Le Light Novel : focus sur un média méconnu… et mal-aimé ? 2e partie
Suite et fin de notre dossier dédié aux light novel. Aujourd’hui, c’est via les réponses de Pika, Ofelbe et Lightnovel.fr que nous essaierons d’évaluer le potentiel – et le futur ! – de ce média dans l’hexagone.
Des débuts prometteurs
Nous avons vu la semaine dernière que les éditeurs ayant tenté l’aventure du LN s’y sont souvent cassés les dents. Cependant, certains irréductibles pensent que les temps ont changé, et que ce marché peut (re) naître aujourd’hui, en France. C’est notamment le cas pour Pika.
L’éditeur reçoit en effet plusieurs propositions de light novel de la part de ses partenaires japonais, et en mars est sorti le roman de leur série phare Fairy Tail. Ce qui a donné le déclic pour proposer Fairy Tail – Les couleurs du cœur, c’est l’implication de l’auteur Hiro Mashima. Pas de stratégie particulière pour le lancement, hormis de proposer le livre en littérature jeunesse. Le gros de la réflexion fut plutôt en amont, sur le choix et la qualité du roman publié, le marché n’étant pas favorable.
Même s’il est encore trop tôt pour dresser un bilan des résultats, l’éditeur précise : « les premiers retours sont encourageants, nous sommes agréablement surpris. En effet, lors de la semaine de sa sortie, Les couleurs du cœur s’est classé dans le top 10 des romans de poche en littérature jeunesse (devant Ovide, Les Misérables et Le Petit Prince). »
C’est sur cette lancée que Pika compte aussi proposer en fin d’année les LN de Kingdom Hearts, au prix de 7,5€. Démarrée en 2005, la saga cumule 19 tomes au Japon et c’est aux cotés de la scénariste Kanemaki Tomoco que Shiro Amano (déjà auteure des mangas KH) officiera aux illustrations.
Pour Pika, l’un des principaux freins à l’implantation du LN serait les à-priori sur le manga. Les romans issus de séries japonaises restent souvent cantonnés aux étagères mangas et ne sont pas proposées en littérature jeunesse.
Enfin, l’offre numérique n’est actuellement pas assez développée dans ce secteur pour dresser un bilan, mais « cela offrira probablement dans le futur des opportunités intéressantes » toujours selon l’éditeur.
La famille s’agrandit encore.
Dernier-né de Taifu/Ototo, les très jeunes éditions Ofelbe ont pour objectif de se consacrer exclusivement au light novel. Pour lancer leur collection de romans, ils ont choisi un titre issu d’un LN japonais très populaire : Sword Art Online (11 millions d’exemplaires vendus au Japon). Nous avons demandé à Guillaume Kapp, l’attaché de presse de l’éditeur, quelle politique ils comptaient suivre et leur point de vue sur les précédentes tentatives en France.
Journal du Japon : Quelle est votre stratégie pour le lancement de votre light novel ?
Ofelbe : Sword Art Online, qui paraitra en fin d’année, doit être le titre fédérateur qui réunira tous les publics : le lecteur de manga, le fan d’anime, le fan de LN, le lecteur de romans fantasy et SF. Notre but est de populariser ce genre pour pouvoir créer un véritable marché, car même si la base de fans est importante, elle ne l’est malheureusement pas suffisamment pour rendre le projet viable à terme.
Nous employons sciemment le mot « roman », car « light novel » est un terme méconnu du grand public et ne correspond pas tout à fait à l’objet définitif qui sera distribué.
Nous avons choisi de nous adapter à la longueur classique d’un roman européen. En moyenne, un tome occidental fait entre 120 000 et 200 000 mots, soit l’équivalent d’un livre de 500 pages. Le light novel au Japon est considéré, tout comme le manga, comme une lecture de voyage. Pour Sword Art Online, nous avons décidé de réunir deux tomes en un pour moins de 20€.
Nous avons ensuite décidé de retirer les images internes (l’œuvre de Reki Kawahara n’a pas besoin d’un support visuel pour être comprise et appréciée), et de modifier la couverture (nous espérons que celle que nous avons choisie, et qui reflète tout aussi bien ce roman, plaira au plus grand nombre !).
