primitives à l’origine et le riz était saccharifiée par la salive en mâchant le riz. Cette partie du processus est et reste « une part très importante du nihonshu » insiste monsieur Suemasa, et elle reste pour de nombreux brasseur artisanale, et fait donc appel au waza, l’art du maître brasseur. « Pour la technique, le waza, il faut faire plusieurs années d’apprentissage et l’expérience est un facteur essentiel pour avoir le tour de main » résume le représentant de Kamotsuru.
Ce genre de savoir se transmet d’une génération a une autre et fait souvent des brasseries des sociétés familiale. La maison Morikawa Shuzo, fondée en 1887, en est par exemple à sa septième génération et Tomonori Morikawa, l’actuel président, ne pouvait pas se résoudre à la voir disparaître, comme il nous l’explique lui-même : « lorsque mon père qui s’occupait de la brasserie a disparu, j’avais 27 ans. J’ai alors décidé de prendre sa succession et de me lancer dans l’aventure du saké. J’étais dans les ressources humaines d’une grande société, ce qui n’a rien à voir (rires), mais je n’ai pas eu de mal à me replonger dans ce métier -même s’il y a toujours des choses à apprendre – car je l’ai cotoyé durant toute mon enfance avec la brasserie juste à coté de notre maison (photo ci-dessous, NDLR). J’étais imprégné si l’on peut dire. »
Pour en revenir au saké, on plonge donc la préparation koji dans l’eau et s’en suit l’étape de la fermentation, où le sucre présent dans le koji est transformé en alcool, à l’aide d’une levure qui se nomme kobo. S’en suivent ensuite les étapes de filtrage (même s’il existe des sakés non filtrés, le nigoeisake) puis de cuisson avant la mise en bouteille et le stockage dans les barils typiques du saké (photo ci-contre). Comme dans toutes les fabrications d’alcool, c’est la fermentation qui est la partie la plus longue, même si la durée est comparativement courte par rapport au vin. « Le plus rapide c’est 2 mois » nous explique monsieur Suemasa, avant de poursuivre… « C’est un peu comme le vin, sur des périodes plus courtes : le saké qui sort au bout de 2 mois est très jeune et il suffit de le laisser reposer un mois ou deux de plus pour sentir déjà un changement de gout. »
Avec des périodes de fermentation plus courte, combien de temps attendre pour consommer un bon saké ? « Généralement on ne laisse pas vieillir le nihonshu » explique le brasseur de la maison Kamotsuru, même s’il admet des exceptions : « on réalise parfois des sakés plus âgés (nous avons croisé des sakés de 8 ans d’âge dans le salon par exemple, NDLR) et on voit alors qu’il change de couleur, le parfum est plus fort, le goût aussi, on se rapproche plus du whisky dans l’aspect et la texture. »
Du riz, oui, mais pas n’importe lequel !
Après mizu, l’eau, et waza, le savoir-faire, impossible de passer à coté du troisième élément de base du nihonshu : kome, le riz. Mais attention, s’il vous prend l’envie de devenir brasseur de saké, évitez de le produire à partir de votre stock de Uncle Bens ou de Taureau ailé ! Monsieur Suemasa nous explique : « Il faut bien comprendre que le riz utilisé pour le saké n’est pas le même. Pour le saké on utilise la partie centrale du grain de riz, son cœur en quelque sorte, qu’on appelle shimpaku. Or, dans le riz que l’on mange, ce shimpaku est tout petit. Donc, quand on polit le riz, ce shimpaku va se briser alors que le shimpaku du riz utilisé pour le saké est plus gros et on peut donc mieux le travailler. On polit ces grains de riz car ils possèdent plusieurs couches : au centre on retrouve l’amidon alors que l’enveloppe extérieure contient beaucoup de lipides, de vitamines et de protéines. On conserve ces dernières dans le riz à manger et elles sont importantes pour le goût et l’amertume du saké mais elles peuvent dégrader les aromes du saké si elles sont en trop grande quantité. On les élimine donc en partie, lors de l’opération du polissage. »
Néanmoins, chacun peut toujours faire à sa façon et les sakés diffèrent alors selon le degré de polissage : le saké réalisé avec du riz non ou peu poli possède un goût relativement fort, lourd et profond. En revanche, un saké brassé avec du riz soigneusement poli possède des arômes subtils et un goût frais et léger, comme les sakés de type Junmai Ginjo (taux de polissage de 60%) et Junmai Daiginjo (taux de polissage de 50%). Le Daiginjo est d’ailleurs la spécialité de la maison Kamotsuru, la brasserie étant la première à avoir réalisé ce type de saké au Japon en 1958, sans alcool ni sucre ajouté, avec une basse température de fermentation.
