Seishi Kishimoto, dans l’ombre de Naruto ?
Devenir mangaka est un parcours du combattant : entre les éditeurs qui sont de plus en plus exigeants, le système de vote des magazines de prépublication et la pression pour respecter les délais, ces artistes forcent l’admiration. Cette admiration n’est pourtant pas toujours partagée en ce qui concerne Seishi Kishimoto, le frère jumeau de Masashi Kishimoto, l’auteur du célèbre Naruto. Alors que son nouveau titre, Crimson Wolf, a débuté chez Kurokawa, Journal du Japon fait le point sur le cas de ces deux mangakas jumeaux…
Deux jumeaux mais un aîné qui rafle la mise…
Nous sommes en novembre 1999 lorsque le numéro 43 du Weekly Shônen Jump fait paraître le tout premier chapitre du futur nouveau fer de lance du magazine : Naruto. Le succès de One Piece est alors installé depuis deux ans, et les petits nouveaux que sont Prince Of Tennis et Hikaru No Go n’ont pas de quoi inquiéter le petit ninja qui opère dans un registre bien différent. Masashi Kishimoto va alors se reposer sur des concepts déjà exploités par beaucoup, mais qui ont fait leurs preuves. Il s’approprie à sa façon le principe de la double personnalité : Naruto cohabite en effet avec le fameux démon renard à neuf queues, qu’il devra à terme maîtriser pour utiliser toute sa force. Ce héros finalement très typique se retrouve dans des œuvres comme Yu-Gi-Oh ! (1996), Flame Of Recca (1994) ou encore Samourai Deeper Kyô (1999).
Ensuite, il utilise un univers familier pour les Japonais : le folklore du monde ninja. Ce monde est ancré dans l’esprit populaire car aussi vieux que le premier film d’animation nippon en couleur : Hakuja-Den, la légende du serpent blanc du studio Toeï Dôga (1958). C’est en 1959 que le même studio sortira dans les salles ce que l’on pourra considérer comme le premier anime ninja, Shônen Sarutobi Sasuke. Il est impossible de ne pas évoquer le cultissime mangaka Sanpei Shirato (Kaze No Ishimaru en 1960) qui aura donné toutes ses lettres de noblesse au genre et conquis tous les enfants de son époque au passage.
On y ajoute une pincée de super pouvoir avec le chakra, différents pays, des conflits politiques et on obtient Naruto, un condensé intelligent de ce qui se fait de mieux. En à peine deux ans d’existence, Naruto devient naturellement, avec One Piece et Bleach, un incontournable du shônen moderne, les trois titres se disputant la première place du podium du JUMP. Son anime, arrivé en octobre 2002, sa publication dans le reste du monde et ses nombreux produits dérivés lui permettent d’acquérir une fanbase très importante. C’est dans ce contexte que Seishi Kishimoto va devoir se « battre » afin de faire publier son plus grand succès à ce jour : Satan 666.
L’inconvénient c’est qu’il débarque en 2001, deux ans après Naruto alors auréolé de gloire. De plus, d’autres éléments jouent en sa défaveur et attisent la colère de ses détracteurs : il a le même style graphique que celui de son frère car ces deux jumeaux ont grandit ensemble. Mais les fans crient néanmoins au plagiat. Cette impression est d’autant plus prononcée que Jio, le héros de Satan 666, est lui aussi possédé par une double entité… Pour terminer, le pauvre mangaka a simplement le tort de porter le même nom que celui de son jumeau : aux yeux de tous, il vaut moins que le « génial » créateur de Naruto, un shônen pourtant plus classique qu’on ne pourrait le croire…
Deux frères, deux éditeurs et deux styles…
Masashi publie Naruto dans le Weekly Shônen Jump de la Shueisha, un hebdomadaire, là où le Monthly Shônen Gangan et le Monthly Shônen Rival de Square Enix, sont les mensuels où publie Seishi. Bien qu’ils soient tous deux orientés shônen, le rythme général des œuvres issues de ces magazines n’est pas le même : dans le Jump, le rythme des séries est très marqué : les chapitres s’achèvent régulièrement sur des moments de suspens haletants, même dans des titres plus posés comme Hikaru No Go ou Bakuman. Les chapitres font en moyenne 20 pages et doivent maintenir absolument l’intérêt des fans chaque semaine.
L’exemple est frappant sur des blockbusters comme Dragon Ball, Naruto ou encore One Piece. Le Gangan et le Rival proposent des œuvres plus modéré dans leur rythme narratif, mais pas forcément moins sage dans leur scénario : c’est d’ailleurs le point fort de ces mensuels. Fullmetal Alchemist est par exemple plus proche du genre seinen sur certains points que du shônen : on note une absence relative de la notion de Nekketsu (surpassement de soi), une noirceur grandement inspirée par des faits historiques réels (2nd Guerre Mondiale et ses conséquences) ainsi que la présence de quêtes plus personnelles que celle de sauver le monde.