Beaucoup se souviennent des lancements ratés des précédents light novel en France et ont critiqué ces choix. Alors, pourquoi refaire ces erreurs nous direz-vous ? Nous sommes persuadés que ce choix est nécessaire pour toucher un large public et nous sommes loin de penser que ces modifications ont provoqué, par le passé, l’échec d’une collection. Les précédentes tentatives étaient peut-être trop ou pas assez ciblées, les revendeurs ne sachant pas où placer le produit : « Est-ce du manga ? Du roman ? À quel public s’adresse-t-il ? »
Toutefois, la jaquette d’origine et des illustrations seront offertes par d’autres moyens aux fans qui y sont très attachés.
Sword Art Online est le premier roman d’une longue série et son succès va définir la suite des événements.
Pourquoi l’implantation du format light novel est difficile selon vous ?
Avec un light novel classique, le challenge paraît compliqué. Dans quelle case mettre cette publication un peu atypique dans nos contrées ? Le format ne correspondant à aucun type d’ouvrage connu. Nous ne détenons en aucun cas la vérité, mais nous pensons que l’édition doit être claire. Nous savons que beaucoup de choses sont compartimentées et que si l’on sort d’un cadre, l’on risque de perdre en visibilité, voire en compréhension. L’implantation en librairie par exemple doit être sans équivoque, et le double tome de SAO adoptera pour cela un format 14 x 21 cm.
Ensuite, la difficulté sera la même qu’avec un ouvrage habituel : convaincre le grand public (l’éditeur souhaite faire venir l’auteur de SAO en France lors d’un salon, NDLR), celui qui ne connaît pas ce titre mais qui aime découvrir de nouveaux récits, de l’intérêt d’acheter ce roman, et communiquer autour de l’œuvre. Le site internet d’Ofelbe est d’ailleurs en construction !
Est-ce que les lectorats littéraire et manga parviennent à se mélanger sur un tel produit ?
Nous ne sommes pas convaincus que les lecteurs de manga en France lisent des romans généralistes ou ciblés fantasy, imaginaire, SF, etc. En revanche, des titres issus de light novel pourront peut-être les intéresser car, au Japon, ces romans servent de média à l’adaptation de manga et d’anime très connus de ce public-là.
Il va nous falloir toucher le lectorat « littéraire » par une communication plutôt basée sur le contenu qui peut rassembler ceux qui aiment les aventures épiques, mais surtout pour SAO, les amateurs de jeux vidéo et de MMORPG ! Ce premier titre servira de pont entre ces deux lectorats !
Est-ce que l’adoption du livre numérique peut faire une différence et a le potentiel d’ouvrir des opportunités aux LN ?
Le livre numérique peut être un moyen de communication/distribution pour permettre effectivement une plus grande visibilité. Dans l’immédiat, nous ne sortirons que la version papier, mais il est vraisemblable que dans un avenir assez proche, nous proposerons la version numérique.
Avez-vous l’intention, à court ou à long terme, de sortir d’autres titres ?
L’aventure ne fait que commencer, mais nous comptons bien continuer à éditer d’autres light novel. De grosses annonces sont prévues dés la rentrée !
Une communauté, mais pas que…
Portons, finalement, notre regard sur un site qui a vu sa visibilité exploser ces derniers mois : Lightnovel.fr. Nous avons pu échanger avec Carlos S., son fondateur, pour évoquer la viabilité du marché des light novel et les clés de la réussite.
JDJ : Bonjour, tout d’abord pourriez-vous nous présenter votre projet ?
Lightnovel.fr : Bonjour ! Alors pour être précis il y a deux projets. Premièrement, LightNovel.fr qui vise à être une large communauté autour du light novel. On peut dire que c’est le projet « principal ». Et deuxièmement, une maison d’édition dédiée aux light novel. C’est plutôt un projet secondaire, mais comme le LN est aussi au cœur du sujet, il était intéressant de rassembler le tout au même endroit !
D’autres grands éditeurs se sont déjà essayés à publier du LN en France avec un succès moindre. Quelles sont les raisons de ces échecs selon vous et que pensez-vous proposer de différent si vous étiez amené à fonder une maison d’édition ?
Je pense que les principales raisons sont le manque de visibilité et le manque de communication. Le marché du manga mais aussi celui de l’anime existent déjà depuis quelques temps, les fans ont donc évidemment l’habitude de voir des mangas et des animes et ont un large choix dans lequel ils peuvent puiser.
