La Tour Fantôme : une chasse au trésor un peu glauque…
Devant le nombre exorbitant de titres affluant sur le marché, il n’est pas rare de passer à côté de certaines œuvres assez intéressantes. De petites bombes thermonucléaires qui ne demandent qu’à vous exploser en plein visage, mais qui malheureusement se retrouvent enfouies sous une masse d’histoires plus populaires ou plus médiatisées. Parfois sans jamais connaître la joie d’être connues et reconnues à leur juste valeur, elles irradient alors dans le vide. Les pauvres.
Dans la collection des histoires qui ne méritent pas de finir comme tel, nous vous présentons La Tour Fantôme de Tarô Nogizaka ! Cette nouveauté seinen de chez Glénat est prépubliée au Japon dans le Big Comic Superior (où l’on a pu retrouver Team Medical Dragon du même auteur) et dont la publication a débuté en France depuis le mois de mars. Dans cette œuvre, nous plongeons dans un récit qui non content d’être prenant et mystérieux, est aussi par moment bien flippant.
L’horloge tourne…
C’est ainsi que l’histoire commence, nous sommes en 1954. Taïchi Amano est un jeune homme qui ne travaille pas et qui, en plus d’être l’ambassadeur de la flemmardise, est un poil pervers. Il n’est pas méchant, mais pas très malin non plus. Lorsqu’il rencontre une ancienne camarade de lycée qui fait s’émoustiller ses hormones, Amano se voit contraint de mentir sur sa condition actuelle, s’inventant alors travail et richesses. Mais le mensonge est aussi visible qu’une morsure de doberman enragé au milieu du visage, et Amano est sur le point d’être démasqué. Soudain, un adonis sort d’une voiture pour confirmer sa supercherie devant témoin, se faisant alors passer pour son domestique.
Mais rien ne se fait gratuitement, et le bel homme, nommé Tetsuo, réclame l’aide d’Amano sur une affaire importante en échange de son silence. L’affaire en question est liée à celle de la tour surplombée d’une immense horloge que l’on distingue d’un peu partout dans la ville. Quelques années auparavant, une vieille dame y avait été assassinée par sa propre fille, qui aurait utilisé les aiguilles de l’horloge pour lui briser les os.
La tour fut rebaptisée sobrement « la tour fantôme » depuis ce malheureux incident, et conserverait en son sein de nombreux secrets encore inavoués… A ce stade, on sent déjà que ce n’est pas une histoire qui respire les pâquerettes printanières.
Un temps pour chaque chose…
C’est le début d’une chasse au trésor aussi intrigante que dangereuse pour nos protagonistes ! Nogizaka nous offre tout son talent artistique avec des graphismes fins et détaillés, qui sont sublimés par de nombreuses trames donnant à l’ensemble une ambiance sombre et macabre. De plus, la mise en scène est soignée et va de paire avec l’élégance des traits. La lecture reste cependant dynamique, et l’enchaînement des actions est bien géré.
On ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre l’intrigue proposée et des enquêtes policières sorties tout droit de l’imagination d’Agatha Christie ou d’Arthur Conan Doyle, Tetsuo et Amano formant un duo de détectives prêts à tout et des plus original. Chaque personnage que l’on rencontre devient de ce fait un suspect potentiel, manipulant peut-être nos héros dans l’ombre… Et avec des indices qui nous sont donnés au rythme d’une cuillère à café plutôt avare, on a hâte d’en savoir plus sur cette étrange affaire mêlant mensonges, faux-semblants et manipulations.
…Chaque chose en son temps.
Dans la Tour Fantôme, on aborde de but en blanc toutes les parties les plus noires de la personnalité humaine. L’envie, l’orgueil, l’appât du gain et ce qu’il peut forcer à faire aux frontières de la légalité. La combinaison d’Amano et de Tetsuo est à double tranchant, et l’on devine que les deux se servent de l’autre au service de leurs propres intérêts. Nous sommes au milieu d’une immense machination, et c’est à qui trompera l’autre de la manière la plus subtile… Chaque individu n’est que le pantin, pauvre marionnette désarticulée, d’un autre plus avide et plus ambitieux. Mais de toute façon, tous les coups sont permis lorsque plusieurs milliards de yens sont en jeu.
De plus, la part de fantastique dans cette affaire reste ambiguë : sommes-nous en présence de véritables fantômes ou d’individus à l’imagination fertile ? Les histoires de chantage omniprésentes nous font parfois oublier qu’une puissance supérieure ectoplasmique est peut-être bel et bien dans le coup… A moins qu’une fois encore, nous ne nous soyons fait abuser ? En oublierai-t-on la valeur de la vie par rapport à celle de l’argent à nos propres dépends ?
A noter enfin que La Tour Fantôme est une adaptation de Yureito, de Edogawa Ranpo, elle-même reprenant une adaptation de Ruiko Kuroima du roman d’Alice Muriel Williamson « Une femme dans le gris ». Tarô Nogizaka réinvente de nouveau ce récit, aux risques et périls du lecteur.
Sept tomes sont sortis au Japon à ce jour. En France, le second volume est prévu pour cette semaine, le 21 mai 2014, et le troisième pour début juillet.