Leur produit phare, le Gold Daiginjo Kamotsuru (à gauche dans la photo ci-contre) s’inscrit dans une démarche d’une qualité et représente l’esprit de la brasserie, comme l’explique notre interviewé : « notre état d’esprit est de mettre la qualité avant tout. Plutôt que de produire de grande quantité et du saké bon marché, nous préférons mettre du temps, de l’argent, de l’énergie dans la création de saké haut voir très haut de gamme. » Cette recherche de la qualité leur a valu d’être, pendant 18 années consécutives, la médaille d’or au Concours national des nouveaux sakés mais aussi d’être le saké servi, en 2014, au président Obama lorsqu’il est venu rencontrer le premier ministre Shinzo Abe. Lorsqu’on demande avec quel plat associé leur fameux Daiginjo, notre interviewé nous laisse le choix : « à vrai dire, il a été fabriqué pour se marier avec n’importe quel type de plat, il est assez passe-partout. On peut le faire avec du poisson ou de la viande mais disons qu’il se marie bien avec les plats forts en goût. Le Daiginjo est un saké avec pas mal de parfum donc si on le mange avec un plat léger au gout trop subtil, il risque de passer par-dessus et masquer le gout du plat. »
Chez les médaillés d’or, la star de la maison Morikawa est le Hakuko Yondan- Jikomi, leur label rouge, récompensé en 2013 et 2014 (présenté dans la photo ci-contre par monsieur Morikawa), mais le préféré du président Morikawa reste leur label vert, le Hakuke Junmai, qui offre la liberté d’être consommer aussi bien froid que tiède ou même chaud et qui s’associe très bien, d’une manière générale, avec la cuisine familiale japonaise.
Comme ces sakés ne sont pas forcément disponibles dans l’hexagone, nous demandons à monsieur Suemasa comment trouver un bon saké et si l’étiquette peut nous y aider. Visiblement… non : « en fait c’est très difficile de trouver un bon saké juste avec l’étiquette car on retrouve des informations très générales, comme le pourcentage d’alcool, qui ne permettent pas vraiment de savoir si c’est un bon saké ou non. D’autres informations vous vont indiquer le type de saké que vous avez entre les mains mais là tout dépend de vos goûts, chaque personne pouvant préférer un type de saké ou un autre… Le mieux pour vous faire un avis, c’est de le goûter ! (Rires) »
De toute façon, comme le dit monsieur Morikawa, il est impossible de se réduire à un seul saké : « on boit des sakés différents selon les saisons donc classer les saveurs c’est comme classer les saisons, c’est presque impossible. C’est donc difficile d’en choisir un seul, j’ai beaucoup de bons souvenirs associés à des sakés différents. Au Japon on en boit surtout pour les grandes occasions : mariage, naissance, etc. Le saké est toujours associé à des moments marquants, pour fêter quelque chose bien souvent… Le saké rend heureux d’une certaine façon. »
Pour trouver le bonheur, vous l’aurez compris, il ne vous reste plus désormais qu’à partir en quête de vos sakés favoris !
Plus d’informations : le site des brasseries Kamotsuru ou leur page Facebook et le site des brasseries Morikawa en japonais, où le site – en français – consacré au saké d’Hiroshima.
Remerciements à S. Cibot et Shibuya International ainsi qu’à tout le staff de C’est bon Jaken pour la mise en place des ces interviews.
Crédit photo : Pascal Voglimacci pour © Journal du Japon. Tous droits réservés
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