Le light novel est au contraire très récent chez nous, le choix est donc plus restreint et sa visibilité diminuée d’autant. Pour mettre en valeur quelque chose qui manque de visibilité, il faut donc communiquer dessus. Or, nous n’entendons que très peu parler des LN, les seules personnes aptes à être intéressées seront donc les fans qui connaissent déjà le support, et ceux qui tomberont dessus « par hasard ». Autant dire que le public n’est pas très large.
Pour espérer un réel développement du LN en France, mais aussi chez nos amis francophones, je pense qu’il est donc essentiel de mettre un point d’honneur sur la communication. Nous avons la chance d’avoir un grand nombre de mangas et d’animés traduits dans notre langue, et de plus en plus d’entre eux sont issus de light novel, il faut en profiter ! Mais cela passe aussi par la mise en avant sur des grands sites d’informations et sur le développement des communautés autour. En bref : montrer que ça existe, et que c’est bien !
Des séries appréciés mais des LN méconnus
Envisagez-vous le LN pour un public littéraire ou un public manga ? Quel lectorat faut-il commencer à séduire d’après vous ?
Les deux. Je trouve que le LN a une certaine force qui permet de pouvoir plaire à un grand nombre de personnes. Les fans de mangas qui n’aiment pas trop lire de romans pourront facilement aller vers les LN du fait d’un style d’écriture plus simple, et d’un univers qui reste semblable aux mangas. Les lecteurs de romans qui n’apprécient pas trop les mangas pourront tenter une nouvelle expérience avec un univers qui reste encore une fois semblable aux mangas mais avec un support qu’ils apprécieront peut-être plus ! Je pense que le light novel possède un vrai potentiel pour faire le « pont » entre ces deux publics.
Le lectorat à séduire en premier serait le public manga. Le light novel a été fait pour eux, l’univers est le même, il est la base de nombreuses adaptations en mangas et en animes, donc c’est forcément le premier concerné.
Pensez-vous qu’il suffirait que les adaptations anime de LN diminuent pour que tout le phénomène retombe ?
Vu l’état du marché en France, je pense en effet que si les adaptations en animes s’arrêtaient, cela risquerait de grandement freiner l’arrivée de ce support dans nos contrées. Au Japon, un des principaux intérêts des adaptations est la publicité générée pour le support original et les ventes qui en découlent, or chez nous le marché en est encore à ses débuts.
Les Japonais sont plus gourmands qu’autrefois sur les licences et ambitieux sur l’international, donc est-il possible, selon vous, qu’un éditeur japonais se saisisse du marché international comme la tentative de Docomo Anime Store récemment ?
Je ne pense pas que des éditeurs se lanceraient sur des light novel en français. Le marché n’est pas du tout développé et le public n’est pas comparable à celui du Japon. Le plus intéressant pour eux serait le marché anglais, mais même à ce niveau là je ne sais pas s’il serait assez important à la vue du nombre de ventes qu’ils réalisent déjà au Japon…
En France, si un marché LN est envisageable, concernera-t-il l’ensemble des LN ou juste ceux ayant connu une adaptation manga/anime à succès ?
Il faut savoir que le LN en français ne s’est pas limité à « l’échec » de Haruhi et de la récente annonce de Sword Art Online. D’autres light novels sont déjà sortis mais il faut en effet les trouver. Le marché ne se limite donc pas seulement aux séries les plus connues ou à succès, même si, on ne va pas se le cacher, ce sont elles qui attireront le plus de monde et qui permettront de vraiment lancer la machine. Les séries à succès permettront de développer le marché, puis des séries moins connues arriveront par la suite très probablement quand le marché sera un peu plus clément, comme cela se fait déjà avec les mangas !
Retrouvez les fiches de ces LN sur light novel.fr
Pari tenu ou non, l’année 2014 sera résolument placée sous le signe du light novel.
Lumen édition vient de sortir le roman de King’s Game, Pika prépare ceux de Kingdom Hearts pour la fin de l’année, Ofelbe nous offre Sword Art Online : chacun y va de sa stratégie, de ses choix, pour faire émerger un média encore dormant en France.
Remerciements : Laure Peduzzi pour Pika, Guillaume Kapp pour Ofelbe, Carlos S. pour LightNovel.fr et Julien Boujot.