L’exemple fonctionne aussi avec Soul Eater : son univers atypique laisse régulièrement sous-entendre que ses héros sont en proie à la folie, sujet que l’on a rarement vu aussi exploité dans un manga adressé aux ados.Satan 666a donc baigné dès sa parution dans une ambiance différente de celle du Shônen Jump, ce que l’on ressent aussi dans le plus récent Crimson Wolf. Finalement, le seul point que l’on pourrait reprocher à Seishi Kishimoto est d’avoir un trait semblable à celui de son frère. Triste erreur de le juger sur cet aspect, tout comme il serait regrettable de dire de Hirohiko Araki qu’il a copié Buronson(Phantom Blood s’inspire grandement de Hokuto No Ken) ou encore que Hiro MashimaEiichiro Oda. Le fait est que les influences artistiques de ces deux mangakas sont les mêmes : Gundam 0079, Dragon Ball etDoreamon. Peut-on réellement reprocher à un auteur son « plagiat », alors que la seule chose dont il se rend coupable est de mettre en pratique ce qu’il a appris en même temps ? Seishi Kishimoto n’a pas eu de chance et son grand défaut est d’avoir éclos en second sur le plan artistique… Et d’être soumis à l’intolérance de certains lecteurs qui l’ont jugé arbitrairement.
De l’ombre à la lumière…
Néanmoins, même si des jugements inconsidérés perdurent à l’encontre de Seishi Kishimoto, on peut se rendre compte que ce dernier s’émancipe vers un style graphique plus recherché que celui de son jumeau. Des différences existent donc, et elles s’accentuent avec les années. Masashi a tendance à recycler le chara-design de certains de ses personnages (vêtement des ninjas de grade Chunin, Jônin qui se ressemblent dans beaucoup de pays), là où Seishi s’applique à fournir un rendu unique pour chacun. Il faut dire que la multiplication des séries, et donc des univers et des personnages, a sans doute plus enclin Seishi à développer son imagination là ou Masashi est « bloqué » depuis 15 ans dans la même saga.
Autre comparaison possible, entre les héros de Satan 666 et Naruto. Pour souligner la double personnalité de Jio (Satan 666), Seishi a scindé son protagoniste en deux couleurs (noir et blanc) et accorde une importance particulière à la symbolique (le yin et le yang) qui ne transparaît pas visuellement chez Masashi, sauf lorsque le démon renard prend le dessus. Au-delà de ces choix dans les inspirations artistiques, des différences subtiles dans le coup de crayon apparaissent dans Blazer Drive et Crimson Wolf. Au niveau du chara-design, Masashi dessine des traits plutôt arrondis et des mentons plutôt ronds, tandis que Seishi préfère les accentuer, de façon quasi pyramidale avec des visages plus longs. Masashi peine toujours à créer des faciès différents chez ses protagonistes féminins, tandis que Seishi a toujours su en faire des originaux, dans Crimson Wolf par exemple.
Comme nous l’expliquions plus haut, qui dit différent magazine de publication dit forcément une différence de ton dans les histoires, avec des scénarios plus sombres pour Seishi. Ceci a aussi des conséquences sur le graphisme au niveau de l’encrage : Masashi opère dans un registre assez clair tandis que Seishi joue beaucoup plus sur le noir, des couleurs tout à fait adaptées à leur genre respectif. Dans la même « veine », si les combats de Naruto sont sanglants, Crimson Wolf est encore plus généreux en litres d’hémoglobine. Les figures horrifiques fourmillent de détails impressionnants (yeux fous remplis de veines, bébés démons mangeant des tripes, dents pointues), tandis que les démons de Masashi privilégient les formes bestiales volumineuses mais plutôt simples (renard pour Kyuubi, taureau/poule pour Hachibi). Pour ceux qui en douteraient encore, Seishi Kishimoto est donc un mangaka à part entière. L’origine de ses influences sont similaires à celles de Masashi, mais il continue de forger sa propre esthétique. Quand bien même douterions-nous encore de son talent, Crimson Wolf est à ce jour son œuvre la plus mûre et une occasion d’apprécier enfin tout ses atouts. Il reste du chemin à faire avant une reconnaissance totale, mais le voile d’ombre posé par la réussite étincelante de son aîné semble, petit à petit, se lever. A suivre…
Visuels : Crimson Wolf 2012 Seishi Kishimoto. All Rights Reserved / NARUTO © 1999 by Masashi Kishimoto All rights reserved /© 2001 Seishi Kishimoto / SQUARE ENIX Co. Ltd.
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